Cyrano de Bergerac

Part 2 out of 5




CYRANO (attaquant son grain de raisin):
Combien puis-je, a peu pres, ce soir, m'en etre mis?

LE BRET:
Quarante-huit. Sans compter les femmes.

CYRANO:
Voyons, compte!

LE BRET:
Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte,
Baro, l'Academie. . .

CYRANO:
Assez! tu me ravis!

LE BRET:
Mais ou te menera la facon dont tu vis?
Quel systeme est le tien?

CYRANO:
J'errais dans un meandre;
J'avais trop de partis, trop compliques, a prendre;
J'ai pris. . .

LE BRET:
Lequel?

CYRANO:
Mais le plus simple, de beaucoup.
J'ai decide d'etre admirable, en tout, pour tout!

LE BRET (haussant les epaules):
Soit!--Mais enfin, a moi, le motif de ta haine
Pour Montfleury, le vrai, dis-le-moi!

CYRANO (se levant):
Ce Silene,
Si ventru que son doigt n'atteint pas son nombril,
Pour les femmes encor se croit un doux peril,
Et leur fait, cependant qu'en jouant il bredouille,
Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille!. . .
Et je le hais depuis qu'il se permit, un soir,
De poser son regard, sur celle. . .Oh! j'ai cru voir
Glisser sur une fleur une longue limace!

LE BRET (stupefait):
Hein? Comment? Serait-il possible?. . .

CYRANO (avec un rire amer):
Que j'aimasse?. . .
(Changeant de ton et gravement):
J'aime.

LE BRET:
Et peut-on savoir? tu ne m'as jamais dit?. . .

CYRANO:
Qui j'aime?. . .Reflechis, voyons. Il m'interdit
Le reve d'etre aime meme par une laide,
Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me precede;
Alors, moi, j'aime qui?. . .Mais cela va de soi!
J'aime--mais c'est force!--la plus belle qui soit!

LE BRET:
La plus belle?. . .

CYRANO:
Tout simplement, qui soit au monde!
La plus brillante, la plus fine,
(Avec accablement):
la plus blonde!

LE BRET:
Eh! mon Dieu, quelle est donc cette femme?. . .

CYRANO:
Un danger
Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer,
Un piege de nature, une rose muscade
Dans laquelle l'amour se tient en embuscade!
Qui connait son sourire a connu le parfait.
Elle fait de la grace avec rien, elle fait
Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
Et tu ne saurais pas, Venus, monter en conque,
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,
Comme elle monte en chaise et marche dans Paris!. . .

LE BRET:
Sapristi! je comprends. C'est clair!

CYRANO:
C'est diaphane.

LE BRET:
Magdeleine Robin, ta cousine?

CYRANO:
Oui,--Roxane.

LE BRET:
Eh bien, mais c'est au mieux! Tu l'aimes? Dis-le-lui!
Tu t'es couvert de gloire a ses yeux aujourd'hui!

CYRANO:
Regarde-moi, mon cher, et dis quelle esperance
Pourrait bien me laisser cette protuberance!
Oh! je ne me fais pas d'illusion!--Parbleu,
Oui, quelquefois, je m'attendris, dans le soir bleu;
J'entre en quelque jardin ou l'heure se parfume;
Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
L'avril,--je suis des yeux, sous un rayon d'argent,
Au bras d'un cavalier, quelque femme, en songeant
Que pour marcher, a petits pas, dans de la lune,
Aussi moi j'aimerais au bras en avoir une,
Je m'exalte, j'oublie. . .et j'apercois soudain
L'ombre de mon profil sur le mur du jardin!

LE BRET (emu):
Mon ami!. . .

CYRANO:
Mon ami, j'ai de mauvaises heures!
De me sentir si laid, parfois, tout seul. . .

LE BRET (vivement, lui prenant la main):
Tu pleures?

CYRANO:
Ah! non, cela, jamais! Non, ce serait trop laid,
Si le long de ce nez une larme coulait!
Je ne laisserai pas, tant que j'en serai maitre,
La divine beaute des larmes se commettre
Avec tant de laideur grossiere!. . .Vois-tu bien,
Les larmes, il n'est rien de plus sublime, rien,
Et je ne voudrais pas qu'excitant la risee,
Une seule, par moi, fut ridiculisee!. . .

LE BRET:
Va, ne t'attriste pas! L'amour n'est que hasard!

CYRANO (secouant la tete):
Non! J'aime Cleopatre: ai-je l'air d'un Cesar?
J'adore Berenice: ai-je l'aspect d'un Tite?

LE BRET:
Mais ton courage! ton esprit!--Cette petite
Qui t'offrait la, tantot, ce modeste repas,
Ses yeux, tu l'as bien vu, ne te detestaient pas!

CYRANO (saisi):
C'est vrai!

LE BRET:
He! bien! alors?. . .Mais, Roxane, elle-meme,
Toute bleme a suivi ton duel!

CYRANO:
Toute bleme?

LE BRET:
Son coeur et son esprit deja sont etonnes!
Ose, et lui parle, afin. . .

CYRANO:
Qu'elle me rie au nez?
Non!--C'est la seule chose au monde que je craigne!

LE PORTIER (introduisant quelqu'un a Cyrano):
Monsieur, on vous demande. . .

CYRANO (voyant la duegne):
Ah! mon Dieu! Sa duegne!



Scene 1.VI.

Cyrano, Le Bret, la duegne.

LA DUEGNE (avec un grand salut):
De son vaillant cousin on desire savoir
Ou l'on peut, en secret, le voir.

CYRANO (bouleverse):
Me voir?

LA DUEGNE (avec une reverence):
Vous voir.
--On a des choses a vous dire.

CYRANO:
Des?. . .

LA DUEGNE (nouvelle reverence):
Des choses!

CYRANO (chancelant):
Ah, mon Dieu!

LA DUEGNE:
L'on ira, demain, aux primes roses
D'aurore,--ouir la messe a Saint-Roch.

CYRANO (se soutenant sur Le Bret):
Ah! mon Dieu!

LA DUEGNE:
En sortant,--ou peut-on entrer, causer un peu?

CYRANO (affole):
Ou?. . .Je. . .mais. . .Ah! mon Dieu!. . .

LA DUEGNE:
Dites vite.

CYRANO:
Je cherche!. . .

LA DUEGNE:
Ou?

CYRANO:
Chez. . .chez. . .Ragueneau. . .le patissier. . .

LA DUEGNE:
Il perche?

CYRANO:
Dans la rue--Ah! mon Dieu, mon Dieu!--Saint-Honore!

LA DUEGNE (remontant):
On ira. Soyez-y. Sept heures.

CYRANO:
J'y serai.

(La duegne sort.)



Scene 1.VII.

Cyrano, Le Bret, puis les comediens, les comediennes, Cuigy, Brissaille,
Ligniere, le portier, les violons.)

CYRANO (tombant dans les bras de Le Bret):
Moi!. . .D'elle!. . .Un rendez-vous!. . .

LE BRET:
Eh bien! tu n'es plus triste?

CYRANO:
Ah! pour quoi que ce soit, elle sait que j'existe!

LE BRET:
Maintenant, tu vas etre calme?

CYRANO (hors de lui):
Maintenant. . .
Mais je vais etre frenetique et fulminant!
Il me faut une armee entiere a deconfire!
J'ai dix coeurs; j'ai vingt bras; il ne peut me suffire
De pourfendre des nains. . .
(Il crie a tue-tete):
Il me faut des geants!

(Depuis un moment, sur la scene, au fond, des ombres de comediens et de
comediennes s'agitent, chuchotent: on commence a repeter. Les violons ont
repris leur place.)

UNE VOIX (de la scene):
He! pst! la-bas! Silence! on repete ceans!

CYRANO (riant):
Nous partons!

(Il remonte; par la grande porte du fond; entrent Cuigy, Brissaille, plusieurs
officiers, qui soutiennent Ligniere completement ivre.)

CUIGY:
Cyrano!

CYRANO:
Qu'est-ce?

CUIGY:
Une enorme grive
Qu'on t'apporte!

CYRANO (le reconnaissant):
Ligniere!. . .He, qu'est-ce qui t'arrive?

CUIGY:
Il te cherche!

BRISSAILLE:
Il ne peut rentrer chez lui!

CYRANO:
Pourquoi?

LIGNIERE (d'une voix pateuse, lui montrant un billet tout chiffonne):
Ce billet m'avertit. . .cent hommes contre moi. . .
A cause de. . .chanson. . .grand danger me menace. . .
Porte de Nesle. . .Il faut, pour rentrer, que j'y passe. . .
Permets-moi donc d'aller coucher sous. . .sous ton toit!

CYRANO:
Cent hommes, m'as-tu dit? Tu coucheras chez toi!

LIGNIERE (epouvante):
Mais. . .

CYRANO (d'une voix terrible, lui montrant la lanterne allumee que le portier
balance en ecoutant curieusement cette scene):
Prends cette lanterne!. . .
(Ligniere saisit precipitamment la lanterne):
Et marche!--Je te jure
Que c'est moi qui ferai ce soir ta couverture!. . .
(Aux officiers):
Vous, suivez a distance, et vous serez temoins!

CUIGY:
Mais cent hommes!. . .

CYRANO:
Ce soir, il ne m'en faut pas moins!

(Les comediens et les comediennes, descendus de scene, se sont rapproches dans
leurs divers costumes.)

LE BRET:
Mais pourquoi proteger. . .

CYRANO:
Voila Le Bret qui grogne!

LE BRET:
Cet ivrogne banal?. . .

CYRANO (frappant sur l'epaule de Ligniere):
Parce que cet ivrogne,
Ce tonneau de muscat, ce fut de rossoli,
Fit quelque chose un jour de tout a fait joli:
Au sortir d'une messe ayant, selon le rite,
Vu celle qu'il aimait prendre de l'eau benite,
Lui que l'eau fait sauver, courut au benitier,
Se pencha sur sa conque et le but tout entier!. . .

UNE COMEDIENNE (en costume de soubrette):
Tiens, c'est gentil, cela!

CYRANO:
N'est-ce pas, la soubrette?

LA COMEDIENNE (aux autres):
Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poete?

CYRANO:
Marchons!
(Aux officiers):
Et vous, messieurs, en me voyant charger,
Ne me secondez pas, quel que soit le danger!

UNE AUTRE COMEDIENNE (sautant de la scene):
Oh! mais, moi, je vais voir!

CYRANO:
Venez!. . .

UNE AUTRE (sautant aussi, a un vieux comedien):
Viens-tu, Cassandre?. . .

CYRANO:
Venez tous, le Docteur, Isabelle, Leandre,
Tous! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol,
La farce italienne a ce drame espagnol,
Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque,
L'entourer de grelots comme un tambour de basque!. . .

TOUTES LES FEMMES (sautant de joie):
Bravo!--Vite, une mante!--Un capuchon!

JODELET:
Allons!

CYRANO (aux violons):
Vous nous jouerez un air, messieurs les violons!
(Les violons se joignent au cortege qui se forme. On s'empare des chandelles
allumees de la rampe et on se les distribue. Cela devient une retraite aux
flambeaux):
Bravo! des officiers, des femmes en costume,
Et, vingt pas en avant. . .
(Il se place comme il dit):
Moi, tout seul, sous la plume
Que la gloire elle-meme a ce feutre piqua,
Fier comme un Scipion triplement Nasica!. . .
--C'est compris? Defendu de me preter main-forte!--
On y est?. . .Un, deux, trois! Portier, ouvre la porte!
(Le portier ouvre a deux battants. Un coin du vieux Paris pittoresque et
lunaire parait):
Ah!. . .Paris fuit, nocturne et quasi nebuleux;
Le clair de lune coule aux pentes des toits bleus;
Un cadre se prepare, exquis, pour cette scene;
La-bas, sous des vapeurs en echarpe, la Seine,
Comme un mysterieux et magique miroir,
Tremble. . .Et vous allez voir ce que vous allez voir!

TOUS:
A la porte de Nesle!

CYRANO (debout sur le seuil):
A la porte de Nesle!
(Se retournant avant de sortir, a la soubrette):
Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoiselle,
Contre ce seul rimeur cent hommes furent mis?
(Il tire l'epee et, tranquillement):
C'est parce qu'on savait qu'il est de mes amis!

(Il sort. Le cortege,--Ligniere zigzaguant en tete,--puis les comediennes aux
bras des officiers,--puis les comediens gambadant,--se met en marche dans la
nuit au son des violons, et a la lueur falote des chandelles.)

Rideau.



Acte II.

La Rotisserie Des Poetes.

La boutique de Ragueneau, rotisseur-patissier, vaste ouvroir au coin de la rue
Saint-Honore et de la rue de l'Arbre-Sec qu'on apercoit largement au fond, par
le vitrage de la porte, grises dans les premieres lueurs de l'aube.

A gauche, premier plan, comptoir surmonte d'un dais en fer forge, auquel sont
accroches des oies, des canards, des paons blancs. Dans de grands vases de
faience de hauts bouquets de fleurs naives, principalement des tournesols
jaunes. Du meme cote, second plan, immense cheminee devant laquelle, entre de
monstrueux chenets, dont chacun supporte une petite marmite, les rotis
pleurent dans les lechefrites.

A droite, premier plan avec porte. Deuxieme plan, un escalier montant a une
petite salle en soupente, dont on apercoit l'interieur par des volets ouverts;
une table y est dressee, un menu lustre flamand y luit: c'est un reduit ou
l'on va manger et boire. Une galerie de bois, faisant suite a l'escalier,
semble mener a d'autres petites salles analogues.

Au milieu de la rotisserie, un cercle en fer que l'on peut faire descendre
avec une corde, et auquel de grosses pieces sont accrochees, fait un lustre de
gibier.

Les fours, dans l'ombre, sous l'escalier, rougeoient. Des cuivres
etincellent. Des broches tournent. Des pieces montees pyramident, des
jambons pendent. C'est le coup de feu matinal. Bousculade de marmitons
effares, d'enormes cuisiniers et de minuscules gate-sauces. Foisonnement de
bonnets a plume de poulet ou a aile de pintade. On apporte, sur des plaques
de tole et des clayons d'osier, des quinconces de brioches, des villages de
petits-fours.

Des tables sont couvertes de gateaux et de plats. D'autres, entourees de
chaises, attendent les mangeurs et les buveurs. Une plus petite, dans un
coin, disparait sous les papiers. Ragueneau y est assis au lever du rideau;
il ecrit.



Scene 2.I.

Ragueneau, patissiers, puis Lise; Ragueneau, a la petite table, ecrivant d'un
air inspire, et comptant sur ses doigts.

PREMIER PATISSIER (apportant une piece montee):
Fruits en nougat!

DEUXIEME PATISSIER (apportant un plat):
Flan!

TROISIEME PATISSIER (apportant un roti pare de plumes):
Paon!

QUATRIEME PATISSIER (apportant une plaque de gateaux):
Roinsoles!

CINQUIEME PATISSIER (apportant une sorte de terrine):
Boeuf en daube!

RAGUENEAU (cessant d'ecrire et levant la tete):
Sur les cuivres, deja, glisse l'argent de l'aube!
Etouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau!
L'heure du luth viendra,--c'est l'heure du fourneau!
(Il se leve. A un cuisinier):
Vous, veuillez m'allonger cette sauce, elle est courte!

LE CUISINIER:
De combien?

RAGUENEAU:
De trois pieds.

(Il passe.)

LE CUISINIER:
Hein?

PREMIER PATISSIER:
La tarte!

DEUXIEME PATISSIER:
La tourte!

RAGUENEAU (devant la cheminee):
Ma Muse, eloigne-toi, pour que tes yeux charmants
N'aillent pas se rougir au feu de ces sarments!
(A un patissier, lui montrant des pains):
Vous avez mal place la fente de ces miches:
Au milieu la cesure,--entre les hemistiches!
(A un autre, lui montrant un pate inacheve):
A ce palais de croute, il faut, vous, mettre un toit. . .
(A un jeune apprenti, qui, assis par terre, embroche des volailles):
Et toi, sur cette broche interminable, toi,
Le modeste poulet et la dinde superbe,
Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe
Alternait les grands vers avec les plus petits,
Et fais tourner au feu des strophes de rotis!

UN AUTRE APPRENTI (s'avancant avec un plateau recouvert d'une assiette):
Maitre, en pensant a vous, dans le four, j'ai fait cuire
Ceci, qui vous plaira, je l'espere.

(Il decouvre le plateau, on voit une grande lyre de patisserie.)

RAGUENEAU (ebloui):
Une lyre!

L'APPRENTI:
En pate de brioche.

RAGUENEAU (emu):
Avec des fruits confits!

L'APPRENTI:
Et les cordes, voyez, en sucre je les fis.

RAGUENEAU (lui donnant de l'argent):
Va boire a ma sante!
(Apercevant Lise qui entre):
Chut! ma femme! Circule,
Et cache cet argent!
(A Lise, lui montrant la lyre d'un air gene):
C'est beau?

LISE:
C'est ridicule!

(Elle pose sur le comptoir une pile de sacs en papier.)

RAGUENEAU:
Des sacs?. . .Bon. Merci.
(Il les regarde):
Ciel! Mes livres veneres!
Les vers de mes amis! dechires! demembres!
Pour en faire des sacs a mettre des croquantes. . .
Ah! vous renouvelez Orphee et les bacchantes!

LISE (sechement):
Et n'ai-je pas le droit d'utiliser vraiment
Ce que laissent ici, pour unique paiement,
Vos mechants ecriveurs de lignes inegales!

RAGUENEAU:
Fourmi!. . .n'insulte pas ces divines cigales!

LISE:
Avant de frequenter ces gens-la, mon ami,
Vous ne m'appeliez pas bacchante,--ni fourmi!

RAGUENEAU:
Avec des vers, faire cela!

LISE:
Pas autre chose.

RAGUENEAU:
Que faites-vous, alors, madame, avec la prose?



Scene 2.II.

Les memes, deux enfants, qui viennent d'entrer dans la patisserie.

RAGUENEAU:
Vous desirez, petits?

PREMIER ENFANT:
Trois pates.

RAGUENEAU (les servant):
La, bien roux. . .
Et bien chauds.

DEUXIEME ENFANT:
S'il vous plait, enveloppez-les-nous?

RAGUENEAU (saisi, a part):
Helas! un de mes sacs!
(Aux enfants):
Que je les enveloppe?. . .
(Il prend un sac et au moment d'y mettre les pates, il lit):
'Tel Ulysses, le jour qu'il quitta Penelope. . .'
Pas celui-ci!. . .
(Il le met de cote et en prend un autre. Au moment d'y mettre les pates, il
lit):
'Le blond Phoebus. . .' Pas celui-la!

(Meme jeu.)

LISE (impatientee):
Eh bien! qu'attendez-vous?

RAGUENEAU:
Voila, voila, voila!
(Il en prend un troisieme et se resigne):
Le sonnet a Philis!. . .mais c'est dur tout de meme!

LISE:
C'est heureux qu'il se soit decide!
(Haussant les epaules):
Nicodeme!

(Elle monte sur une chaise et se met a ranger des plats sur une credence.)

RAGUENEAU (profitant de ce qu'elle tourne le dos, rappelle les enfants deja a
la porte):
Pst!. . .Petits!. . .Rendez-moi le sonnet a Philis,
Au lieu de trois pates je vous en donne six.
(Les enfants lui rendent le sac, prennent vivement les gateaux et sortent.
Ragueneau, defripant le papier, se met a lire en declamant):
'Philis!. . .' Sur ce doux nom, une tache de beurre!. . .
'Philis!. . .'

(CYRANO entre brusquement.)



Scene 2.III.

Ragueneau, Lise, Cyrano, puis le mousquetaire.

CYRANO:
Quelle heure est-il?

RAGUENEAU (le saluant avec empressement):
Six heures.

CYRANO (avec emotion):
Dans une heure!

(Il va et vient dans la boutique.)

RAGUENEAU (le suivant):
Bravo! J'ai vu. . .

CYRANO:
Quoi donc!

RAGUENEAU:
Votre combat!. . .

CYRANO:
Lequel?

RAGUENEAU:
Celui de l'hotel de Bourgogne!

CYRANO (avec dedain):
Ah!. . .Le duel!

RAGUENEAU (admiratif):
Oui, le duel en vers!. . .

LISE:
Il en a plein la bouche!

CYRANO:
Allons! tant mieux!

RAGUENEAU (se fendant avec une broche qu'il a saisi):
'A la fin de l'envoi, je touche!. . .
A la fin de l'envoi, je touche!'. . .Que c'est beau!
(Avec un enthousiasme croissant):
'A la fin de l'envoi. . .'

CYRANO:
Quelle heure, Ragueneau?

RAGUENEAU (restant fendu pour regarder l'horloge):
Six heures cinq!. . .'. . .je touche!'
(Il se releve):
. . .Oh! faire une ballade!

LISE (a Cyrano, qui en passant devant son comptoir lui a serre distraitement
la main):
Qu'avez-vous a la main?

CYRANO:
Rien. Une estafilade.

RAGUENEAU:
Courutes-vous quelque peril?

CYRANO:
Aucun peril.

LISE (le menacant du doigt):
Je crois que vous mentez!

CYRANO:
Mon nez remuerait-il?
Il faudrait que ce fut pour un mensonge enorme!
(Changeant de ton):
J'attends ici quelqu'un. Si ce n'est pas sous l'orme,
Vous nous laisserez seuls.

RAGUENEAU:
C'est que je ne peux pas;
Mes rimeurs vont venir. . .

LISE (ironique):
Pour leur premier repas.

CYRANO:
Tu les eloigneras quand je te ferai signe. . .
L'heure?

RAGUENEAU:
Six heures dix.

CYRANO (s'asseyant nerveusement a la table de Ragueneau et prenant du papier):
Une plume?. . .

RAGUENEAU (lui offrant celle qu'il a a son oreille):
De cygne.

UN MOUSQUETAIRE (superbement moustachu, entre et d'une voix de stentor):
Salut!

(Lise remonte vivement vers lui.)

CYRANO (se retournant):
Qu'est-ce?

RAGUENEAU:
Un ami de ma femme. Un guerrier
Terrible,--a ce qu'il dit!. . .

CYRANO (reprenant la plume et eloignant du geste Ragueneau):
Chut!. . .
Ecrire,--plier,--
(A lui-meme):
Lui donner,--me sauver. . .
(Jetant la plume):
Lache!. . .Mais que je meure,
Si j'ose lui parler, lui dire un seul mot. . .
(A Ragueneau):
L'heure?

RAGUENEAU:
Six et quart!. . .

CYRANO (frappant sa poitrine):
--un seul mot de tous ceux que j'ai la!
Tandis qu'en ecrivant. . .
(Il reprend la plume):
Eh bien! ecrivons-la,
Cette lettre d'amour qu'en moi-meme j'ai faite
Et refaite cent fois, de sorte qu'elle est prete,
Et que mettant mon ame a cote du papier,
Je n'ai tout simplement qu'a la recopier.

(Il ecrit.--Derriere le vitrage de la porte on voit s'agiter des silhouettes
maigres et hesitantes.)



Scene 2.IV.

Ragueneau, Lise, le mousquetaire, Cyrano, a la petite table, ecrivant, les
poetes, vetus de noir, les bas tombants, couverts de boue.

LISE (entrant, a Ragueneau):
Les voici vos crottes!

PREMIER POETE (entrant, a Ragueneau):
Confrere!. . .

DEUXIEME POETE (de meme, lui secouant les mains):
Cher confrere!

TROISIEME POETE:
Aigle des patissiers!
(Il renifle):
Ca sent bon dans votre aire,

QUATRIEME POETE:
O Phoebus-Rotisseur!

CINQUIEME POETE:
Apollon maitre-queux!. . .

RAGUENEAU (entoure, embrasse, secoue):
Comme on est tout de suite a son aise avec eux!. . .

PREMIER POETE:
Nous fumes retardes par la foule attroupee
A la porte de Nesle!. . .

DEUXIEME POETE:
Ouverts a coups d'epee,
Huit malandrins sanglants illustraient les paves!

CYRANO (levant une seconde la tete):
Huit?. . .Tiens, je croyais sept.

(Il reprend sa lettre.)

RAGUENEAU (a Cyrano):
Est-ce que vous savez
Le heros du combat?

CYRANO (negligemment):
Moi?. . .Non!

LISE (au mousquetaire):
Et vous?

LE MOUSQUETAIRE (se frisant la moustache):
Peut-etre!

CYRANO (ecrivant, a part,--on l'entend murmurer de temps en temps):
'Je vous aime. . .'

PREMIER POETE:
Un seul homme, assurait-on, sut mettre
Toute une bande en fuite!. . .

DEUXIEME POETE:
Oh! c'etait curieux!
Des piques, des batons jonchaient le sol!. . .

CYRANO (ecrivant):
. . .'vos yeux'. . .

TROISIEME POETE:
On trouvait des chapeaux jusqu'au quai des Orfevres!

PREMIER POETE:
Sapristi! ce dut etre un feroce. . .

CYRANO (meme jeu):
. . .'vos levres'. . .

PREMIER POETE:
Un terrible geant, l'auteur de ces exploits!

CYRANO (meme jeu):
. . .'Et je m'evanouis de peur quand je vous vois.'

DEUXIEME POETE (happant un gateau):
Qu'as-tu rime de neuf, Ragueneau?

CYRANO (meme jeu):
. . .'qui vous aime'. . .
(Il s'arrete au moment de signer, et se leve, mettant sa lettre dans son
pourpoint):
Pas besoin de signer. Je la donne moi-meme.

RAGUENEAU (au deuxieme poete):
J'ai mis une recette en vers.

TROISIEME POETE (s'installant pres d'un plateau de choux a la creme):
Oyons ces vers!

QUATRIEME POETE (regardant une brioche qu'il a prise):
Cette brioche a mis son bonnet de travers.

(Il la decoiffe d'un coup de dent.)

PREMIER POETE:
Ce pain d'epice suit le rimeur famelique,
De ses yeux en amande aux sourcils d'angelique!

(Il happe le morceau de pain d'epice.)

DEUXIEME POETE:
Nous ecoutons.

TROISIEME POETE (serrant legerement un chou entre ses doigts):
Ce chou bave sa creme. Il rit.

DEUXIEME POETE (mordant a meme la grande lyre de patisserie):
Pour la premiere fois la Lyre me nourrit!

RAGUENEAU (qui s'est prepare a reciter, qui a tousse, assure son bonnet, pris
une pose):
Une recette en vers. . .

DEUXIEME POETE (au premier, lui donnant un coup de coude):
Tu dejeunes?

PREMIER POETE (au deuxieme):
Tu dines!

RAGUENEAU:
Comment on fait les tartelettes amandines.

Battez, pour qu'ils soient mousseux,
Quelques oeufs;
Incorporez a leur mousse
Un jus de cedrat choisi;
Versez-y
Un bon lait d'amande douce;

Mettez de la pate a flan
Dans le flanc
De moules a tartelette;
D'un doigt preste, abricotez
Les cotes;
Versez goutte a gouttelette

Votre mousse en ces puits, puis
Que ces puits
Passent au four, et, blondines,
Sortant en gais troupelets,
Ce sont les
Tartelettes amandines!

LES POETES (la bouche pleine):
Exquis! Delicieux!

UN POETE (s'etouffant):
Homph!

(Ils remontent vers le fond, en mangeant.)

CYRANO (qui a observe s'avance vers Ragueneau):
Berces par ta voix,
Ne vois-tu pas comme ils s'empiffrent?

RAGUENEAU (plus bas, avec un sourire):
Je le vois. . .
Sans regarder, de peur que cela ne les trouble;
Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double,
Puisque je satisfais un doux faible que j'ai
Tout en laissant manger ceux qui n'ont pas mange!

CYRANO (lui frappant sur l'epaule):
Toi, tu me plais!. . .
(Ragueneau va rejoindre ses amis. Cyrano le suit des yeux, puis, un peu
brusquement):
He la, Lise?
(Lise, en conversation tendre avec le mousquetaire, tressaille et descend vers
Cyrano):
Ce capitaine. . .
Vous assiege?

LISE (offensee):
Oh! mes yeux, d'une oeillade hautaine,
Savent vaincre quiconque attaque mes vertus.

CYRANO:
Euh! pour des yeux vainqueurs, je les trouve battus.

LISE (suffoquee):
Mais. . .

CYRANO (nettement):
Ragueneau me plait. C'est pourquoi, dame Lise,
Je defends que quelqu'un le ridicoculise.

LISE:
Mais. . .

CYRANO (qui a eleve la voix assez pour etre entendu du galant):
A bon entendeur. . .

(Il salue le mousquetaire, et va se mettre en observation, a la porte du fond,
apres avoir regarde l'horloge.)

LISE (au mousquetaire qui a simplement rendu son salut a Cyrano):
Vraiment, vous m'etonnez!. . .
Repondez. . .sur son nez. . .

LE MOUSQUETAIRE:
Sur son nez. . .sur son nez. . .

(Il s'eloigne vivement, Lise le suit.)

CYRANO (de la porte du fond, faisant signe a Ragueneau d'emmener les poetes):
Pst!. . .

RAGUENEAU (montrant aux poetes la porte de droite):
Nous serons bien mieux par la. . .

CYRANO (s'impatientant):
Pst! pst!. . .

RAGUENEAU (les entrainant):
Pour lire
Des vers. . .

PREMIER POETE (desespere, la bouche pleine):
Mais les gateaux!. . .

DEUXIEME POETE:
Emportons-les!

(Ils sortent tous derriere Ragueneau, processionellement, et apres avoir fait
une rafle de plateaux.)



Scene 2.V.

Cyrano, Roxane, la duegne.

CYRANO:
Je tire
Ma lettre si je sens seulement qu'il y a
Le moindre espoir!. . .
(Roxane, masquee, suivie de la duegne, parait derriere le vitrage. Il ouvre
vivement la porte):
Entrez!. . .
(Marchant sur la duegne):
Vous, deux mots, duegna!

LA DUEGNE:
Quatre.

CYRANO:
Etes-vous gourmande?

LA DUEGNE:
A m'en rendre malade.

CYRANO (prenant vivement des sacs de papier sur le comptoir):
Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade. . .

LA DUEGNE (piteuse):
Heu!. . .

CYRANO:
. . .que je vous remplis de darioles.

LA DUEGNE (changeant de figure):
Hou!

CYRANO:
Aimez-vous le gateau qu'on nomme petit chou?

LA DUEGNE (avec dignite):
Monsieur, j'en fais etat, lorsqu'il est a la creme.

CYRANO:
J'en plonge six pour vous dans le sein d'un poeme
De Saint-Amant! Et dans ces vers de Chapelain
Je depose un fragment, moins lourd, de poupelin.
--Ah! Vous aimez les gateaux frais?

LA DUEGNE:
J'en suis ferue!

CYRANO (lui chargeant les bras de sacs remplis):
Veuillez aller manger tous ceux-ci dans la rue.

LA DUEGNE:
Mais. . .

CYRANO (la poussant dehors):
Et ne revenez qu'apres avoir fini!

(Il referme la porte, redescend vers Roxane, et s'arrete, decouvert, a une
distance respectueuse.)



Scene 2.VI.

Cyrano, Roxane, la duegne, un instant.

CYRANO:
Que l'instant entre tous les instants soit beni,
Ou, cessant d'oublier qu'humblement je respire
Vous venez jusqu'ici pour me dire. . .me dire?. . .

ROXANE (qui s'est demasquee):
Mais tout d'abord merci, car ce drole, ce fat
Qu'au brave jeu d'epee, hier, vous avez fait mat,
C'est lui qu'un grand seigneur. . .epris de moi. . .

CYRANO:
De Guiche?

ROXANE (baissant les yeux):
Cherchait a m'imposer . . .comme mari. . .

CYRANO:
Postiche?
(Saluant):
Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux,
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.

ROXANE:
Puis. . .je voulais. . .Mais pour l'aveu que je viens faire,
Il faut que je revoie en vous le. . .presque frere,
Avec qui je jouais, dans le parc--pres du lac!. . .

CYRANO:
Oui. . .vous veniez tous les etes a Bergerac!

ROXANE:
Les roseaux fournissaient le bois pour vos epees?. . .

CYRANO:
Et les mais, les cheveux blonds pour vos poupees!

ROXANE:
C'etait le temps des jeux. . .

CYRANO:
Des murons aigrelets. . .

ROXANE:
Le temps ou vous faisiez tout ce que je voulais!. . .

CYRANO:
Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine. . .

ROXANE:
J'etais jolie, alors?

CYRANO:
Vous n'etiez pas vilaine.

ROXANE:
Parfois, la main en sang de quelque grimpement,
Vous accouriez!--Alors, jouant a la maman,
Je disais d'une voix qui tachait d'etre dure:
(Elle lui prend la main):
'Qu'est-ce que c'est encor que cette egratignure?'
(Elle s'arrete stupefaite):
Oh! C'est trop fort! Et celle-ci!
(Cyrano veut retirer sa main):
Non! Montrez-la!
Hein? a votre age, encor!--Ou t'es-tu fait cela?

CYRANO:
En jouant, du cote de la porte de Nesle.

ROXANE (s'asseyant a une table, et trempant son mouchoir dans un verre d'eau):
Donnez!

CYRANO (s'asseyant aussi):
Si gentiment! Si gaiement maternelle!

ROXANE:
Et, dites-moi,--pendant que j'ote un peu le sang,--
Ils etaient contre vous?

CYRANO:
Oh! pas tout a fait cent.

ROXANE:
Racontez!

CYRANO:
Non. Laissez. Mais vous, dites la chose
Que vous n'osiez tantot me dire. . .

ROXANE (sans quitter sa main):
A present, j'ose,
Car le passe m'encouragea de son parfum!
Oui, j'ose maintenant. Voila. J'aime quelqu'un.

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE:
Qui ne le sait pas d'ailleurs.

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE:
Pas encore.

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE:
Mais qui va bientot le savoir, s'il l'ignore.

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE:
Un pauvre garcon qui jusqu'ici m'aima
Timidement, de loin, sans oser le dire. . .

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE:
Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fievre.--
Mais moi, j'ai vu trembler les aveux sur sa levre.

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE (achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir):
Et figurez-vous, tenez, que, justement
Oui, mon cousin, il sert dans votre regiment!

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE (riant):
Puisqu'il est cadet dans votre compagnie!

CYRANO:
Ah!. . .

ROXANE:
Il a sur son front de l'esprit, du genie,
Il est fier, noble, jeune, intrepide, beau. . .

CYRANO (se levant tout pale):
Beau!

ROXANE:
Quoi? Qu'avez-vous?

CYRANO:
Moi, rien. . .C'est. . .c'est. . .
(Il montre sa main, avec un sourire):
C'est ce bobo.

ROXANE:
Enfin, je l'aime. Il faut d'ailleurs que je vous die
Que je ne l'ai jamais vu qu'a la Comedie. . .

CYRANO:
Vous ne vous etes donc pas parle?

ROXANE:
Nos yeux seuls.

CYRANO:
Mais comment savez-vous, alors?

ROXANE:
Sous les tilleuls
De la place Royale, on cause. . .Des bavardes
M'ont renseignee. . .

CYRANO:
Il est cadet?

ROXANE:
Cadet aux gardes.

CYRANO:
Son nom?

ROXANE:
Baron Christian de Neuvillette.

CYRANO:
Hein?. . .
Il n'est pas aux cadets.

ROXANE:
Si, depuis ce matin:
Capitaine Carbon de Castel-Jaloux.

CYRANO:
Vite,
Vite, on lance son coeur!. . .Mais, ma pauvre petite. . .

LA DUEGNE (ouvrant la porte du fond):
J'ai fini les gateaux, monsieur de Bergerac!

CYRANO:
Eh bien! lisez les vers imprimes sur le sac!
(La duegne disparait):
. . .Ma pauvre enfant, vous qui n'aimez que beau langage,
Bel esprit,--si c'etait un profane, un sauvage.

ROXANE:
Non, il a les cheveux d'un heros de d'Urfe!

CYRANO:
S'il etait aussi maldisant que bien coiffe!

ROXANE:
Non, tous les mots qu'il dit sont fins, je le devine!

CYRANO:
Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.
--Mais si c'etait un sot!. . .

ROXANE (frappant du pied):
Eh bien! j'en mourrais, la!

CYRANO (apres un temps):
Vous m'avez fait venir pour me dire cela?
Je n'en sens pas tres bien l'utilite, madame.

ROXANE:
Ah, c'est que quelqu'un hier m'a mis la mort dans l'ame,
Et me disant que tous, vous etes tous Gascons
Dans votre compagnie. . .

CYRANO:
Et que nous provoquons
Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre
Parmis les purs Gascons que nous sommes, sans l'etre?
C'est ce qu'on vous a dit?

ROXANE:
Et vous pensez si j'ai
Tremble pour lui!

CYRANO (entre ses dents):
Non sans raison!

ROXANE:
Mais j'ai songe
Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparutes,
Chatiant ce coquin, tenant tete a ces brutes,--
J'ai songe: s'il voulait, lui que tous ils craindront. . .

CYRANO:
C'est bien, je defendrai votre petit baron.

ROXANE:
Oh! n'est-ce pas que vous allez me le defendre?
J'ai toujours eu pour vous une amitie si tendre.

CYRANO:
Oui, oui.

ROXANE:
Vous serez son ami?

CYRANO:
Je le serai.

ROXANE:
Et jamais il n'aura de duel?

CYRANO:
C'est jure.

ROXANE:
Oh! je vous aime bien. Il faut que je m'en aille.
(Elle remet vivement son masque, une dentelle sur son front, et,
distraitement):
Mais vous ne m'avez pas raconte la bataille
De cette nuit. Vraiment ce dut etre inoui!. . .
--Dites-lui qu'il m'ecrive.
(Elle lui envoie un petit baiser de la main):
Oh! je vous aime!

CYRANO:
Oui, oui.

ROXANE:
Cent hommes contre vous? Allons, adieu.--Nous sommes
De grands amis!

CYRANO:
Oui, oui.

ROXANE:
Qu'il m'ecrive!--Cent hommes!--
Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis.
Cent hommes! Quel courage!

CYRANO (la saluant):
Oh! j'ai fait mieux depuis.

(Elle sort. Cyrano reste immobile, les yeux a terre. Un silence. La porte
de droite s'ouvre. Ragueneau passe sa tete.)



Scene 2.VII.

Cyrano, Ragueneau, les poetes, Carbon de Castel-Jaloux, les cadets, la foule,
etc., puis De Guiche.

RAGUENEAU:
Peut-on rentrer?

CYRANO (sans bouger):
Oui. . .

(Ragueneau fait signe et ses amis rentrent. En meme temps, a la porte du fond
parait Carbon de Castel-Jaloux, costume de capitaine aux gardes, qui fait de
grands gestes en apercevant Cyrano.)

CARBON DE CASTEL-JALOUX:
Le voila!

CYRANO (levant la tete):
Mon capitaine!. . .

CARBON (exultant):
Notre heros! Nous savons tout! Une trentaine
De mes cadets sont la!. . .

CYRANO (reculant):
Mais. . .

CARBON (voulant l'entrainer):
Viens! on veut te voir!

CYRANO:
Non!

CARBON:
Il boivent en face, a 'la Croix du Trahoir'.

CYRANO:
Je. . .

CARBON (remontant a la porte, et criant a la cantonade, d'une voix de
tonnerre):
Le heros refuse. Il est d'humeur bourrue!

UNE VOIX (au dehors):
Ah! Sandious!

(Tumulte au dehors, bruit d'epees et de bottes qui se rapprochent.)

CARBON (se frottant les mains):
Les voici qui traversent la rue!

LES CADETS (entrant dans la rotisserie):
Mille dious!--Capdedious!--Mordious!--Pocapdedious!

RAGUENEAU (reculant epouvante):
Messieurs, vous etes donc tous de Gascogne!

LES CADETS:
Tous!

UN CADET (a Cyrano):
Bravo!

CYRANO:
Baron!

UN AUTRE (lui secouant les mains):
Vivat!

CYRANO:
Baron!

TROISIEME CADET:
Que je t'embrasse!

CYRANO:
Baron!

PLUSIEURS GASCONS:
Embrassons-le!

CYRANO (ne sachant auquel repondre):
Baron!. . .baron!. . .de grace. . .

RAGUENEAU:
Vous etes tous barons, messieurs?

LES CADETS:
Tous?

RAGUENEAU:
Le sont-ils?. . .

PREMIER CADET:
On ferait une tour rien qu'avec nos tortils!

LE BRET (entrant, et courant a Cyrano):
On te cherche! Une foule en delire conduite
Par ceux qui cette nuit marcherent a ta suite. . .

CYRANO (epouvante):
Tu ne leur as pas dit ou je me trouve?. . .

LE BRET (se frottant les mains):
Si!

UN BOURGEOIS (entrant suivi d'un groupe):
Monsieur, tout le Marais se fait porter ici!

(Au dehors la rue s'est remplie de monde. Des chaises a porteurs, des
carrosses s'arretent.)

LE BRET (bas, souriant, a Cyrano):
Et Roxane?

CYRANO (vivement):
Tais-toi!

LA FOULE (criant dehors):
Cyrano!. . .

(Une cohue se precipite dans la patisserie. Bousculade. Acclamations.)

RAGUENEAU (debout sur une table):
Ma boutique
Est envahie! On casse tout! C'est magnifique!

DES GENS (autour de Cyrano):
Mon ami. . .mon ami. . .

CYRANO:
Je n'avais pas hier
Tant d'amis!

LE BRET (ravi):
Le succes!

UN PETIT MARQUIS (accourant, les mains tendues):
Si tu savais, mon cher. . .

CYRANO:
Si tu?. . .Tu?. . .Qu'est-ce donc qu'ensemble nous gardames?

UN AUTRE:
Je veux vous presenter, Monsieur, a quelques dames
Qui la, dans mon carrosse. . .

CYRANO (froidement):
Et vous d'abord, a moi,
Qui vous presentera?

LE BRET (stupefait):
Mais qu'as-tu donc?

CYRANO:
Tais-toi!

UN HOMME DE LETTRES (avec une ecritoire):
Puis-je avoir des details sur?. . .

CYRANO:
Non.

LE BRET (lui poussant le coude):
C'est Theophraste,
Renaudot! l'inventeur de la gazette.

CYRANO:
Baste!

LE BRET:
Cette feuille ou l'on fait tant de choses tenir!
On dit que cette idee a beaucoup d'avenir!

LE POETE (s'avancant):
Monsieur. . .

CYRANO:
Encor!

LE POETE:
Je veux faire un pentacrostiche
Sur votre nom. . .

QUELQU'UN (s'avancant encore):
Monsieur. . .

CYRANO:
Assez!

(Mouvement. On se range. De Guiche parait, escorte d'officiers. Cuigy,
Brissaille, les officiers qui sont partis avec Cyrano a la fin du premier
acte. Cuigy vient vivement a Cyrano.)

CUIGY (a Cyrano):
Monsieur de Guiche!
(Murmure. Tout le monde se range):
Vient de la part du marechal de Gassion!

DE GUICHE (saluant Cyrano):
. . .Qui tient a vous mander son admiration
Pour le nouvel exploit dont le bruit vient de courre.

LA FOULE:
Bravo!. . .

CYRANO (s'inclinant):
Le marechal s'y connait en bravoure.

DE GUICHE:
Il n'aurait jamais cru le fait si ces messieurs
N'avaient pu lui jurer l'avoir vu.

CUIGY:
De nos yeux!

LE BRET (bas a Cyrano, qui a l'air absent):
Mais. . .

CYRANO:
Tais-toi!

LE BRET:
Tu parais souffrir!

CYRANO (tressaillant et se redressant vivement):
Devant ce monde?. . .
(Sa moustache se herisse; il poitrine):
Moi souffrir?. . .Tu vas voir!

DE GUICHE (auquel Cuigy a parle a l'oreille):
Votre cariere abonde
De beaux exploits, deja.--Vous servez chez ces fous
De Gascons, n'est-ce pas?

CYRANO:
Aux cadets, oui.

UN CADET (d'une voix terrible):
Chez nous!

DE GUICHE (regardant les Gascons, ranges derriere Cyrano):
Ah! ah!. . .Tous ces messieurs a la mine hautaine,
Ce sont donc les fameux?. . .

CARBON DE CASTEL-JALOUX:
Cyrano!

CYRANO:
Capitaine?

CARBON:
Puisque ma compagnie est, je crois, au complet,
Veuillez la presenter au comte, s'il vous plait.

CYRANO (faisant deux pas vers De Guiche et montrant les cadets):
Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux!
Bretteurs et menteurs sans vergogne,
Ce sont les cadets de Gascogne!
Parlant blason, lambel, bastogne,
Tous plus nobles que des filous,
Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux:

Oeil d'aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups,
Fendant la canaille qui grogne,
Oeil d'aigle, jambe de cigogne,
Ils vont,--coiffes d'un vieux vigogne
Dont la plume cache les trous!--
Oeil d'aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups!

Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux;
De gloire, leur ame est ivrogne!
Perce-Bedaine et Casse-Trogne,
Dans tous les endroits ou l'on cogne
Ils se donnent des rendez-vous. . .
Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux!

Voici les cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux!
O femme, adorable carogne,
Voici les cadets de Gascogne!
Que le vieil epoux se renfrogne:
Sonnez, clairons! chantez, coucous!
Voici les cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux!

DE GUICHE (nonchalamment assis dans un fauteuil que Ragueneau a vite apporte):
Un poete est un luxe, aujourd'hui, qu'on se donne.
--Voulez-vous etre a moi?

CYRANO:
Non, Monsieur, a personne.

DE GUICHE:
Votre verve amusa mon oncle Richelieu,
Hier. Je veux vous servir aupres de lui.

LE BRET (ebloui):
Grand Dieu!

DE GUICHE:
Vous avez bien rime cinq actes, j'imagine?

LE BRET (a l'oreille de Cyrano):
Tu vas faire jouer, mon cher, ton 'Agrippine!'

DE GUICHE:
Portez-les-lui.

CYRANO (tente et un peu charme):
Vraiment. . .

DE GUICHE:
Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers. . .

CYRANO (dont le visage s'est immediatement rembruni):
Impossible, Monsieur; mon sang se coagule
En pensant qu'on y peut changer une virgule.

DE GUICHE:
Mais quand un vers lui plait, en revanche, mon cher,
Il le paye tres cher.

CYRANO:
Il le paye moins cher
Que moi, lorsque j'ai fait un vers, et que je l'aime,
Je me le paye, en me le chantant a moi-meme!

DE GUICHE:
Vous etes fier.

CYRANO:
Vraiment, vous l'avez remarque?

UN CADET (entrant avec, enfiles a son epee, des chapeaux aux plumets miteux,
aux coiffes trouees, defoncees):
Regarde, Cyrano! ce matin, sur le quai
Le bizarre gibier a plumes que nous primes!
Les feutres des fuyards!. . .

CARBON:
Des depouilles opimes!

TOUT LE MONDE (riant):
Ah! Ah! Ah!

CUIGY:
Celui qui posta ces gueux, ma foi,
Doit rager aujourd'hui.

BRISSAILLE:
Sait-on qui c'est?

DE GUICHE:
C'est moi.
(Les rires s'arretent):
Je les avais charges de chatier,--besogne
Qu'on ne fait pas soi-meme,--un rimailleur ivrogne.

(Silence gene.)

LE CADET (a mi-voix, a Cyrano, lui montrant les feutres):
Que faut-il qu'on en fasse? Ils sont gras. . .Un salmis?

CYRANO (prenant l'epee ou ils sont enfiles, et les faisant, dans un salut,
tous glisser aux pieds de De Guiche):
Monsieur, si vous voulez les rendre a vos amis?

DE GUICHE (se levant et d'une voix breve):
Ma chaise et mes porteurs, tout de suite: je monte.
(A Cyrano, violemment):
Vous, Monsieur!. . .

UNE VOIX (dans la rue, criant):
Les porteurs de monseigneur le comte De Guiche!

DE GUICHE (qui s'est domine, avec un sourire):
Avez-vous lu 'Don Quichot'?

CYRANO:
Je l'ai lu.
Et me decouvre au nom de cet hurluberlu.

DE GUICHE:
Veuillez donc mediter alors. . .

UN PORTEUR (paraissant au fond):
Voici la chaise.

DE GUICHE:
Sur le chapitre des moulins!

CYRANO (saluant):
Chapitre treize.

DE GUICHE:
Car, lorsqu'on les attaque, il arrive souvent. . .

CYRANO:
J'attaque donc des gens qui tournent a tout vent?

DE GUICHE:
Qu'un moulinet de leurs grands bras charges de toiles
Vous lance dans la boue!. . .

CYRANO:
Ou bien dans les etoiles!

(De Guiche sort. On le voit remonter en chaise. Les seigneurs s'eloignent en
chuchotant. Le Bret les reaccompagne. La foule sort.)



Scene 2.VIII.

Cyrano, Le Bret, les cadets, qui se sont attables a droite et a gauche et
auxquels on sert a boire et a manger.

CYRANO (saluant d'un air goguenard ceux qui sortent sans oser le saluer):
Messieurs. . .Messieurs. . .Messieurs. . .

LE BRET (desole, redescendant, les bras au ciel):
Ah! dans quels jolis draps.

CYRANO:
Oh! toi! tu vas grogner!

LE BRET:
Enfin, tu conviendras
Qu'assassiner toujours la chance passagere,
Devient exagere.

CYRANO:
He bien oui, j'exagere!

LE BRET (triomphant):
Ah!

CYRANO:
Mais pour le principe, et pour l'exemple aussi,
Je trouve qu'il est bon d'exagerer ainsi.

LE BRET:
Si tu laissais un peu ton ame mousquetaire,
La fortune et la gloire. . .

CYRANO:
Et que faudrait-il faire?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui lechant l'ecorce,
Grimper par ruse au lieu de s'elever par force?
Non, merci. Dedier, comme tous il le font,
Des vers aux financiers? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux levres d'un ministre,
Naitre un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre?
Non, merci. Dejeuner, chaque jour, d'un crapaud?
Avoir un ventre use par la marche? une peau
Qui plus vite, a l'endroit des genoux, devient sale?
Executer des tours de souplesse dorsale?. . .
Non, merci. D'une main flatter la chevre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et, donneur de sene par desir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe?
Non, merci! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames?
Non, merci! Chez le bon editeur de Sercy
Faire editer ses vers en payant? Non, merci!
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbeciles?
Non, merci! Travailler a se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres? Non,
Merci! Ne decouvrir du talent qu'aux mazettes?
Etre terrorise par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse: 'Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du "Mercure Francois"?'
Non, merci! Calculer, avoir peur, etre bleme,
Aimer mieux faire une visite qu'un poeme,
Rediger des placets, se faire presenter?
Non, merci! non, merci! non, merci! Mais. . .chanter,
Rever, rire, passer, etre seul, etre libre,
Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plait, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre,--ou faire un vers!
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage, auquel on pense, dans la lune!
N'ecrire jamais rien qui de soi ne sortit,
Et modeste d'ailleurs, se dire: mon petit,
Soit satisfait des fleurs, des fruits, meme des feuilles,
Si c'est dans ton jardin a toi que tu les cueilles!
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas etre oblige d'en rien rendre a Cesar,
Vis-a-vis de soi-meme en garder le merite,
Bref, dedaignant d'etre le lierre parasite,
Lors meme qu'on n'est pas le chene ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-etre, mais tout seul!

LE BRET:
Tout seul, soit! mais non pas contre tous! Comment diable
As-tu donc contracte la manie effroyable
De te faire toujours, partout, des ennemis?

CYRANO:
A force de vous voir vous faire des amis,
Et rire a ces amis dont vous avez des foules,
D'une bouche empruntee au derriere des poules!
J'aime rarefier sur mes pas les saluts,
Et m'ecrie avec joie: un ennemi de plus!

LE BRET:
Quelle aberration!

CYRANO:
Eh bien, oui, c'est mon vice.
Deplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me haisse.
Mon cher, si tu savais comme l'on marche mieux
Sous la pistoletade excitante des yeux!
Comme, sur les pourpoints, font d'amusantes taches
Le fiel des envieux et la bave des laches!
--Vous, la molle amitie dont vous vous entourez,
Ressemble a ces grands cols d'Italie, ajoures
Et flottants, dans lesquels votre cou s'effemine:
On y est plus a l'aise. . .et de moins haute mine,
Car le front n'ayant pas de maintien ni de loi,
S'abandonne a pencher dans tous les sens. Mais moi,
La Haine, chaque jour, me tuyaute et m'apprete
La fraise dont l'empois force a lever la tete;
Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
Qui m'ajoute une gene, et m'ajoute un rayon:
Car, pareille en tous points a la fraise espagnole,
La Haine est un carcan, mais c'est une aureole!

LE BRET (apres un silence, passant son bras sous le sien):
Fais tout haut l'orgueilleux et l'amer, mais, tout bas
Dis-moi tout simplement qu'elle ne t'aime pas!

CYRANO (vivement):
Tais-toi!

(Depuis un moment, Christian est entre, s'est mele aux cadets; ceux-ci ne lui
adressent pas la parole; il a fini par s'asseoir seul a une petite table, ou
Lise le sert.)



Scene 2.IX.

Cyrano, Le Bret, les cadets, Christian de Neuvillette.

UN CADET (assis a une table, le verre en main):
He! Cyrano!
(Cyrano se retourne):
Le recit?

CYRANO:
Tout a l'heure!
(Il remonte au bras de Le Bret. Ils causent bas.)

LE CADET (se levant, et descendant):
Le recit du combat! Ce sera la meilleure
Lecon
(Il s'arrete devant la table ou est Christian):
pour ce timide apprentif!

CHRISTIAN (levant la tete):
Apprentif?

UN AUTRE CADET:
Oui, septentrional maladif!

CHRISTIAN:
Maladif?

PREMIER CADET (goguenard):
Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose:
C'est qu'il est un objet, chez nous, dont on ne cause
Pas plus que de cordon dans l'hotel d'un pendu!

CHRISTIAN:
Qu'est-ce?

UN AUTRE CADET (d'une voix terrible):
Regardez-moi!
(Il pose trois fois, mysterieusement, son doigt sur son nez):
M'avez-vous entendu?

CHRISTIAN:
Ah! c'est le. . .

UN AUTRE:


 


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