De la Terre  la Lune
by
Jules Verne

Part 2 out of 5




.Parce que ce boulet, rpondit vivement J.-T. Maston, doit
tre assez gros pour attirer l'attention des habitants de la
Lune, s'il en existe toutefois.

.Oui, rpondit Barbicane, et pour une autre raison plus
importante encore.

.Que voulez-vous dire, Barbicane?/ demanda le major.

.Je veux dire qu'il ne suffit pas d'envoyer un projectile et
de ne plus s'en occuper; il faut que nous le suivions
pendant son parcours jusqu'au moment o il atteindra le
but./

.Hein!/ firent le gnral et le major, un peu surpris de la
proposition.

.Sans doute, reprit Barbicane en homme sr de lui, sans
doute, ou notre exprience ne produira aucun rsultat./

.Mais alors, rpliqua le major, vous allez donner  ce
projectile des dimensions normes?/

.Non. Veuillez bien m'couter. Vous savez que les
instruments d'optique ont acquis une grande perfection; avec
certains tlescopes on est dj parvenu  obtenir des
grossissements de six mille fois, et  ramener la Lune 
quarante milles environ (-- 16 lieues). Or,  cette
distance, les objets ayant soixante pieds de ct sont
parfaitement visibles. Si l'on n'a pas pouss plus loin la
puissance de pntration des tlescopes, c'est que cette
puissance ne s'exerce qu'au dtriment de leur clart, et la
Lune, qui n'est qu'un miroir rflchissant, n'envoie pas une
lumi
re assez intense pour qu'on puisse porter les
grossissements au-del de cette limite./

.Eh bien! que ferez-vous alors? demanda le gnral.
Donnerez-vous  votre projectile un diam
tre de soixante
pieds?/

.Non pas!/

.Vous vous chargerez donc de rendre la Lune plus lumineuse?/

.Parfaitement./

.Voil qui est fort!/ s'cria J.-T. Maston.

.Oui, fort simple, rpondit Barbicane. En effet, si je
parviens  diminuer l'paisseur de l'atmosph
re que traverse
la lumi
re de la Lune, n'aurais-je pas rendu cette lumi
re
plus intense?/

.videmment./

.Eh bien! pour obtenir ce rsultat, il me suffira d'tablir
un tlescope sur quelque montagne leve. Ce que nous
ferons./

.Je me rends, je me rends, rpondit le major. Vous avez une
faon de simplifier les choses!... Et quel grossissement
esprez-vous obtenir ainsi?/

.Un grossissement de quarante-huit mille fois, qui ram
nera
la Lune  cinq milles seulement, et, pour tre visibles, les
objets n'auront plus besoin d'avoir que neuf pieds de
diam
tre./

.Parfait! s'cria J.-T. Maston, notre projectile aura donc
neuf pieds de diam
tre?/

.Prcisment./

.Permettez-moi de vous dire, cependant, reprit le major
Elphiston, qu'il sera encore d'un poids tel, que.../

.Oh! major, rpondit Barbicane, avant de discuter son
poids, laissez-moi vous dire que nos p
res faisaient des
merveilles en ce genre. Loin de moi la pense de prtendre
que la balistique n'ait pas progress, mais il est bon de
savoir que, d
s le Moyen Age, on obtenait des rsultats
surprenants, j'oserai ajouter, plus surprenants que les
ntres./

.Par exemple! / rpliqua Morgan.

.Justifiez vos paroles,/ s'cria vivement J.-T. Maston.

.Rien n'est plus facile, rpondit Barbicane; j'ai des
exemples  l'appui de ma proposition. Ainsi, au si
ge de
Constantinople par Mahomet II, en 1453, on lana des boulets
de pierre qui pesaient dix-neuf cents livres, et qui
devaient tre d'une belle taille./

.Oh! oh! fit le major, dix-neuf cents livres, c'est un
gros chiffre!/

.A Malte, au temps des chevaliers, un certain canon du fort
Saint-Elme lanait des projectiles pesant deux mille cinq
cents livres./

.Pas possible!/

.Enfin, d'apr
s un historien franais, sous Louis XI, un
mortier lanait une bombe de cinq cents livres seulement;
mais cette bombe, partie de la Bastille, un endroit o les
fous enfermaient les sages, allait tomber  Charenton, un
endroit o les sages enferment les fous./

.Tr
s bien!/ dit J.-T. Maston.

.Depuis, qu'avons-nous vu, en somme? Les canons Armstrong
lancer des boulets de cinq cents livres, et les Columbiads
Rodman des projectiles d'une demi-tonne! Il semble donc
que, si les projectiles ont gagn en porte, ils ont perdu
en pesanteur. Or, si nous tournons nos efforts de ce ct,
nous devons arriver avec le progr
s de la science, 
dcupler le poids des boulets de Mahomet II, et des
chevaliers de Malte./

.C'est vident, rpondit le major, mais quel mtal
comptez-vous donc employer pour le projectile?/

.De la fonte de fer,/ tout simplement, dit le gnral
Morgan.

.Peuh! de la fonte! s'cria J.-T. Maston avec un profond
ddain, c'est bien commun pour un boulet destin  se rendre
 la Lune./

.N'exagrons pas, mon honorable ami, rpondit Morgan; la
fonte suffira./

.Eh bien! alors, reprit le major Elphiston, puisque la
pesanteur est proportionnelle  son volume, un boulet de
fonte, mesurant neuf pieds de diam
tre, sera encore d'un
poids pouvantable!/

.Oui, s'il est plein; non, s'il est creux,/ dit Barbicane.

.Creux! ce sera donc un obus?/

.O l'on pourra mettre des dpches, rpliqua J.-T. Maston,
et des chantillons de nos productions terrestres!/

.Oui, un obus, rpondit Barbicane; il le faut absolument; un
boulet plein de cent huit pouces p
serait plus de deux cent
mille livres, poids videmment trop considrable; cependant,
comme il faut conserver une certaine stabilit au
projectile, je propose de lui donner un poids de cinq mille
livres./

.Quelle sera donc l'paisseur de ses parois?/ demanda le
major.

.Si nous suivons la proportion rglementaire, reprit Morgan,
un diam
tre de cent huit pouces exigera des parois de deux
pieds au moins./

.Ce serait beaucoup trop, rpondit Barbicane; remarquez-le
bien, il ne s'agit pas ici d'un boulet destin  percer des
plaques; il suffira donc de lui donner des parois assez
fortes pour rsister  la pression des gaz de la poudre.
Voici donc le probl
me: quelle paisseur doit avoir un obus
en fonte de fer pour ne peser que vingt mille livres? Notre
habile calculateur, le brave Maston, va nous l'apprendre
sance tenante./

.Rien n'est plus facile/, rpliqua l'honorable secrtaire du
Comit.

Et ce disant, il traa quelques formules algbriques sur le
papier; on vit appara tre sous la plume des \(\pi\) et des
\(x\) levs  la deuxi
me puissance. Il eut mme l'air
d'extraire, sans y toucher, une certaine racine cubique, et
dit:

.Les parois auront  peine deux pouces d'paisseur./

.Sera-ce suffisant?/ demanda le major d'un air de doute.

.Non, rpondit le prsident Barbicane, non, videmment./

.Eh bien! alors, que faire?/ reprit Elphiston d'un air
assez embarrass.

.Employer un autre mtal que la fonte./

.Du cuivre?/ dit Morgan.

.Non, c'est encore trop lourd; et j'ai mieux que cela  vous
proposer./

.Quoi donc? / dit le major.

.De l'aluminium,/ rpondit Barbicane.

.De l'aluminium!/ s'cri
rent les trois coll
gues du
prsident.

.Sans doute, mes amis. Vous savez qu'un illustre chimiste
franais, Henri Sainte-Claire Deville, est parvenu, en 1854,
 obtenir l'aluminium en masse compacte. Or, ce prcieux
mtal a la blancheur de l'argent, l'inaltrabilit de l'or,
la tnacit du fer, la fusibilit du cuivre et la lg
ret
du verre; il se travaille facilement, il est extrmement
rpandu dans la nature, puisque l'alumine forme la base de
la plupart des roches, il est trois fois plus lger que le
fer, et il semble avoir t cr tout expr
s pour nous
fournir la mati
re de notre projectile!/

.Hurrah pour l'aluminium!/ s'cria le secrtaire du Comit,
toujours tr
s bruyant dans ses moments d'enthousiasme.

.Mais, mon cher prsident, dit le major, est-ce que le prix
de revient de l'aluminium n'est pas extrmement lev?/

.Il l'tait, rpondit Barbicane; aux premiers temps de sa
dcouverte, la livre d'aluminium cotait deux cent soixante
 deux cent quatre-vingts dollars (-- environ 1,500 francs);
puis elle est tombe  vingt-sept dollars (-- 150 F), et
aujourd'hui, enfin, elle vaut neuf dollars (-- 48.75 F)./

.Mais neuf dollars la livre, rpliqua le major, qui ne se
rendait pas facilement, c'est encore un prix norme!/

.Sans doute, mon cher major, mais non pas inabordable./

.Que p
sera donc le projectile?/ demanda Morgan.

.Voici ce qui rsulte de mes calculs, rpondit Barbicane; un
boulet de cent huit pouces de diam
tre et de douze pouces
[Trente centim
tres; le pouce amricain vaut 25
millim
tres.] d'paisseur p
serait, s'il tait en fonte de
fer, soixante-sept mille quatre cent quarante livres; en
fonte d'aluminium, son poids sera rduit  dix-neuf mille
deux cent cinquante livres./

.Parfait! s'cria Maston, voil qui rentre dans notre
programme./

.Parfait! parfait! rpliqua le major, mais ne savez-vous
pas qu' dix-huit dollars la livre, ce projectile
cotera.../

.Cent soixante-treize mille deux cent cinquante dollars
(--928,437.50 F), je le sais parfaitement; mais ne craignez
rien, mes amis, l'argent ne fera pas dfaut  notre
entreprise, je vous en rponds./

.Il pleuvra dans nos caisses,/ rpliqua J.-T. Maston.

.Eh bien! que pensez-vous de l'aluminium?/ demanda le
prsident.

.Adopt,/ rpondirent les trois membres du Comit.

.Quant  la forme du boulet, reprit Barbicane, elle importe
peu, puisque, l'atmosph
re une fois dpasse, le projectile
se trouvera dans le vide; je propose donc le boulet rond,
qui tournera sur lui-mme, si cela lui pla t, et se
comportera  sa fantaisie./

Ainsi se termina la premi
re sance du Comit; la question
du projectile tait dfinitivement rsolue, et J.-T. Maston
se rjouit fort de la pense d'envoyer un boulet d'aluminium
aux Slnites, .ce qui leur donnerait une crne ide des
habitants de la Terre/!




VIII


L'HISTOIRE DU CANON


Les rsolutions prises dans cette sance produisirent un
grand effet au-dehors. Quelques gens timors s'effrayaient
un peu  l'ide d'un boulet, pesant vingt mille livres,
lanc  travers l'espace. On se demandait quel canon
pourrait jamais transmettre une vitesse initiale suffisante
 une pareille masse. Le proc
s verbal de la seconde sance
du Comit devait rpondre victorieusement  ces questions.

Le lendemain soir, les quatre membres du Gun-Club
s'attablaient devant de nouvelles montagnes de sandwiches et
au bord d'un vritable ocan de th. La discussion reprit
aussitt son cours, et, cette fois, sans prambule.

.Mes chers coll
gues, dit Barbicane, nous allons nous
occuper de l'engin  construire, de sa longueur, de sa
forme, de sa composition et de son poids. Il est probable
que nous arriverons  lui donner des dimensions
gigantesques; mais si grandes que soient les difficults,
notre gnie industriel en aura facilement raison. Veuillez
donc m'couter, et ne m'pargnez pas les objections  bout
portant. Je ne les crains pas!/

Un grognement approbateur accueillit cette dclaration.

.N'oublions pas, reprit Barbicane,  quel point notre
discussion nous a conduits hier; le probl
me se prsente
maintenant sous cette forme: imprimer une vitesse initiale
de douze mille yards par seconde  un obus de cent huit
pouces de diam
tre et d'un poids de vingt mille livres.

.Voil bien le probl
me, en effet,/ rpondit le major
Elphiston.

.Je continue, reprit Barbicane. Quand un projectile est
lanc dans l'espace, que se passe-t-il? Il est sollicit
par trois forces indpendantes, la rsistance du milieu,
l'attraction de la Terre et la force d'impulsion dont il est
anim. Examinons ces trois forces. La rsistance du
milieu, c'est--dire la rsistance de l'air, sera peu
importante. En effet, l'atmosph
re terrestre n'a que
quarante milles (-- 16 lieues environ). Or, avec une
rapidit de douze mille yards, le projectile l'aura
traverse en cinq secondes, et ce temps est assez court pour
que la rsistance du milieu soit regarde comme
insignifiante. Passons alors  l'attraction de la Terre,
c'est--dire  la pesanteur de l'obus. Nous savons que
cette pesanteur diminuera en raison inverse du carr des
distances; en effet, voici ce que la physique nous apprend:
quand un corps abandonn  lui-mme tombe  la surface de la
Terre, sa chute est de quinze pieds [Soit 4 m
tres 90
centim
tres dans la premi
re seconde;  la distance o se
trouve la Lune, la chute ne serait plus que de 1 mm 1/3, ou
590 milli
mes de ligne.] dans la premi
re seconde, et si ce
mme corps tait transport  deux cent cinquante-sept mille
cent quarante-deux milles, autrement dit,  la distance o
se trouve la Lune, sa chute serait rduite  une demi-ligne
environ dans la premi
re seconde. C'est presque
l'immobilit. Il s'agit donc de vaincre progressivement
cette action de la pesanteur. Comment y parviendrons-nous?
Par la force d'impulsion./

.Voil la difficult,/ rpondit le major.

.La voil, en effet, reprit le prsident, mais nous en
triompherons, car cette force d'impulsion qui nous est
ncessaire rsultera de la longueur de l'engin et de la
quantit de poudre employe, celle-ci n'tant limite que
par la rsistance de celui-l. Occupons-nous donc
aujourd'hui des dimensions  donner au canon. Il est bien
entendu que nous pouvons l'tablir dans des conditions de
rsistance pour ainsi dire infinie, puisqu'il n'est pas
destin  tre manoeuvr./

.Tout ceci est vident,/ rpondit le gnral.

.Jusqu'ici, dit Barbicane, les canons les plus longs, nos
normes Columbiads, n'ont pas dpass vingt-cinq pieds en
longueur; nous allons donc tonner bien des gens par les
dimensions que nous serons forcs d'adopter./

.Eh! sans doute, s'cria J.-T. Maston. Pour mon compte, je
demande un canon d'un demi-mille au moins!/

.Un demi-mille!/ s'cri
rent le major et le gnral.

.Oui! un demi-mille, et il sera encore trop court de
moiti./

.Allons, Maston, rpondit Morgan, vous exagrez.

.Non pas! rpliqua le bouillant secrtaire, et je ne sais
vraiment pourquoi vous me taxez d'exagration./

.Parce que vous allez trop loin!/

.Sachez, monsieur, rpondit J.-T. Maston en prenant ses
grands airs, sachez qu'un artilleur est comme un boulet, il
ne peut jamais aller trop loin!/

La discussion tournait aux personnalits, mais le prsident
intervint.

.Du calme, mes amis, et raisonnons; il faut videmment un
canon d'une grande vole, puisque la longueur de la pi
ce
accro tra la dtente des gaz accumuls sous le projectile,
mais il est inutile de dpasser certaines limites.

.Parfaitement/, dit le major.

.Quelles sont les r
gles usites en pareil cas?
Ordinairement la longueur d'un canon est vingt  vingt-cinq
fois le diam
tre du boulet, et il p
se deux cent trente-cinq
 deux cent quarante fois son poids./

.Ce n'est pas assez/, s'cria J.-T. Maston avec imptuosit.

.J'en conviens, mon digne ami, et, en effet, en suivant
cette proportion, pour un projectile large de neuf pieds
pesant vingt mille livres, l'engin n'aurait qu'une longueur
de deux cent vingt-cinq pieds et un poids de sept millions
deux cent mille livres./

.C'est ridicule, rpartit J.-T. Maston. Autant prendre un
pistolet!/

.Je le pense aussi, rpondit Barbicane, c'est pourquoi je me
propose de quadrupler cette longueur et de construire un
canon de neuf cents pieds./

Le gnral et le major firent quelques objections; mais
nanmoins cette proposition, vivement soutenue par le
secrtaire du Gun-Club, fut dfinitivement adopte.

.Maintenant, dit Elphiston, quelle paisseur donner  ses
parois./

.Une paisseur de six pieds,/ rpondit Barbicane.

.Vous ne pensez sans doute pas  dresser une pareille masse
sur un afft?/ demanda le major.

.Ce serait pourtant superbe!/ dit J.-T. Maston.

.Mais impraticable, rpondit Barbicane. Non, je songe 
couler cet engin dans le sol mme,  le fretter avec des
cercles de fer forg, et enfin  l'entourer d'un pais
massif de maonnerie  pierre et  chaux, de telle faon
qu'il participe de toute la rsistance du terrain
environnant. Une fois la pi
ce fondue, l'me sera
soigneusement alse et calibre, de mani
re  empcher le
vent [C'est l'espace qui existe quelquefois entre le
projectile et l'me de la pi
ce.] du boulet; ainsi il n'y
aura aucune dperdition de gaz, et toute la force expansive
de la poudre sera employe  l'impulsion.

.Hurrah! hurrah!/ fit J.-T. Maston, .nous tenons notre
canon./


.Pas encore!/ rpondit Barbicane en calmant de la main son
impatient ami.

.Et pourquoi?/

.Parce que nous n'avons pas discut sa forme. Sera-ce un
canon, un obusier ou un mortier?/

.Un canon,/ rpliqua Morgan.

.Un obusier,/ repartit le major.

.Un mortier!/ s'cria J.-T. Maston.

Une nouvelle discussion assez vive allait s'engager, chacun
prconisant son arme favorite, lorsque le prsident l'arrta
net.

.Mes amis, dit-il, je vais vous mettre tous d'accord; notre
Columbiad tiendra de ces trois bouches  feu  la fois. Ce
sera un canon, puisque la chambre de la poudre aura le mme
diam
tre que l'me. Ce sera un obusier, puisqu'il lancera
un obus. Enfin, ce sera un mortier, puisqu'il sera braqu
sous un angle de quatre-vingt-dix degrs, et que, sans recul
possible, inbranlablement fix au sol, il communiquera au
projectile toute la puissance d'impulsion accumule dans ses
flancs.

.Adopt, adopt,/ rpondirent les membres du Comit.

.Une simple rflexion, dit Elphiston, ce can-obuso-mortier
sera-t-il ray?/

.Non, rpondit Barbicane, non; il nous faut une vitesse
initiale norme, et vous savez bien que le boulet sort moins
rapidement des canons rays que des canons  me lisse./

.C'est juste./

.Enfin, nous le tenons, cette fois!/ rpta J.-T. Maston.

.Pas tout  fait encore,/ rpliqua le prsident.

.Et pourquoi?/

.Parce que nous ne savons pas encore de quel mtal il sera
fait./

.Dcidons-le sans retard./

.J'allais vous le proposer./

Les quatre membres du Comit aval
rent chacun une douzaine
de sandwiches suivis d'un bol de th, et la discussion
recommena.

.Mes braves coll
gues, dit Barbicane, notre canon doit tre
d'une grande tnacit, d'une grande duret, infusible  la
chaleur, indissoluble et inoxydable  l'action corrosive des
acides./

.Il n'y a pas de doute  cet gard, rpondit le major, et
comme il faudra employer une quantit considrable de mtal,
nous n'aurons pas l'embarras du choix./

.Eh bien! alors, dit Morgan, je propose pour la fabrication
de la Columbiad le meilleur alliage connu jusqu'ici,
c'est--dire cent parties de cuivre, douze parties d'tain
et six parties de laiton./

.Mes amis, rpondit le prsident, j'avoue que cette
composition a donn des rsultats excellents; mais, dans
l'esp
ce, elle coterait trop cher et serait d'un emploi
fort difficile. Je pense donc qu'il faut adopter une
mati
re excellente, mais  bas prix, telle que la fonte de
fer. N'est-ce pas votre avis, major?/

.Parfaitement,/ rpondit Elphiston.

.En effet, reprit Barbicane, la fonte de fer cote dix fois
moins que le bronze; elle est facile  fondre, elle se coule
simplement dans des moules de sable, elle est d'une
manipulation rapide; c'est donc  la fois conomie d'argent
et de temps. D'ailleurs, cette mati
re est excellente, et
je me
rappelle que pendant la guerre, au si
ge d'Atlanta, des
pi
ces en fonte ont tir mille coups chacune de vingt
minutes en vingt minutes, sans en avoir souffert./

.Cependant, la fonte est tr
s cassante,/ rpondit Morgan.

.Oui, mais tr
s rsistante aussi; d'ailleurs, nous
n'claterons pas, je vous en rponds./

.On peut clater et tre honnte,/ rpliqua sentencieusement
J.-T. Maston.

.videmment, rpondit Barbicane. Je vais donc prier notre
digne secrtaire de calculer le poids d'un canon de fonte
long de neuf cents pieds, d'un diam
tre intrieur de neuf
pieds, avec parois de six pieds d'paisseur./

.A l'instant/, rpondit J.-T. Maston.

Et, ainsi qu'il avait fait la veille, il aligna ses formules
avec une merveilleuse facilit, et dit au bout d'une minute:

.Ce canon p
sera soixante-huit mille quarante tonnes
(--68,040,000 kg).

.Et  deux _cents_ la livre (-- 10 centimes), il
cotera?.../

.Deux millions cinq cent dix mille sept cent un dollars
(--13,608,000 francs)./

J.-T. Maston, le major et le gnral regard
rent Barbicane
d'un air inquiet.

.Eh bien! messieurs, dit le prsident, je vous rpterai ce
que je vous disais hier, soyez tranquilles, les millions ne
nous manqueront pas!/

Sur cette assurance de son prsident, le Comit se spara,
apr
s avoir remis au lendemain soir sa troisi
me sance.



IX


LA QUESTION DES POUDRES


Restait  traiter la question des poudres. Le public
attendait avec anxit cette derni
re dcision. La grosseur
du projectile, la longueur du canon tant donnes, quelle
serait la quantit de poudre ncessaire pour produire
l'impulsion? Cet agent terrible, dont l'homme a cependant
ma tris les effets, allait tre appel  jouer son rle
dans des proportions inaccoutumes.

On sait gnralement et l'on rp
te volontiers que la poudre
fut invente au XIVe si
cle par le moine Schwartz, qui paya
de sa vie sa grande dcouverte. Mais il est  peu pr
s
prouv maintenant que cette histoire doit tre range parmi
les lgendes du Moyen Age. La poudre n'a t invente par
personne; elle drive directement des feux grgeois,
composs comme elle de soufre et de salptre. Seulement,
depuis cette poque, ces mlanges, qui n'taient que des
mlanges fusants, se sont transforms en mlanges dtonants.

Mais si les rudits savent parfaitement la fausse histoire
de la poudre, peu de gens se rendent compte de sa puissance
mcanique. Or, c'est ce qu'il faut conna tre pour
comprendre l'importance de la question soumise au Comit.

Ainsi un litre de poudre p
se environ deux livres (-- 900
grammes [La livre amricaine est de 453 g.]); il produit en
s'enflammant quatre cents litres de gaz, ces gaz rendus
libres, et sous l'action d'une temprature porte  deux
mille quatre cents degrs, occupent l'espace de quatre mille
litres.
Donc le volume de la poudre est aux volumes des gaz produits
par sa dflagration comme un est  quatre mille. Que l'on
juge alors de l'effrayante pousse de ces gaz lorsqu'ils
sont comprims dans un espace quatre mille fois trop
resserr.

Voil ce que savaient parfaitement les membres du Comit
quand le lendemain ils entr
rent en sance. Barbicane donna
la parole au major Elphiston, qui avait t directeur des
poudres pendant la guerre.

.Mes chers camarades, dit ce chimiste distingu, je vais
commencer par des chiffres irrcusables qui nous serviront
de base. Le boulet de vingt-quatre dont nous parlait
avant-hier l'honorable J.-T. Maston en termes si potiques,
n'est chass de la bouche  feu que par seize livres de
poudre seulement./

.Vous tes certain du chiffre?/ demanda Barbicane.

.Absolument certain, rpondit le major. Le canon Armstrong
n'emploie que soixante-quinze livres de poudre pour un
projectile de huit cents livres, et la Columbiad Rodman ne
dpense que cent soixante livres de poudre pour envoyer 
six milles son boulet d'une demi-tonne. Ces faits ne
peuvent tre mis en doute, car je les ai relevs moi-mme
dans les proc
s-verbaux du Comit d'artillerie./

.Parfaitement,/ rpondit le gnral.

.Eh bien! reprit le major, voici la consquence  tirer de
ces chiffres, c'est que la quantit de poudre n'augmente pas
avec le poids du boulet: en effet, s'il fallait seize livres
de poudre pour un boulet de vingt-quatre; en d'autres
termes, si, dans les canons ordinaires, on emploie une
quantit de poudre pesant les deux tiers du poids du
projectile, cette proportionnalit n'est pas constante.
Calculez, et vous verrez que, pour le boulet d'une
demi-tonne, au lieu de trois cent trente-trois livres de
poudre, cette quantit a t rduite  cent soixante livres
seulement.

.O voulez-vous en venir?/ demanda le prsident.

.Si vous poussez votre thorie  l'extrme, mon cher major,
dit J.-T. Maston, vous arriverez  ceci, que, lorsque votre
boulet sera suffisamment lourd, vous ne mettrez plus de
poudre du tout."

.Mon ami Maston est foltre jusque dans les choses
srieuses, rpliqua le major, mais qu'il se rassure; je
proposerai bientt des quantits de poudre qui satisferont
son amour-propre d'artilleur. Seulement je tiens  constater
que, pendant la guerre, et pour les plus gros canons, le
poids de la poudre a t rduit, apr
s exprience, au
dixi
me du poids du boulet. /

.Rien n'est plus exact, dit Morgan. Mais avant de dcider
la quantit de poudre ncessaire pour donner l'impulsion, je
pense qu'il est bon de s'entendre sur sa nature./

.Nous emploierons de la poudre  gros grains, rpondit le
major; sa dflagration est plus rapide que celle du
pulvrin./

.Sans doute, rpliqua Morgan, mais elle est tr
s brisante et
finit par altrer l'me des pi
ces./

.Bon! ce qui est un inconvnient pour un canon destin 
faire un long service n'en est pas un pour notre Columbiad.
Nous ne courons aucun danger d'explosion, il faut que la
poudre s'enflamme instantanment, afin que son effet
mcanique soit complet./

.On pourrait, dit J.-T. Maston, percer plusieurs lumi
res,
de faon  mettre le feu sur divers points  la fois./

.Sans doute, rpondit Elphiston, mais cela rendrait la
manoeuvre plus difficile. J'en reviens donc  ma poudre 
gros grains, qui supprime ces difficults./

.Soit,/ rpondit le gnral.

.Pour charger sa Columbiad, reprit le major, Rodman
employait une poudre  grains gros comme des chtaignes,
faite avec du charbon de saule simplement torrfi dans des
chaudi
res de fonte. Cette poudre tait dure et luisante,
ne laissait aucune trace sur la main, renfermait dans une
grande proportion de l'hydrog
ne et de l'oxyg
ne, dflagrait
instantanment, et, quoique tr
s brisante, ne dtriorait
pas sensiblement les bouches  feu./

.Eh bien! il me semble, rpondit J.-T. Maston, que nous
n'avons pas  hsiter, et que notre choix est tout fait./

.A moins que vous ne prfriez de la poudre d'or/, rpliqua
le major en riant, ce qui lui valut un geste menaant du
crochet de son susceptible ami.

Jusqu'alors Barbicane s'tait tenu en dehors de la
discussion. Il laissait parler, il coutait. Il avait
videmment une ide. Aussi se contenta-t-il simplement de
dire:

.Maintenant, mes amis, quelle quantit de poudre
proposez-vous?/

Les trois membres du Gun-Club entre-regard
rent un instant.

.Deux cent mille livres,/ dit enfin Morgan.

.Cinq cent mille,/ rpliqua le major.

.Huit cent mille livres! / s'cria J.-T. Maston.

Cette fois, Elphiston n'osa pas taxer son coll
gue
d'exagration. En effet, il s'agissait d'envoyer jusqu' la
Lune un projectile pesant vingt mille livres et de lui
donner une force initiale de douze mille yards par seconde.
Un moment de silence suivit donc la triple proposition faite
par les trois coll
gues.

Il fut enfin rompu par le prsident Barbicane.

.Mes braves camarades, dit-il d'une voix tranquille, je pars
de ce principe que la rsistance de notre canon construit
dans des conditions voulues est illimite. Je vais donc
surprendre l'honorable J.-T. Maston en lui disant qu'il a
t timide dans ses calculs, et je proposerai de doubler ses
huit cent mille livres de poudre./

.Seize cent mille livres?/ fit J.-T. Maston en sautant sur
sa chaise.

.Tout autant./

.Mais alors il faudra en revenir  mon canon d'un demi-mille
de longueur./

.C'est vident,/ dit le major.

.Seize cent mille livres de poudre, reprit le secrtaire du
Comit, occuperont un espace de vingt-deux mille pieds cubes
[Un peu moins de 800 m
tres cubes.] environ; or, comme votre
canon n'a qu'une contenance de cinquante-quatre mille pieds
cubes [Deux mille m
tres cubes.], il sera  moiti rempli,
et l'me ne sera plus assez longue pour que la dtente des
gaz imprime au projectile une suffisante impulsion./

Il n'y avait rien  rpondre. J.-T. Maston disait vrai. On
regarda Barbicane.

.Cependant, reprit le prsident, je tiens  cette quantit
de poudre. Songez-y, seize cent mille livres de poudre
donneront naissance  six milliards de litres de gaz. Six
milliards! Vous entendez bien?/

.Mais alors comment faire?/ demanda le gnral.

.C'est tr
s simple; il faut rduire cette norme quantit de
poudre, tout en lui conservant cette puissance mcanique./

.Bon! mais par quel moyen?/

.Je vais vous le dire/, rpondit simplement Barbicane.

Ses interlocuteurs le dvor
rent des yeux.

.Rien n'est plus facile, en effet, reprit-il, que de ramener
cette masse de poudre  un volume quatre fois moins
considrable. Vous connaissez tous cette mati
re curieuse
qui constitue les tissus lmentaires des vgtaux, et qu'on
nomme cellulose./

.Ah! fit le major, je vous comprends, mon cher Barbicane./

.Cette mati
re, dit le prsident, s'obtient  l'tat de
puret parfaite dans divers corps, et surtout dans le coton,
qui n'est autre chose que le poil des graines du cotonnier.
Or, le coton, combin avec l'acide azotique  froid, se
transforme en une substance minemment insoluble, minemment
combustible, minemment explosive. Il y a quelques annes,
en 1832, un chimiste franais, Braconnot, dcouvrit cette
substance, qu'il appela xylo dine. En 1838, un autre
Franais, Pelouze, en tudia les diverses proprits, et
enfin, en 1846, Shonbein, professeur de chimie  Ble, la
proposa comme poudre de guerre. Cette poudre, c'est le
coton azotique.../

.Ou pyroxyle,/ rpondit Elphiston.

.Ou fulmi-coton,/ rpliqua Morgan.

.Il n'y a donc pas un nom d'Amricain  mettre au bas de
cette dcouverte?/ s'cria J.-T. Maston, pouss par un vif
sentiment d'amour-propre national.

.Pas un, malheureusement,/ rpondit le major.

.Cependant, pour satisfaire Maston, reprit le prsident, je
lui dirai que les travaux d'un de nos concitoyens peuvent
tre rattachs  l'tude de la cellulose, car le collodion,
qui est un des principaux agents de la photographie, est
tout simplement du pyroxyle dissous dans l'ther additionn
d'alcool, et il a t dcouvert par Maynard, alors tudiant
en mdecine  Boston./

.Eh bien! hurrah pour Maynard et pour le fulmi-coton!/
s'cria le bruyant secrtaire du Gun-Club.

.Je reviens au pyroxyle, reprit Barbicane. Vous connaissez
ses proprits, qui vont nous le rendre si prcieux; il se
prpare avec la plus grande facilit; du coton plong dans
de l'acide azotique fumant [Ainsi nomm, parce que, au
contact de l'air humide, il rpand d'paisses fumes
blanchtres.], pendant quinze minutes, puis lav  grande
eau, puis sch, et voil tout./

.Rien de plus simple, en effet,/ dit Morgan.

.De plus, le pyroxyle est inaltrable  l'humidit, qualit
prcieuse  nos yeux, puisqu'il faudra plusieurs jours pour
charger le canon; son inflammabilit a lieu  cent
soixante-dix degrs au lieu de deux cent quarante, et sa
dflagration est si subite, qu'on peut l'enflammer sur de la
poudre ordinaire, sans que celle-ci ait le temps de prendre
feu./

.Parfait,/ rpondit le major.

.Seulement il est plus coteux./

.Qu'importe?/ fit J.-T. Maston.

.Enfin il communique aux projectiles une vitesse quatre fois
suprieure  celle de la poudre. J'ajouterai mme que, si
l'on y mle les huit dixi
mes de son poids de nitrate de
potasse, sa puissance expansive est encore augmente dans
une grande proportion./

.Sera-ce ncessaire?/ demanda le major.

.Je ne le pense pas, rpondit Barbicane. Ainsi donc, au
lieu de seize cent mille livres de poudre, nous n'aurons que
quatre cent mille livres de fulmi-coton, et comme on peut
sans danger comprimer cinq cents livres de coton dans
vingt-sept pieds cubes, cette mati
re n'occupera qu'une
hauteur de trente toises dans la Columbiad. De cette faon,
le boulet aura plus de sept cents pieds d'me  parcourir
sous l'effort de six milliards de litres de gaz, avant de
prendre son vol vers l'astre des nuits!/

A cette priode, J.-T. Maston ne put contenir son motion;
il se jeta dans les bras de son ami avec la violence d'un
projectile, et il l'aurait dfonc, si Barbicane n'et t
bti  l'preuve de la bombe.

Cet incident termina la troisi
me sance du Comit.
Barbicane et ses audacieux coll
gues, auxquels rien ne
semblait impossible, venaient de rsoudre la question si
complexe du projectile, du canon et des poudres. Leur plan
tant fait, il n'y avait qu' l'excuter.

.Un simple dtail, une bagatelle/, disait J.-T. Maston.

[NOTA -- Dans cette discussion le prsident Barbicane
revendique pour l'un de ses compatriotes l'invention du
collodion. C'est une erreur, n'en dplaise au brave J.-T.
Maston, et elle vient de la similitude de deux noms.

En 1847, Maynard, tudiant en mdecine  Boston, a bien eu
l'ide d'employer le collodion au traitement des plaies,
mais le collodion tait connu en 1846. C'est  un Franais,
un esprit tr
s distingu, un savant tout  la fois peintre,
po
te, philosophe, hellniste et chimiste, M. Louis Mnard,
que revient l'honneur de cette grande dcouverte. -- J. V.]



X


UN ENNEMI SUR VINGT-CINQ MILLIONS D'AMIS


Le public amricain trouvait un puissant intrt dans les
moindres dtails de l'entreprise du Gun-Club. Il suivait
jour par jour les discussions du Comit. Les plus simples
prparatifs de cette grande exprience, les questions de
chiffres qu'elle soulevait, les difficults mcaniques 
rsoudre, en un mot, .sa mise en train/, voil ce qui le
passionnait au plus haut degr.

Plus d'un an allait s'couler entre le commencement des
travaux et leur ach
vement; mais ce laps de temps ne devait
pas tre vide d'motions; l'emplacement  choisir pour le
forage, la construction du moule, la fonte de la Columbiad,
son chargement tr
s prilleux, c'tait l plus qu'il ne
fallait pour exciter la curiosit publique. Le projectile,
une fois lanc, chapperait aux regards en quelques dixi
mes
de seconde; puis, ce qu'il deviendrait, comme il se
comporterait dans l'espace, de quelle faon il atteindrait
la Lune, c'est ce qu'un petit nombre de privilgis
verraient seuls de leurs propres yeux. Ainsi donc, les
prparatifs de l'exprience, les dtails prcis de
l'excution en constituaient alors le vritable intrt.

Cependant, l'attrait purement scientifique de l'entreprise
fut tout d'un coup surexcit par un incident.

On sait quelles nombreuses lgions d'admirateurs et d'amis
le projet Barbicane avait rallies  son auteur. Pourtant,
si honorable, si extraordinaire qu'elle ft, cette majorit
ne devait pas tre l'unanimit. Un seul homme, un seul dans
tous les tats de l'Union, protesta contre la tentative du
Gun-Club; il l'attaqua avec violence,  chaque occasion; et
la nature est ainsi faite, que Barbicane fut plus sensible 
cette opposition d'un seul qu'aux applaudissements de tous
les autres.

Cependant, il savait bien le motif de cette antipathie, d'o
venait cette inimiti solitaire, pourquoi elle tait
personnelle et d'ancienne date, enfin dans quelle rivalit
d'amour-propre elle avait pris naissance.

Cet ennemi persvrant, le prsident du Gun-Club ne l'avait
jamais vu. Heureusement, car la rencontre de ces deux hommes
et certainement entra n de fcheuses consquences. Ce
rival tait un savant comme Barbicane, une nature fi
re,
audacieuse, convaincue, violente, un pur Yankee. On le
nommait le capitaine Nicholl. Il habitait Philadelphie.

Personne n'ignore la lutte curieuse qui s'tablit pendant la
guerre fdrale entre le projectile et la cuirasse des
navires blinds; celui-l destin  percer celle-ci;
celle-ci dcide  ne point se laisser percer. De l une
transformation radicale de la marine dans les tats des deux
continents. Le boulet et la plaque lutt
rent avec un
acharnement sans exemple, l'un grossissant, l'autre
s'paississant dans une proportion constante. Les navires,
arms de pi
ces formidables, marchaient au feu sous l'abri
de leur invulnrable carapace. Les _Merrimac_, les
_Monitor_, les _Ram-Tenesse_, les _Weckausen_ [Navires de la
marine amricaine.] lanaient des projectiles normes, apr
s
s'tre cuirasss contre les projectiles des autres. Ils
faisaient  autrui ce qu'ils ne voulaient pas qu'on leur
f t, principe immoral sur lequel repose tout l'art de la
guerre.

Or, si Barbicane fut un grand fondeur de projectiles,
Nicholl fut un grand forgeur de plaques. L'un fondait nuit
et jour  Baltimore, et l'autre forgeait jour et nuit 
Philadelphie. Chacun suivait un courant d'ides
essentiellement oppos.

Aussitt que Barbicane inventait un nouveau boulet, Nicholl
inventait une nouvelle plaque. Le prsident du Gun-Club
passait sa vie  percer des trous, le capitaine  l'en
empcher. De l une rivalit de tous les instants qui
allait jusqu'aux personnes. Nicholl apparaissait dans les
rves de Barbicane sous la forme d'une cuirasse impntrable
contre laquelle il venait se briser, et Barbicane, dans les
songes de Nicholl, comme un projectile qui le perait de
part en part.

Cependant, bien qu'ils suivissent deux lignes divergentes,
ces savants auraient fini par se rencontrer, en dpit de
tous les axiomes de gomtrie; mais alors c'et t sur le
terrain du duel. Fort heureusement pour ces citoyens si
utiles  leur pays, une distance de cinquante  soixante
milles les sparait l'un de l'autre, et leurs amis
hriss
rent la route de tels obstacles qu'ils ne se
rencontr
rent jamais.

Maintenant, lequel des deux inventeurs l'avait emport sur
l'autre, on ne savait trop; les rsultats obtenus rendaient
difficile une juste apprciation. Il semblait cependant, en
fin de compte, que la cuirasse devait finir par cder au
boulet.

Nanmoins, il y avait doute pour les hommes comptents. Aux
derni
res expriences, les projectiles cylindro-coniques de
Barbicane vinrent se ficher comme des pingles sur les
plaques de Nicholl; ce jour-l, le forgeur de Philadelphie
se crut victorieux et n'eut plus assez de mpris pour son
rival; mais quand celui-ci substitua plus tard aux boulets
coniques de simples obus de six cents livres, le capitaine
dut en rabattre. En effet ces projectiles, quoique anims
d'une vitesse mdiocre [Le poids de la poudre employe
n'tait que l/12 du poids de l'obus.], bris
rent, trou
rent,
firent voler en morceaux les plaques du meilleur mtal.

Or, les choses en taient  ce point, la victoire semblait
devoir rester au boulet, quand la guerre finit le jour mme
o Nicholl terminait une nouvelle cuirasse d'acier forg!
C'tait un chef-d'oeuvre dans son genre; elle dfiait tous
les projectiles du monde. Le capitaine la fit transporter
au polygone de Washington, en provoquant le prsident du
Gun-Club  la briser. Barbicane, la paix tant faite, ne
voulut pas tenter l'exprience.

Alors Nicholl, furieux, offrit d'exposer sa plaque au choc
des boulets les plus invraisemblables, pleins, creux, ronds
ou coniques. Refus du prsident qui, dcidment, ne voulait
pas compromettre son dernier succ
s.

Nicholl, surexcit par cet enttement inqualifiable, voulut
tenter Barbicane en lui laissant toutes les chances. Il
proposa de mettre sa plaque  deux cents yards du canon.
Barbicane de s'obstiner dans son refus. A cent yards? Pas
mme  soixante-quinze.

.A cinquante alors, s'cria le capitaine par la voix des
journaux,  vingt-cinq yards ma plaque, et je me mettrai
derri
re!/

Barbicane fit rpondre que, quand mme le capitaine Nicholl
se mettrait devant, il ne tirerait pas davantage.

Nicholl,  cette rplique, ne se contint plus; il en vint
aux personnalits; il insinua que la poltronnerie tait
indivisible; que l'homme qui refuse de tirer un coup de
canon est bien pr
s d'en avoir peur; qu'en somme, ces
artilleurs qui se battent maintenant  six milles de
distance ont prudemment remplac le courage individuel par
les formules mathmatiques, et qu'au surplus il y a autant
de bravoure  attendre tranquillement un boulet derri
re une
plaque, qu' l'envoyer dans toutes les r
gles de l'art.

A ces insinuations Barbicane ne rpondit rien; peut-tre
mme ne les connut-il pas, car alors les calculs de sa
grande entreprise l'absorbaient enti
rement.

Lorsqu'il fit sa fameuse communication au Gun-Club, la
col
re du capitaine Nicholl fut porte  son paroxysme. Il
s'y mlait une suprme jalousie et un sentiment absolu
d'impuissance! Comment inventer quelque chose de mieux que
cette Columbiad de neuf cents pieds! Quelle cuirasse
rsisterait jamais  un projectile de vingt mille livres!
Nicholl demeura d'abord atterr, ananti, bris sous ce
.coup de canon/ puis il se releva, et rsolut d'craser la
proposition du poids de ses arguments.

Il attaqua donc tr
s violemment les travaux du Gun-Club; il
publia nombre de lettres que les journaux ne se refus
rent
pas  reproduire. Il essaya de dmolir scientifiquement
l'oeuvre de Barbicane. Une fois la guerre entame, il
appela  son aide des raisons de tout ordre, et,  vrai
dire, trop souvent spcieuses et de mauvais aloi.

D'abord, Barbicane fut tr
s violemment attaqu dans ses
chiffres; Nicholl chercha  prouver par A + B la fausset de
ses formules, et il l'accusa d'ignorer les principes
rudimentaires de la balistique. Entre autres erreurs, et
suivant ses calculs  lui, Nicholl, il tait absolument
impossible d'imprimer  un corps quelconque une vitesse de
douze mille yards par seconde; il soutint, l'alg
bre  la
main, que, mme avec cette vitesse, jamais un projectile
aussi pesant ne franchirait les limites de l'atmosph
re
terrestre! Il n'irait seulement pas  huit lieues! Mieux
encore. En regardant la vitesse comme acquise, en la tenant
pour suffisante, l'obus ne rsisterait pas  la pression des
gaz dvelopps par l'inflammation de seize cents mille
livres de poudre, et rsistt-il  cette pression, du moins
il ne supporterait pas une pareille temprature, il fondrait
 sa sortie de la Columbiad et retomberait en pluie
bouillante sur le crne des imprudents spectateurs.

Barbicane,  ces attaques, ne sourcilla pas et continua son
oeuvre.

Alors Nicholl prit la question sous d'autres faces; sans
parler de son inutilit  tous les points de vue, il regarda
l'exprience comme fort dangereuse, et pour les citoyens qui
autoriseraient de leur prsence un aussi condamnable
spectacle, et pour les villes voisines de ce dplorable
canon; il fit galement remarquer que si le projectile
n'atteignait pas son but, rsultat absolument impossible, il
retomberait videmment sur la Terre, et que la chute d'une
pareille masse, multiplie par le carr de sa vitesse,
compromettrait singuli
rement quelque point du globe. Donc,
en pareille circonstance, et sans porter atteinte aux droits
de citoyens libres, il tait des cas o l'intervention du
gouvernement devenait ncessaire, et il ne fallait pas
engager la sret de tous pour le bon plaisir d'un seul.

On voit  quelle exagration se laissait entra ner le
capitaine Nicholl. Il tait seul de son opinion. Aussi
personne ne tint compte de ses malencontreuses prophties.
On le laissa donc crier  son aise, et jusqu' s'poumoner,
puisque cela lui convenait. Il se faisait le dfenseur
d'une cause perdue d'avance; on l'entendait, mais on ne
l'coutait pas, et il n'enleva pas un seul admirateur au
prsident du Gun-Club. Celui-ci, d'ailleurs, ne prit mme
pas la peine de rtorquer les arguments de son rival.

Nicholl, accul dans ses derniers retranchements, et ne
pouvant mme pas payer de sa personne dans sa cause, rsolut
de payer de son argent. Il proposa donc publiquement dans
l'_Enquirer_ de Richmond une srie de paris conus en ces
termes et suivant une proportion croissante.

Il paria:

1x Que les fonds ncessaires  l'entreprise du Gun-Club ne
seraient pas faits, ci... 1000 dollars

2x Que l'opration de la fonte d'un canon de neuf cents
pieds tait impraticable et ne russirait pas,
ci.............. 2000 --

3x Qu'il serait impossible de charger la Columbiad, et que
le pyroxyle prendrait feu de lui-mme sous la pression du
projectile, ci......................3000 --

4x Que la Columbiad claterait au premier coup,
ci...............................4000 --

5x Que le boulet n'irait pas seulement  six milles et
retomberait quelques secondes apr
s avoir t lanc,
si......5000 --

On le voit c'tait une somme importante que risquait le
capitaine dans son invincible enttement. Il ne s'agissait
pas moins de quinze mille dollars [Quatre-vingt-un mille
trois cents francs.].

Malgr l'importance du pari, le 19 mai, il reut un pli
cachet, d'un laconisme superbe et conu en ces termes:

_Baltimore, 18 octobre_.


_Tenu_.

BARBICANE.



XI


FLORIDE ET TEXAS


Cependant, une question restait encore  dcider: il fallait
choisir un endroit favorable  l'exprience. Suivant la
recommandation de l'Observatoire de Cambridge, le tir devait
tre dirig perpendiculairement au plan de l'horizon,
c'est--dire vers le znith; or, la Lune ne monte au znith
que dans les lieux situs entre 0x et 28x de latitude, en
d'autres termes, sa dclinaison n'est que de 28x [La
dclinaison d'un astre est sa latitude dans la sph
re
cleste; l'ascension droite en est la longitude.]. Il
s'agissait donc de dterminer exactement le point du globe
o serait fondue l'immense Columbiad.

Le 20 octobre, le Gun-Club tant runi en sance gnrale,
Barbicane apporta une magnifique carte des tats-Unis de Z.
Belltropp. Mais, sans lui laisser le temps de la dployer,
J.-T. Maston avait demand la parole avec sa vhmence
habituelle, et parl en ces termes:

.Honorables coll
gues, la question qui va se traiter
aujourd'hui a une vritable importance nationale, et elle va
nous fournir l'occasion de faire un grand acte de
patriotisme./

Les membres du Gun-Club se regard
rent sans comprendre o
l'orateur voulait en venir.

.Aucun de vous, reprit-il, n'a la pense de transiger avec
la gloire de son pays, et s'il est un droit que l'Union
puisse revendiquer, c'est celui de receler dans ses flancs
le formidable canon du Gun-Club. Or, dans les circonstances
actuelles.../

.Brave Maston.../ dit le prsident.

.Permettez-moi de dvelopper ma pense, reprit l'orateur.
Dans les circonstances actuelles, nous sommes forcs de
choisir un lieu assez rapproch de l'quateur, pour que
l'exprience se fasse dans de bonnes conditions.../

.Si vous voulez bien.../ dit Barbicane.

.Je demande la libre discussion des ides, rpliqua le
bouillant J.-T. Maston, et je soutiens que le territoire
duquel s'lancera notre glorieux projectile doit appartenir
 l'Union./

.Sans doute!/ rpondirent quelques membres.

.Eh bien! puisque nos fronti
res ne sont pas assez
tendues, puisque au sud l'Ocan nous oppose une barri
re
infranchissable, puisqu'il nous faut chercher au-del des
tats-Unis et dans un pays limitrophe ce vingt-huiti
me
parall
le, c'est l un _casus belli_ lgitime, et je demande
que l'on dclare la guerre au Mexique!/

.Mais non! mais non!/ s'cria-t-on de toutes parts.

.Non! rpliqua J.-T. Maston. Voil un mot que je m'tonne
d'entendre dans cette enceinte!/

.Mais coutez donc!.../

.Jamais! jamais! s'cria le fougueux orateur. Tt ou tard
cette guerre se fera, et je demande qu'elle clate
aujourd'hui mme./

.Maston, dit Barbicane en faisant dtonner son timbre avec
fracas, je vous retire la parole!/

Maston voulut rpliquer, mais quelques-uns de ses coll
gues
parvinrent  le contenir.

.Je conviens, dit Barbicane, que l'exprience ne peut et ne
doit tre tente que sur le sol de l'Union, mais si mon
impatient ami m'et laiss parler, s'il et jet les yeux
sur une carte, il saurait qu'il est parfaitement inutile de
dclarer la guerre  nos voisins, car certaines fronti
res
des tats-Unis s'tendent au-del du vingt-huiti
me
parall
le. Voyez, nous avons  notre disposition toute la
partie mridionale du Texas et des Florides./

L'incident n'eut pas de suite; cependant, ce n fut pas sans
regret que J.-T. Maston se laissa convaincre. Il fut donc
dcid que la Columbiad serait coule, soit dans le sol du
Texas, soit dans celui de la Floride. Mais cette dcision
devait crer une rivalit sans exemple entre les villes de
ces deux tats.

Le vingt-huiti
me parall
le,  sa rencontre avec la cte
amricaine, traverse la pninsule de la Floride et la divise
en deux parties  peu pr
s gales. Puis, se jetant dans le
golfe du Mexique, il sous-tend l'arc form par les ctes de
l'Alabama, du Mississippi et de la Louisiane. Alors,
abordant
le Texas, dont il coupe un angle, il se prolonge  travers
le Mexique, franchit la Sonora, enjambe la vieille
Californie et va se perdre dans les mers du Pacifique. Il
n'y avait donc que les portions du Texas et de la Floride,
situes au-dessous de ce parall
le, qui fussent dans les
conditions de latitude recommandes par l'Observatoire de
Cambridge.

La Floride, dans sa partie mridionale, ne compte pas de
cits importantes. Elle est seulement hrisse de forts
levs contre les Indiens errants. Une seule ville,
Tampa-Town, pouvait rclamer en faveur de sa situation et se
prsenter avec ses droits.

Au Texas, au contraire, les villes sont plus nombreuses et
plus importantes, Corpus-Christi, dans le county de Nueces,
et toutes les cits situes sur le Rio-Bravo, Laredo,
Comalites, San-Ignacio, dans le Web, Roma, Rio-Grande-City,
dans le Starr, Edinburg, dans l'Hidalgo, Santa-Rita, el
Panda, Brownsville, dans le Camron, form
rent une ligue
imposante contre les prtentions de la Floride.

Aussi, la dcision  peine connue, les dputs texiens et
floridiens arriv
rent  Baltimore par le plus court; 
partir de ce moment, le prsident Barbicane et les membres
influents du Gun-Club furent assigs jour et nuit de
rclamations formidables. Si sept villes de la Gr
ce se
disput
rent l'honneur d'avoir vu na tre Hom
re, deux tats
tout entiers menaaient d'en venir aux mains  propos d'un
canon.

On vit alors ces .fr
res froces/ se promener en armes dans
les rues de la ville. A chaque rencontre, quelque conflit
tait  craindre, qui aurait eu des consquences
dsastreuses. Heureusement la prudence et l'adresse du
prsident Barbicane conjur
rent ce danger. Les
dmonstrations personnelles trouv
rent un drivatif dans les
journaux des divers tats. Ce fut ainsi que le _New York
Herald_ et la _Tribune_ soutinrent le Texas, tandis que le
_Times_ et l'_American Review_ prirent fait et cause pour
les dputs floridiens. Les membres du Gun-Club ne savaient
plus auquel entendre.

Le Texas arrivait fi
rement avec ses vingt-six comts, qu'il
semblait mettre en batterie; mais la Floride rpondait que
douze comts ouvaient plus que vingt-six, dans un pays six
fois plus petit.

Le Texas se targuait fort de ses trois cent trente mille
indig
nes, mais la Floride, moins vaste, se vantait d'tre
plus peuple avec cinquante-six mille. D'ailleurs elle
accusait le Texas d'avoir une spcialit de fi
vres
paludennes qui lui cotaient, bon an mal an, plusieurs
milliers d'habitants. Et elle n'avait pas tort.

A son tour, le Texas rpliquait qu'en fait de fi
vres la
Floride n'avait rien  lui envier, et qu'il tait au moins
imprudent de traiter les autres de pays malsains, quand on
avait l'honneur de possder le .vomito negro/  l'tat
chronique. Et il avait raison.

.D'ailleurs, ajoutaient les Texiens par l'organe du _New
York Herald_, on doit des gards  un tat o pousse le plus
beau coton de toute l'Amrique, un tat qui produit le
meilleur chne vert pour la construction des navires, un
tat qui renferme de la houille superbe et des mines de fer
dont le rendement est de cinquante pour cent de minerai
pur./

A cela l'_American Review_ rpondait que le sol de la
Floride, sans tre aussi riche, offrait de meilleures
conditions pour le moulage et la fonte de la Columbiad, car
il tait compos de sable et de terre argileuse.

.Mais, reprenaient les Texiens, avant de fondre quoi que ce
soit dans un pays, il faut arriver dans ce pays; or, les
communications avec la Floride sont difficiles, tandis que
la cte du Texas offre la baie de Galveston, qui a quatorze
lieues de tour et qui peut contenir les flottes du monde
entier.

.Bon! rptaient les journaux dvous aux Floridiens, vous
nous la donnez belle avec votre baie de Galveston situe
au-dessus du vingt-neuvi
me parall
le. N'avons-nous pas la
baie d'Espiritu-Santo, ouverte prcisment sur le
vingt-huiti
me degr de latitude, et par laquelle les
navires arrivent directement  Tampa-Town?/

.Jolie baie! rpondait le Texas, elle est  demi ensable!/

.Ensabls vous-mmes! s'criait la Floride. Ne dirait-on
pas que je suis un pays de sauvages?/

.Ma foi, les Sminoles courent encore vos prairies!/

.Eh bien! et vos Apaches et vos Comanches sont-ils donc
civiliss!/

La guerre se soutenait ainsi depuis quelques jours, quand la
Floride essaya d'entra ner son adversaire sur un autre
terrain, et un matin le _Times_ insinua que, l'entreprise
tant .essentiellement amricaine/, elle ne pouvait tre
tente que sur un territoire .essentiellement amricain/!

A ces mots le Texas bondit: .Amricains! s'cria-t-il, ne
le sommes-nous pas autant que vous? Le Texas et la Floride
n'ont-ils pas t incorpors tous les deux  l'Union en
1845?/

.Sans doute, rpondit le _Times_, mais nous appartenons aux
Amricains depuis 1820./

.Je le crois bien, rpliqua la _Tribune_; apr
s avoir t
Espagnols ou Anglais pendant deux cents ans, on vous a
vendus aux tats-Unis pour cinq millions de dollars!/

.Et qu'importe! rpliqu
rent les Floridiens, devons-nous en
rougir? En 1803, n'a-t-on pas achet la Louisiane 
Napolon au prix de seize millions de dollars
[Quatre-vingt-deux millions de francs.]?/

.C'est une honte! s'cri
rent alors les dputs du Texas.
Un misrable morceau de terre comme la Floride, oser se
comparer au Texas, qui, au lieu de se vendre, s'est fait
indpendant lui-mme, qui a chass les Mexicains le 2 mars
1836, qui s'est dclar rpublique fdrative apr
s la
victoire remporte par Samuel Houston aux bords du
San-Jacinto sur les troupes de Santa-Anna! Un pays enfin
qui s'est adjoint volontairement aux tats-Unis d'Amrique!

.Parce qu'il avait peur des Mexicains!/ rpondit la Floride.

Peur! Du jour o ce mot, vraiment trop vif, fut prononc,
la position devint intolrable. On s'attendit  un
gorgement des deux partis dans les rues de Baltimore. On
fut oblig de garder les dputs  vue.

Le prsident Barbicane ne savait o donner de la tte. Les
notes, les documents, les lettres grosses de menaces
pleuvaient dans sa maison. Quel parti devait-il prendre? Au
point de vue de l'appropriation du sol, de la facilit des
communications, de la rapidit des transports, les droits
des deux tats taient vritablement gaux. Quant aux
personnalits politiques, elles n'avaient que faire dans la
question.

Or, cette hsitation, cet embarras durait dj depuis
longtemps, quand Barbicane rsolut d'en sortir; il runit
ses coll
gues, et la solution qu'il leur proposa fut
profondment sage, comme on va le voir.

.En considrant bien, dit-il, ce qui vient de se passer
entre la Floride et le Texas, il est vident que les mmes
difficults se reproduiront entre les villes de l'tat
favoris. La rivalit descendra du genre  l'esp
ce, de
l'tat  la Cit, et voil tout. Or, le Texas poss
de onze
villes dans les conditions voulues, qui se disputeront
l'honneur de l'entreprise et nous creront de nouveaux
ennuis, tandis que la Floride n'en a qu'une. Va donc pour
la Floride et pour Tampa-Town!/

Cette dcision, rendue publique, atterra les dputs du
Texas. Ils entr
rent dans une indescriptible fureur et
adress
rent des provocations nominales aux divers membres du
Gun-Club. Les magistrats de Baltimore n'eurent plus qu'un
parti  prendre, et ils le prirent. On fit chauffer un
train
spcial, on y embarqua les Texiens bon gr mal gr, et ils
quitt
rent la ville avec une rapidit de trente milles 
l'heure.

Mais, si vite qu'ils fussent emports, ils eurent le temps
de jeter un dernier et menaant sarcasme  leurs
adversaires.

Faisant allusion au peu de largeur de la Floride, simple
presqu' le resserre entre deux mers, ils prtendirent
qu'elle ne rsisterait pas  la secousse du tir et qu'elle
sauterait au premier coup de canon.

.Eh bien! qu'elle saute!/ rpondirent les Floridiens avec
un laconisme digne des temps antiques.




XII


URBI ET ORBI


Les difficults astronomiques, mcaniques, topographiques
une fois rsolues, vint la question d'argent. Il s'agissait
de se procurer une somme norme pour l'excution du projet.
Nul particulier, nul tat mme n'aurait pu disposer des
millions ncessaires.

Le prsident Barbicane prit donc le parti, bien que
l'entreprise ft amricaine, d'en faire une affaire d'un
intrt universel et de demander  chaque peuple sa
coopration financi
re. C'tait  la fois le droit et le
devoir de toute la Terre d'intervenir dans les affaires de
son satellite. La souscription ouverte dans ce but
s'tendit de Baltimore au monde entier, _urbi et orbi_.

Cette souscription devait russir au-del de toute
esprance. Il s'agissait cependant de sommes  donner, non
 prter. L'opration tait purement dsintresse dans le
sens littral du mot, et n'offrait aucune chance de
bnfice.

Mais l'effet de la communication Barbicane ne s'tait pas
arrt aux fronti
res des tats-Unis; il avait franchi
l'Atlantique et le Pacifique, envahissant  la fois l'Asie
et l'Europe, l'Afrique et l'Ocanie. Les observatoires de
l'Union se mirent en rapport immdiat avec les observatoires
des pays trangers; les uns, ceux de Paris, de Ptersbourg,
du Cap, de Berlin, d'Altona, de Stockholm, de Varsovie, de
Hambourg, de Bude, de Bologne, de Malte, de Lisbonne, de
Bnar
s, de Madras, de Pking, firent parvenir leurs
compliments au Gun-Club; les autres gard
rent une prudente
expectative.

Quant  l'observatoire de Greenwich, approuv par les
vingt-deux autres tablissements astronomiques de la
Grande-Bretagne, il fut net; il nia hardiment la possibilit
du succ
s, et se rangea aux thories du capitaine Nicholl.
Aussi, tandis que diverses socits savantes promettaient
d'envoyer des dlgus  Tampa-Town, le bureau de Greenwich,
runi en sance, passa brutalement  l'ordre du jour sur la
proposition Barbicane. C'tait l de la belle et bonne
jalousie anglaise. Pas autre chose.

En somme, l'effet fut excellent dans le monde scientifique,
et de l il passa parmi les masses, qui, en gnral, se
passionn
rent pour la question. Fait d'une haute
importance, puisque ces masses allaient tre appeles 
souscrire un capital considrable.

Le prsident Barbicane, le 8 octobre, avait lanc un
manifeste empreint d'enthousiasme, et dans lequel il faisait
appel . tous les hommes de bonne volont sur la Terre/. Ce
document, traduit en toutes langues, russit beaucoup.

Les souscriptions furent ouvertes dans les principales
villes de l'Union pour se centraliser  la banque de
Baltimore, 9, Baltimore street; puis on souscrivit dans les
diffrents tats des deux continents:

A Vienne, chez S.-M. de Rothschild;

A Ptersbourg, chez Stieglitz et Ce;

A Paris, au Crdit mobilier;

A Stockholm, chez Tottie et Arfuredson;

A Londres, chez N.-M. de Rothschild et fils;

A Turin, chez Ardouin et Ce;

A Berlin, chez Mendelssohn;

A Gen
ve, chez Lombard, Odier et Ce;

A Constantinople,  la Banque Ottomane;

A Bruxelles, chez S. Lambert;

A Madrid, chez Daniel Weisweller;

A Amsterdam, au Crdit Nerlandais;

A Rome, chez Torlonia et Ce;

A Lisbonne, chez Lecesne;

A Copenhague,  la Banque prive;

A Buenos Aires,  la Banque Maua;

A Rio de Janeiro, mme maison;

A Montevideo, mme maison;

A Valparaiso, chez Thomas La Chambre et Ce;

A Mexico, chez Martin Daran et Ce;

A Lima, chez Thomas La Chambre et Ce.

Trois jours apr
s le manifeste du prsident Barbicane,
quatre millions de dollars [Vingt et un millions de francs
(21,680,000).] taient verss dans les diffrentes villes de
l'Union. Avec un pareil acompte, le Gun-Club pouvait dj
marcher.

Mais, quelques jours plus tard, les dpches apprenaient 
l'Amrique que les souscriptions trang
res se couvraient
avec un vritable empressement. Certains pays se
distinguaient par leur gnrosit; d'autres se desserraient
moins facilement. Affaire de temprament. Du reste, les
chiffres sont plus loquents que les paroles, et voici
l'tat officiel des sommes qui furent portes  l'actif du
Gun-Club, apr
s souscription close.

La Russie versa pour son contingent l'norme somme de trois
cent soixante-huit mille sept cent trente-trois roubles [Un
million quatre cent soixante-quinze mille francs.]. Pour
s'en tonner, il faudrait mconna tre le got scientifique
des Russes et le progr
s qu'ils impriment aux tudes
astronomiques, grce  leurs nombreux observatoires, dont le
principal a cot deux millions de roubles.

La France commena par rire de la prtention des Amricains.
La Lune servit de prtexte  mille calembours uss et  une
vingtaine de vaudevilles, dans lesquels le mauvais got le
disputait  l'ignorance. Mais, de mme que les Franais
pay
rent jadis apr
s avoir chant, ils pay
rent, cette fois,
apr
s avoir ri, et ils souscrivirent pour une somme de douze
cent cinquante-trois mille neuf cent trente francs. A ce
prix-l, ils avaient bien le droit de s'gayer un peu.

L'Autriche se montra suffisamment gnreuse au milieu de ses
tracas financiers. Sa part s'leva dans la contribution
publique  la somme de deux cent seize mille florins [Cinq
cent vingt mille francs.], qui furent les bienvenus.

Cinquante-deux mille rixdales [Deux cent
quatre-vingt-quatorze mille trois cent vingt francs.], tel
fut l'appoint de la Su
de et de la Norv
ge. Le chiffre
tait considrable relativement au pays; mais il et t
certainement plus lev, si la souscription avait eu lieu 
Christiania en mme temps qu' Stockholm. Pour une raison
ou pour une autre, les Norvgiens n'aiment pas  envoyer
leur argent en Su
de.

La Prusse, par un envoi de deux cent cinquante mille thalers
[Neuf cent trente-sept mille cinq cents francs.], tmoigna
de sa haute approbation pour l'entreprise. Ses diffrents
observatoires contribu
rent avec empressement pour une somme
importante et furent les plus ardents  encourager le
prsident Barbicane.

La Turquie se conduisit gnreusement; mais elle tait
personnellement intresse dans l'affaire; la Lune, en
effet, r
gle le cours de ses annes et son jene du Ramadan.
Elle ne pouvait faire moins que de donner un million trois
cent soixante-douze mille six cent quarante piastres [Trois
cent quarante-trois mille cent soixante francs.], et elle
les donna avec une ardeur qui dnonait, cependant, une
certaine pression du gouvernement de la Porte.

La Belgique se distingua entre tous les tats de second
ordre par un don de cinq cent treize mille francs, environ
douze centimes par habitant.

La Hollande et ses colonies s'intress
rent dans l'opration
pour cent dix mille florins [Deux cent trente-cinq mille
quatre cents francs.], demandant seulement qu'il leur ft
fait une bonification de cinq pour cent d'escompte,
puisqu'elles payaient comptant.

Le Danemark, un peu restreint dans son territoire, donna
cependant neuf mille ducats fins [Cent dix-sept mille quatre
cent quatorze francs.], ce qui prouve l'amour des Danois
pour les expditions scientifiques.

La Confdration germanique s'engagea pour trente-quatre
mille deux cent quatre-vingt-cinq florins [Soixante-douze
mille francs.]; on ne pouvait rien lui demander de plus;
d'ailleurs, elle n'et pas donn davantage.

Quoique tr
s gne, l'Italie trouva deux cent mille lires
dans les poches de ses enfants, mais en les retournant bien.
Si elle avait eu la Vntie, elle aurait fait mieux; mais
enfin elle n'avait pas la Vntie.

Les tats de l'glise ne crurent pas devoir envoyer moins de
sept mille quarante cus romains [Trente-huit mille seize
francs.], et le Portugal poussa son dvouement  la science
jusqu' trente mille cruzades [Cent treize mille deux cents
francs.].

Quant au Mexique, ce fut le denier de la veuve,
quatre-vingt-six piastres fortes [Mille sept cent vingt-sept
francs.]; mais les empires qui se fondent sont toujours un
peu gns.

Deux cent cinquante-sept francs, tel fut l'apport modeste de
la Suisse dans l'oeuvre amricaine. Il faut le dire
franchement, la Suisse ne voyait point le ct pratique de
l'opration; il ne lui semblait pas que l'action d'envoyer
un boulet dans la Lune ft de nature  tablir des relations
d'affaires avec l'astre des nuits, et il lui paraissait peu
prudent d'engager ses capitaux dans une entreprise aussi
alatoire. Apr
s tout, la Suisse avait peut-tre raison.

Quant  l'Espagne, il lui fut impossible de runir plus de
cent dix raux [Cinquante-neuf francs quarante-huit
centimes.]. Elle donna pour prtexte qu'elle avait ses
chemins de fer  terminer. La vrit est que la science
n'est pas tr
s bien vue dans ce pays-l. Il est encore un
peu arrir. Et puis certains Espagnols, non des moins
instruits, ne se rendaient pas un compte exact de la masse
du projectile compare  celle de la Lune; ils craignaient
qu'il ne v nt  dranger son orbite,  la troubler dans son
rle de satellite et  provoquer sa chute  la surface du
globe terrestre. Dans ce cas-l, il valait mieux
s'abstenir. Ce qu'ils firent,  quelques raux pr
s.

Restait l'Angleterre. On conna t la mprisante antipathie
avec laquelle elle accueillit la proposition Barbicane. Les
Anglais n'ont qu'une seule et mme me pour les vingt-cinq
millions d'habitants que renferme la Grande-Bretagne. Ils
donn
rent  entendre que l'entreprise du Gun-Club tait
contraire .au principe de non-intervention/, et ils ne
souscrivirent mme pas pour un farthing.

A cette nouvelle, le Gun-Club se contenta de hausser les
paules et revint  sa grande affaire. Quand l'Amrique du
Sud, c'est--dire le Prou, le Chili, le Brsil, les
provinces de la Plata, la Colombie, eurent pour leur
quote-part vers entre ses mains la somme de trois cent
mille dollars [Un million six cent vingt-six mille francs.],
il se trouva  la tte d'un capital considrable, dont voici
le dcompte:

Souscription des tats-Unis.... 4,000,000 dollars

Souscriptions trang
res....... 1,446,675 dollars

Total.......................... 5,446,675 dollars


C'tait donc cinq millions quatre cent quarante-six mille
six cent soixante-quinze dollars [Vingt-neuf millions cinq
cent vingt mille neuf cent quatre-vingt-trois francs
quarante centimes.] que le public versait dans la caisse du
Gun-Club.

Que personne ne soit surpris de l'importance de la somme.
Les travaux de la fonte, du forage, de la maonnerie, le
transport des ouvriers, leur installation dans un pays
presque inhabit, les constructions de fours et de
btiments, l'outillage des usines, la poudre, le projectile,
les faux frais, devaient, suivant les devis, l'absorber 
peu pr
s tout enti
re. Certains coups de canon de la guerre
fdrale sont revenus  mille dollars; celui du prsident
Barbicane, unique dans les fastes de l'artillerie, pouvait
bien coter cinq mille fois plus.

Le 20 octobre, un trait fut conclu avec l'usine de
Goldspring, pr
s New York, qui, pendant la guerre, avait
fourni  Parrott ses meilleurs canons de fonte.

Il fut stipul, entre les parties contractantes, que l'usine
de Goldspring s'engageait  transporter  Tampa-Town, dans
la Floride mridionale, le matriel ncessaire pour la fonte
de la Columbiad. Cette opration devait tre termine, au
plus tard, le 15 octobre prochain, et le canon livr en bon
tat, sous peine d'une indemnit de cent dollars [Cinq cent
quarante-deux francs.] par jour jusqu'au moment o la Lune
se prsenterait dans les mmes conditions, c'est--dire dans
dix-huit ans et onze jours. L'engagement des ouvriers, leur
paie, les amnagements ncessaires incombaient  la
compagnie du Goldspring.

Ce trait, fait double et de bonne foi, fut sign par I.
Barbicane, prsident du Gun-Club, et J. Murchison, directeur
de l'usine de Goldspring, qui approuv
rent l'criture de
part et d'autre.




XIII


STONE'S-HILL


Depuis le choix fait par les membres du Gun-Club au
dtriment du Texas, chacun en Amrique, o tout le monde
sait lire, se fit un devoir d'tudier la gographie de la
Floride. Jamais les libraires ne vendirent tant de
_Bartram's travel in Florida_, de _Roman's natural history
of East and West Florida_, de _William's territory of
Florida_, de _Cleland on the culture of the Sugar-Cane in
East Florida_. Il fallut imprimer de nouvelles ditions.
C'tait une fureur.

Barbicane avait mieux  faire qu' lire; il voulait voir de
ses propres yeux et marquer l'emplacement de la Columbiad.
Aussi, sans perdre un instant, il mit  la disposition de
l'Observatoire de Cambridge les fonds ncessaires  la
construction d'un tlescope, et traita avec la maison
Breadwill and Co. d'Albany, pour la confection du projectile
en aluminium; puis il quitta Baltimore, accompagn de J.-T.
Maston, du major Elphiston et du directeur de l'usine de
Goldspring.

Le lendemain, les quatre compagnons de route arriv
rent  La
Nouvelle-Orlans. L ils s'embarqu
rent immdiatement sur
le _Tampico_, aviso de la marine fdrale, que le
gouvernement mettait  leur disposition, et, les feux tant
pousss, les rivages de la Louisiane disparurent bientt 
leurs yeux.


La traverse ne fut pas longue; deux jours apr
s son dpart,
le _Tampico_, ayant franchi quatre cent quatre-vingts milles
[Environ deux cents lieues.], eut connaissance de la cte
floridienne. En approchant, Barbicane se vit en prsence
d'une terre basse, plate, d'un aspect assez infertile.
Apr
s avoir rang une suite d'anses riches en hu tres et en
homards, le _Tampico_ donna dans la baie d'Espiritu-Santo.

Cette baie se divise en deux rades allonges, la rade de
Tampa et la rade d'Hillisboro, dont le steamer franchit
bientt le goulet. Peu de temps apr
s, le fort Brooke
dessina ses batteries rasantes au-dessus des flots, et la
ville de Tampa apparut, ngligemment couche au fond du
petit port naturel form par l'embouchure de la rivi
re
Hillisboro.

Ce fut l que le _Tampico_ mouilla, le 22 octobre,  sept
heures du soir; les quatre passagers dbarqu
rent
immdiatement.

Barbicane sentit son coeur battre avec violence lorsqu'il
foula le sol floridien; il semblait le tter du pied, comme
fait un architecte d'une maison dont il prouve la solidit.
J.-T. Maston grattait la terre du bout de son crochet.

.Messieurs, dit alors Barbicane, nous n'avons pas de temps 
perdre, et d
s demain nous monterons  cheval pour
reconna tre le pays./

Au moment o Barbicane avait atterri, les trois mille
habitants de Tampa-Town s'taient ports  sa rencontre,
honneur bien d au prsident du Gun-Club qui les avait
favoriss de son choix. Ils le reurent au milieu
d'acclamations formidables; mais Barbicane se droba  toute
ovation, gagna une chambre de l'htel Franklin et ne voulut
recevoir personne. Le mtier d'homme cl
bre ne lui allait
dcidment pas.

Le lendemain, 23 octobre, de petits chevaux de race
espagnole, pleins de vigueur et de feu, piaffaient sous ses
fentres. Mais, au lieu de quatre, il y en avait cinquante,
avec leurs cavaliers. Barbicane descendit, accompagn de
ses trois compagnons, et s'tonna tout d'abord de se trouver
au milieu d'une pareille cavalcade. Il remarqua en outre
que chaque cavalier portait une carabine en bandouli


 


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