French Lyrics
by
Arthur Graves Canfield

Part 2 out of 8



Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naive.

Ces chants, de ma prison temoins harmonieux,
Feront a quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle:
La grace decorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront pres d'elle.


IAMBES

Quand au mouton belant la sombre boucherie
Ouvre ses cavernes de mort;
Pauvres chiens et moutons, toute la bergerie
Ne s'informe plus de son sort!
Les enfants qui suivaient ses ebats dans la plaine,
Les vierges aux belles couleurs
Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine
Entrelacaient rubans et fleurs,
Sans plus penser a lui, le mangent s'il est tendre.
Dans cet abime enseveli,
J'ai le meme destin. Je m'y devais attendre.
Accoutumons-nous a l'oubli.
Oublies comme moi dans cet affreux repaire,
Mille autres moutons, comme moi
Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire,
Seront servis au peuple-roi.
Que pouvaient mes amis? Oui, de leur main cherie
Un mot, a travers ces barreaux,
A verse quelque baume en mon ame fletrie;
De l'or peut-etre a mes bourreaux....
Mais tout est precipice. Ils ont eu droit de vivre.
Vivez, amis, vivez contents!
En depit de Bavus, soyez lents a me suivre;
Peut-etre en de plus heureux temps
J'ai moi-meme, a l'aspect des pleurs de l'infortune,
Detourne mes regards distraits;
A mon tour, aujourd'hui, mon malheur importune;
Vivez, amis, vivez en paix.




MARIE-JOSEPH CHENIER


LE CHANT DU DEPART

UN DEPUTE DU PEUPLE.

La victoire en chantant nous ouvre la barriere;
La liberte guide nos pas,
Et du nord au midi la trompette guerriere
A sonne l'heure des combats.
Tremblez, ennemis de la France,
Rois ivres de sang et d'orgueil!
Le peuple souverain s'avance;
Tyrans, descendez au cercueil.

_Choeur des guerriers_.

La republique nous appelle,
Sachons vaincre ou sachons perir;
Un Francais doit vivre pour elle,
Pour elle un Francais doit mourir.


UNE MERE DE FAMILLE.

De nos yeux maternels ne craignez pas les larmes:
Loin de nous de laches douleurs!
Nous devons triompher quand vous prenez les armes;
C'est aux rois a verser des pleurs.
Nous vous avons donne la vie,
Guerriers, elle n'est plus a vous;
Tous vos jours sont a la patrie;
Elle est votre mere avant nous.

_Choeur des ineres de famille_--La republique, etc.

DEUX VIEILLARDS.

Que le fer paternel arme la main des brave;
Songez a nous au champ de Mars;
Consacrez dans le sang des rois et des esclaves
Le fer beni par vos vieillards;
Et, rapportant sous la chaumiere
Des blessures et des vertus,
Venez fermer notre paupiere
Quand les tyrans ne seront plus.

_Choeurs des vieillards_--La republique, etc.

UN ENFANT.

De Barra, de Viala le sort nous fait envie;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu!
Le lache accable d'ans n'a point connu la vie!
Qui meurt pour le peuple a vecu.
Vous etes vaillants, nous le sommes:
Guidez-nous contre les tyrans;
Les republicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants!

_Choeur des enfants_--La republique, etc.

UNE EPOUSE.

Partez, vaillants epoux, les combats sont vos fetes;
Partez, modeles des guerriers;
Nous cueillerons des fleurs pour en ceindre vos tetes,
Nos mains tresseront vos lauriers!
Et si le temple de Memoire
S'ouvrait a vos manes vainqueurs,
Nos voix chanteront votre gloire,
Nos flancs porteront vos vengeurs.

_Choeur des epouses_--La republique, etc.


UNE JEUNE FILLE.

Et nous, soeurs des heros, nous qui de l'hymenee
Ignorons les aimables noeuds,
Si, pour s'unir un jour a notre destinee,
Les citoyens forment des voeux,
Qu'ils reviennent dans nos murailles,
Beaux de gloire et de liberte,
Et que leur sang dans les batailles
Ait coule pour l'egalite.

_Choeur des jeunes filles_--La republique, etc.

TROIS GUERRIERS.

Sur le fer, devant Dieu, nous jurons a nos peres,
A nos epouses, a nos soeurs,
A nos representants, a nos fils, a nos meres,
D'aneantir les oppresseurs:
En tous lieux, dans la nuit profonde
Plongeant l'infame royaute,
Les Francais donneront au monde
Et la paix et la liberte!

_Choeur general_--La republique, etc.




ARNAULT


LA FEUILLE

"De ta tige detachee,
Pauvre feuille dessechee,
Ou vas-tu?"--Je n'en sais rien.
L'orage a brise le chene
Qui seul etait mon soutien;
De son inconstante haleine
Le zephyr ou l'aquilon

Depuis ce jour me promene
De la foret a ta plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais ou le vent me mene,
Sans me plaindre ou m'effrayer;
Je vais ou va toute chose,
Ou va la feuille de rose
Et la feuille de laurier!




CHATEAUBRIAND


LE MONTAGNARD EXILE

Combien j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance!
Ma soeur, qu'ils etaient beaux les jours
De France!
O mon pays, sois mes amours
Toujours!

Te souvient-il que notre mere
Au foyer de notre chaumiere
Nous pressait sur son coeur joyeux,
Ma chere!
Et nous baisions ses blancs cheveux
Tous deux.

Ma soeur, te souvient-il encore
Du chateau que baignait la Dore?
Et de cette tant vieille tour
Du Maure,
Ou l'airain sonnait le retour
Du jour?

Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile;
Du vent qui courbait le roseau
Mobile,
Et du soleil couchant sur l'eau
Si beau?

Oh! qui me rendra mon Helene
Et ma montagne et le grand chene!
Leur souvenir fait tous les jours
Ma peine:
Mon pays sera mes amours
Toujours!




DESAUGIERS


MORALITE

Enfants de la folie,
Chantons;
Sur les maux de la vie
Glissons;
Plaisir jamais ne coute
De pleurs;
Il seme notre route
De fleurs.

Oui, portons son delire
Partout....
Le bonheur est de rire
De tout;
Pour etre aime des belles,
Aimons;
Un beau jour changent-elles,
Changeons.

Deja l'hiver de l'age
Accourt;
Profitons d'un passage
Si court;
L'avenir peut-il etre
Certain?
Nous finirons peut-etre
Demain.




CHARLES NODIER


LA JEUNE FILLE

Elle etait bien jolie, au matin, sans atours,
De son jardin naissant visitant les merveilles,
Dans leur nid d'ambroisie epiant ses abeilles,
Et du parterre en fleurs suivant les longs detours.

Elle etait bien jolie, au bal de la soiree,
Quand l'eclat des flambeaux illuminait son front,
Et que de bleus saphirs ou de roses paree
De la danse folatre elle menait le rond.

Elle etait bien jolie, a l'abri de son voile
Qu'elle livrait, flottant, au souffle de la nuit,
Quand pour la voir de loin, nous etions la sans bruit,
Heureux de la connaitre au reflet d'une etoile.

Elle etait bien jolie; et de pensers touchants,
D'un espoir vague et doux chaque jour embellie,
L'amour lui manquait seul pour etre plus jolie!....
Paix! ... voila son convoi qui passe dans les champs!....


LE BUISSON

S'il est un buisson quelque part
Borde de blancs fraisiers ou de noires prunelles,
Ou de l'oeil de la Vierge aux riantes prunelles,
Dans le creux des fosses, a l'abri d'un rempart!....

Ah! si son ombre printaniere
Couvrait avec amour la pente d'un ruisseau,
D'un ruisseau qui bondit sans souci de son eau,
Et qui va rejouir l'espoir de la meuniere!....

Si la liane aux blancs cornets
Y roulait en noeuds verts sur la branche embellie!
S'il protegeait au loin le muguet, l'ancolie,
Dont les filles des champs couronnent leurs bonnets!

Si ce buisson, nid de l'abeille,
Attirait quelque jour une vierge aux yeux doux,
Qui viendrait en dansant, et sans penser a nous,
De boutons demi-clos enrichir sa corbeille!....

S'il etait aime des oiseaux;
S'il voyait sautiller la mesange hardie;
S'il surveillait parfois la linotte etourdie,
Echappee en boitant au piege des reseaux!

S'il souriait, depuis l'aurore,
A l'abord inconstant d'un leger papillon,
Tout bigarre d'azur, d'or et de vermillon,
Qui va, vole et revient, vole et revient encore!

Si dans la brulante saison,
D'une nuit sans lumiere eclaircissant les voiles,
Les vers luisants venaient y semer leurs etoiles,
Qui de rayons d'argent blanchissent le gazon!....

Si, longtemps, des feux du soleil
Il pouvait garantir une fosse inconnue!
Enfants! dites-le-moi, l'heure est si bien venue!
Il fait froid. Il est tard. Je souffre, et j'ai sommeil.




BERANGER


LE ROI D'YVETOT

Il etait un roi d'Yvetot
Peu connu dans l'histoire,
Se levant tard, se couchant tot,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronne par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton,
Dit-on.
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'etait la!
La, la.

Il faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume,
Et sur un ane, pas a pas,
Parcourait son royaume.
Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde il n'avait rien
Qu'un chien.
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'etait la!
La, la.

Il n'avait de gout onereux
Qu'une soif un peu vive;
Mais, en rendant son peuple heureux,
Il faut bien qu'un roi vive.
Lui-meme, a table et sans suppot,
Sur chaque muid levait un pot
D'impot.
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'etait la!
La, la.

Aux filles de bonnes maisons
Comme il avait su plaire,
Ses sujets avaient cent raisons
De le nommer leur pere.
D'ailleurs il ne levait de ban
Que pour tirer, quatre fois l'an,
Au blanc.
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'etait la!
La, la.

Il n'agrandit point ses Etats,
Fut un voisin commode,
Et, modele des potentats,
Prit le plaisir pour code.
Ce n'est que lorsqu'il expira
Que le peuple, qui l'enterra,
Pleura.
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'etait la!
La, la.

On conserve encor le portrait
De ce digne et bon prince:
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la province.
Les jours de fete, bien souvent,
La foule s'ecrie en buvant
Devant:
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'etait la!
La, la.


LE VILAIN

He quoi! j'apprends que l'on critique
Le _de_ qui precede mon nom.
Etes-vous de noblesse antique?
Moi, noble? oh! vraiment, messieurs, non.
Non, d'aucune chevalerie
Je n'ai le brevet sur velin.
Je ne sais qu'aimer ma patrie....
Je suis vilain et tres vilain....
Je suis vilain,
Vilain, vilain.

Ah! sans un _de_ j'aurais du naitre;
Car, dans mon sang si j'ai bien lu,
Jadis mes aieux ont d'un maitre
Maudit le pouvoir absolu.
Ce pouvoir, sur sa vieille base,
Etant la meule du moulin,
Ils etaient le grain qu'elle ecrase.
Je suis vilain et tres vilain,
Je suis vilain,
Vilain, vilain.

Jamais aux discordes civiles
Mes braves aieux n'ont pris part;
De l'Anglais aucun dans nos villes
N'introduisit le leopard;
Et quand l'Eglise, par sa brigue,
Poussait l'Etat vers son declin,
Aucun d'eux n'a signe la Ligue.
Je suis vilain et tres vilain,
Je suis vilain,
Vilain, vilain.

Laissez-moi donc sous ma banniere,
Vous, messieurs, qui, le nez au vent,
Nobles par votre boutonniere,
Encensez tout soleil levant.
J'honore une race commune,
Car, sensible, quoique malin,
Je n'ai flatte que l'infortune.
Je suis vilain et tres vilain,
Je suis vilain,
Vilain, vilain.


MON HABIT

Sois-moi fidele, o pauvre habit que j'aime!
Ensemble nous devenons vieux.
Depuis dix ans je te brosse moi-meme,
Et Socrate n'eut pas fait mieux.
Quand le sort a ta mince etoffe
Livrerait de nouveaux combats,
Imite-moi, resiste en philosophe:
Mon vieil ami, ne nous separons pas.

Je me souviens, car j'ai bonne memoire,
Du premier jour ou je te mis.
C'etait ma fete, et, pour comble de gloire,
Tu fus chante par mes amis.
Ton indigence, qui m'honore,
Ne m'a point banni de leurs bras.
Tous ils sont prets a nous feter encore:
Mon vieil ami, ne nous separons pas.

A ton revers j'admire une reprise:
C'est encore un doux souvenir.
Feignant un soir de fuir la tendre Lise,
Je sens sa main me retenir.
On te dechire, et cet outrage
Aupres d'elle enchaine mes pas.
Lisette a mis deux jours a tant d'ouvrage:
Mon vieil ami, ne nous separons pas.

T'ai-je impregne des flots de musc et d'ambre
Qu'un fat exhale en se mirant?
M'a-t-on jamais vu dans une antichambre
T'exposer au mepris d'un grand?
Pour des rubans la France entiere
Fut en proie a de longs debats;
La fleur des champs brille a ta boutonniere:
Mon vieil ami, ne nous separons pas.

Ne crains plus tant ces jours de courses vaines
Ou notre destin fut pareil;
Ces jours meles de plaisirs et de peines,
Meles de pluie et de soleil.
Je dois bientot, il me le semble,
Mettre pour jamais habit bas.
Attends un peu; nous finirons ensemble:
Mon vieil ami, ne nous separons pas.


LES ETOILES QUI FILENT

Berger, tu dis que notre etoile
Regle nos jours et brille aux cieux.
--Oui, mon enfant; mais dans son voile
La nuit la derobe a nos yeux.
--Berger, sur cet azur tranquille
De lire on te croit le secret:
Quelle est cette etoile qui file,
Qui file, file, et disparait?

--Mon enfant, un mortel expire;
Son etoile tombe a l'instant.
Entre amis que la joie inspire,
Celui-ci buvait en chantant.
Heureux, il s'endort immobile
Aupres du vin qu'il celebrait....
--Encore une etoile qui file,
Qui file, file, et disparait.

--Mon enfant, qu'elle est pure et belle!
C'est celle d'un objet charmant:
Fille heureuse, amante fidele,
On l'accorde au plus tendre amant.
Des fleurs ceignent son front nubile,
Et de l'hymen l'autel est pret....
--Encore une etoile qui file,
Qui file, file, et disparait.

--Mon fils, c'est l'etoile rapide
D'un tres grand seigneur nouveau-ne.
Le berceau qu'il a laisse vide
D'or et de pourpre etait orne.
Des poisons qu'un flatteur distille
C'etait a qui le nourrirait....
--Encore une etoile qui file,
Qui file, file, et disparait.

--Mon enfant, quel eclair sinistre!
C'etait l'astre d'un favori
Qui se croyait un grand ministre
Quand de nos maux il avait ri.
Ceux qui servaient ce dieu fragile
Ont deja cache son portrait....
--Encore une etoile qui file,
Qui file, file, et disparait.

--Mon fils, quels pleurs seront les notres!
D'un riche nous perdons l'appui.
L'indigence glane chez d'autres,
Mais elle moissonnait chez lui.
Ce soir meme, sur d'un asile,
A son toit le pauvre accourait....
--Encore une etoile qui file,
Qui file, file, et disparait.

--C'est celle d'un puissant monarque!....
Va, mon fils, garde ta candeur,
Et que ton etoile ne marque
Par l'eclat ni par la grandeur.
Si tu brillais sans etre utile,
A ton dernier jour on dirait:
Ce n'est qu'une etoile qui file,
Qui file, file, et disparait.


LES SOUVENIRS DU PEUPLE

On parlera de sa gloire
Sous le chaume bien longtemps,
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaitra plus d'autre histoire.
La viendront les villageois
Dire alors a quelque vieille:
Par des recits d'autrefois,
Mere, abregez notre veille.
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le revere,
Oui, le revere.
Parlez-nous de lui, grand'mere,
Parlez-nous de lui.

Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa.
Voila bien longtemps de ca:
Je venais d'entrer en menage.
A pied grimpant le coteau
Ou pour voir je m'etais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Pres de lui je me troublai;
Il me dit: Bonjour, ma chere,
Bonjour, ma chere.
--Il vous a parle, grand'mere!
Il vous a parle!

L'an d'apres, moi, pauvre femme,
A Paris etant un jour,
Je le vis avec sa cour:

Il se rendait a Notre-Dame.
Tous les coeurs etaient contents;
On admirait son cortege.
Chacun disait: Quel beau temps!
Le ciel toujours le protege.
Son sourire etait bien doux;
D'un fils Dieu le rendait pere,
Le rendait pere.
--Quel beau jour pour vous, grand'mere!
Quel beau jour pour vous!

Mais quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux etrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper a la porte;
J'ouvre. Bon Dieu! c'etait lui,
Suivi d'une faible escorte.
Il s'assoit ou me voila,
S'ecriant: Oh! quelle guerre!
Oh! quelle guerre!
--Il s'est assis la, grand'mere!
Il s'est assis la!


J'ai faim, dit-il; et bien vite
Je sers piquette et pain bis;
Puis il seche ses habits,
Meme a dormir le feu l'invite.
Au reveil, voyant mes pleurs,
Il me dit: Bonne esperance!
Je cours de tous ses malheurs
Sous Paris venger la France.
Il part; et, comme un tresor,
J'ai depuis garde son verre,
Garde son verre.
--Vous l'avez encor, grand'mere!
Vous l'avez encor !

Le voici. Mais a sa perte
Le heros fut entraine.
Lui, qu'un pape a couronne,
Est mort dans une ile deserte.
Longtemps aucun ne l'a cru;
On disait: Il va paraitre.
Par mer il est accouru;
L'etranger va voir son maitre.
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amere!
Fut bien amere!
--Dieu vous benira, grand'mere,
Dieu vous benira.


LES FOUS

Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous,
Si des rangs sortent quelques hommes,
Tous nous crions: A bas les fous!
On les persecute, on les tue,
Sauf, apres un lent examen,
A leur dresser une statue
Pour la gloire du genre humain.

Combien de temps une pensee,
Vierge obscure, attend son epoux!
Les sots la traitent d'insensee;
Le sage lui dit: Cachez-vous.
Mais, la rencontrant loin du monde,
Un fou qui croit au lendemain
L'epouse; elle devient feconde
Pour le bonheur du genre humain.

J'ai vu Saint-Simon le prophete,
Riche d'abord, puis endette,
Qui des fondements jusqu'au faite
Refaisait la societe.
Plein de son oeuvre commencee,
Vieux, pour elle il tendait la main,
Sur qu'il embrassait la pensee
Qui doit sauver le genre humain.

Fourier nous dit: Sors de la fange,
Peuple en proie aux deceptions.
Travaille, groupe par phalange,
Dans un cercle d'attractions.
La terre, apres tant de desastres,
Forme avec le ciel un hymen,
Et la loi qui regit les astres
Donne la paix au genre humain!

Enfantin affranchit la femme,
L'appelle a partager nos droits.
Fi! dites-vous; sous l'epigramme
Ces fous reveurs tombent tous trois.
Messieurs, lorsqu'en vain notre sphere
Du bonheur cherche le chemin,
Honneur au fou qui ferait faire
Un reve heureux au genre humain!

Qui decouvrit un nouveau monde?
Un fou qu'on raillait en tout lieu.
Sur la croix que son sang inonde
Un fou qui meurt nous legue un Dieu,
Si demain, oubliant d'eclore,
Le jour manquait, eh bien! demain
Quelque fou trouverait encore
Un flambeau pour le genre humain.




MILLEVOYE


LA CHUTE DES FEUILLES

De la depouille de nos bois
L'automne avait jonche la terre;
Le bocage etait sans mystere,
Le rossignol etait sans voix.
Triste et mourant a son aurore
Un jeune malade, a pas lents,
Parcourait une fois encore
Le bois cher a ses premiers ans.

"Bois que j'aime, adieu! je succombe:
Votre deuil me predit mon sort,
Et dans chaque feuille qui tombe
Je lis un presage de mort!
Fatal oracle d'Epidaure,
Tu m'as dit: 'Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Et c'est pour la derniere fois.
La nuit du trepas t'environne;
Plus pale que la pale automne,
Tu t'inclines vers le tombeau.

Ta jeunesse sera fletrie
Avant l'herbe de la prairie,
Avant le pampre du coteau.'
Et je meurs! De sa froide baleine
Un vent funeste m'a touche,
Et mon hiver s'est approche
Quand mon printemps s'ecoule a peine.
Arbuste en un seul jour detruit,
Quelques fleurs faisaient ma parure;
Mais ma languissante verdure
Ne laisse apres elle aucun fruit.
Tombe, tombe, feuille ephemere,
Voile aux yeux ce triste chemin,
Cache au desespoir de ma mere
La place ou je serai demain!
Mais vers la solitaire allee
Si mon amante desolee
Venait pleurer quand le jour fuit,
Eveille par un leger bruit
Mon ombre un moment consolee."

Il dit, s'eloigne ... et sans retour!
La derniere feuille qui tombe
A signale son dernier jour.
Sous le chene on creusa sa tombe.
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolee;
Et le patre de la vallee
Troubla seul du bruit de ses pas
Le silence du mausolee.




MADAME DESBORDES-VALMORE


S'IL L'AVAIT SU

S'Il avait su quelle ame il a blessee,
Larmes du coeur, s'il avait pu vous voir,
Ah! si ce coeur, trop plein de sa pensee,
De l'exprimer eut garde le pouvoir,
Changer ainsi n'eut pas ete possible;
Fier de nourrir l'espoir qu'il a decu,
A tant d'amour il eut ete sensible,
S'il l'avait su.

S'il avait su tout ce qu'on peut attendre
D'une ame simple, ardente et sans detour,
Il eut voulu la mienne pour l'entendre.
Comme il l'inspire, il eut connu l'amour.
Mes yeux baisses recelaient cette flamme;
Dans leur pudeur n'a-t-il rien apercu?
Un tel secret valait toute son ame,
S'il l'avait su.

Si j'avais su, moi-meme, a quel empire
On s'abandonne en regardant ses yeux,
Sans le chercher comme l'air qu'on respire
J'aurais porte mes jours sous d'autres cieux
Il est trop tard pour renouer ma vie;
Ma vie etait un doux espoir decu:
Diras-tu pas, toi qui me l'as ravie,
Si j'avais su?


LES ROSES DE SAADI

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serres n'ont pu les contenir.

Les noeuds ont eclate. Les roses, envolees
Dans le vent, a la mer s'en sont toutes allees.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir.

La vague en a paru rouge et comme enflammee.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumee....
Respires-en sur moi l'odorant souvenir!


LE PREMIER AMOUR

Vous souvient-il de cette jeune amie,
Au regard tendre, au maintien sage et doux?
A peine, helas! au printemps de sa vie,
Son coeur sentit qu'il etait fait pour vous.

Point de serment, point de vaine promesse:
Si jeune encore, on ne les connait pas;
Son ame pure aimait avec ivresse,
Et se livrait sans honte et sans combats.

Elle a perdu son idole cherie;
Bonheur si doux a dure moins qu'un jour!
Elle n'est plus au printemps de sa vie:
Elle est encore a son premier amour.




LAMARTINE


LE LAC

Ainsi, toujours pousses vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit eternelle emportes sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'ocean des ages
Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'annee a peine a fini sa carriere,
Et pres des flots cheris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Ou tu la vis s'asseoir!

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dechires;
Ainsi le vent jetait l'ecume de tes ondes
Sur ses pieds adores.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence,
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout a coup des accents inconnus a la terre
Du rivage charme frapperent les echos;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chere
Laissa tomber ces mots:

"O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices
Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides delices
Des plus beaux de nos jours!

"Assez de malheureux ici-bas vous implorent:
Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les devorent;
Oubliez les heureux.

"Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'echappe et fuit;
Je dis a cette nuit: Sois plus lente; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

"Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive,
Hatons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule, et nous passons!"

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Ou l'amour a longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la meme vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passes pour jamais? quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?

Eternite, neant, passe, sombres abimes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?

O lac! rochers muets! grottes! foret obscure!
Vous que le temps epargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soif dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zephyr qui fremit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords repetes,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartes!

Que le vent qui gemit, le roseau qui soupire,
Que les parfums legers de ton air embaume,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise: "Ils ont aime!"


L'AUTOMNE

Salut, bois couronnes d'un reste de verdure!
Feuillages jaunissants sur les gazons epars!
Salut, derniers beaux jours! Le deuil de la nature
Convient a la douleur et plait a mes regards.

Je suis d'un pas reveur le sentier solitaire;
J'aime a revoir encor, pour la derniere fois,
Ce soleil palissant, dont la faible lumiere
Perce a peine a mes pieds l'obscurite des bois.

Oui, dans ces jours d'automne ou la nature expire,
A ses regards voiles je trouve plus d'attraits:
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des levres que la mort va fermer pour jamais.

Ainsi, pret a quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir evanoui,
Je me retourne encore et d'un regard d'envie
Je contemple ces biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme au bord de mon tombeau,
L'air est si parfume! la lumiere est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Je voudrais maintenant vider jusqu'a la lie
Ce calice mele de nectar et de fiel:
Au fond de cette coupe ou je buvais la vie,
Peut-etre restait-il une goutte de miel!

Peut-etre l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu!
Peut-etre, dans la foule, une ame que j'ignore
Aurait compris mon ame, et m'aurait repondu?....

La fleur tombe en livrant ses parfums au zephire;
A la vie, au soleil, ce sont la ses adieux;
Moi, je meurs; et mon ame, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et melodieux.


LE SOIR

Le soir ramene le silence.
Assis sur ces rochers deserts,
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s'avance.

Venus se leve a l'horizon;
A mes pieds l'etoile amoureuse
De sa lueur mysterieuse
Blanchit les tapis de gazon.

De ce hetre au feuillage sombre
J'entends frissonner les rameaux;
On dirait autour des tombeaux
Qu'on entend voltiger une ombre.

Tout a coup, detache des cieux,
Un rayon de l'astre nocturne,
Glissant sur mon front taciturne,
Vient mollement toucher mes yeux.

Doux reflet d'un globe de flamme,
Charmant rayon, que me veux-tu?
Viens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumiere a mon ame?

Descends-tu pour me reveler
Des mondes le divin mystere,
Ces secrets caches dans la sphere
Ou le jour va te rappeler!

Une secrete intelligence
T'adresse-t-elle aux malheureux?
Viens-tu, la nuit, briller sur eux
Comme un rayon de l'esperance?

Viens-tu devoiler l'avenir
Au coeur fatigue qui l'implore?
Rayon divin, es-tu l'aurore
Du jour qui ne doit pas finir?

Mon coeur a ta clarte s'enflamme,
Je sens des transports inconnus,
Je songe a ceux qui ne sont plus:
Douce lumiere, es-tu leur ame?

Peut-etre ces manes heureux
Glissent ainsi sur le bocage.
Enveloppe de leur image,
Je crois me sentir plus pres d'eux!

Ah! si c'est vous, ombres cheries,
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous meler a mes reveries.

Ramenez la paix et l'amour
Au sein de mon ame epuisee,
Comme la nocturne rosee
Qui tombe apres les feux du jour.

Venez! ... Mais des vapeurs funebres
Montent des bords de l'horizon:
Elles voilent le doux rayon,
Et tout rentre dans les tenebres.



LE VALLON

Mon coeur, lasse de tout, meme de l'esperance,
N'ira plus de ses voeux importuner le sort;
Pretez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'etroit sentier de l'obscure vallee:
Du flanc de ces coteaux pendent des bois epais
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremelee,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

La, deux ruisseaux caches sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon;
Ils melent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

La source de mes jours comme eux s'est ecoulee;
Elle a passe sans bruit, sans nom et sans retour:
Mais leur onde est limpide, et mon ame troublee
N'aura pas reflechi les clartes d'un beau jour.

La fraicheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne,
M'enchainent tout le jour sur les bords des ruisseaux;
Comme un enfant berce par un chant monotone,
Mon ame s'assoupit au murmure des eaux.

Ah! c'est la qu'entoure d'un rempart de verdure,
D'un horizon borne qui suffit a mes yeux,
J'aime a fixer mes pas, et, seul dans la nature,
An'entendre que l'onde, a ne voir que les cieux.

J'ai trop vu, trop senti, trop aime dans ma vie;
Je viens chercher vivant le calme du Lethe.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords ou l'on oublie:
L'oubli seul desormais est ma felicite.

Mon coeur est en repos, mon ame est en silence;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son eloigne qu'affaiblit la distance,
A l'oreille incertaine apporte par le vent.

D'ici je vois la vie, a travers un nuage,
S'evanouir pour moi dans l'ombre du passe;
L'amour seul est reste, comme une grande image
Survit seule au reveil dans un songe efface.

Repose-toi, mon ame, en ce dernier asile,
Ainsi qu'un voyageur qui, le coeur plein d'espoir,
S'assied, avant d'entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l'air embaume du soir.

Comme lui, de nos pieds secouons la poussiere;
L'homme par ce chemin ne repasse jamais:
Comme lui, respirons au bout de la carriere
Ce calme avant-coureur de l'eternelle paix.

Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne,
Declinent comme l'ombre au penchant des coteaux;
L'amitie te trahit, la pitie t'abandonne,
Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Mais la nature est la qui t'invite et qui t'aime;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours:
Quand tout change pour toi, la nature est la meme,
Et le meme soleil se leve sur tes jours.

De lumiere et d'ombrage elle t'entoure encore;
Detache ton amour des faux biens que tu perds;
Adore ici l'echo qu'adorait Pythagore,
Prete avec lui l'oreille aux celestes concerts.

Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre;
Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon;
Avec le doux rayon de l'astre du mystere
Glisse a travers les bois dans l'ombre du vallon.

Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence:
Sous la nature enfin decouvre son auteur!
Une voix a l'esprit parle dans son silence:
Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur?


L'ISOLEMENT

Souvent sur la montagne, a l'ombre du vieux chene,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promene au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se deroule a mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues ecumantes;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
La le lac immobile etend ses eaux dormantes
Ou l'etoile du soir se leve dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnes de bois sombres,
Le crepuscule encor jette un dernier rayon;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit deja les bords de l'horizon.

Cependant, s'elancant de la fleche gothique,
Un son religieux se repand dans les airs:
Le voyageur s'arrete, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mele de saints concerts.

Mais a ces doux tableaux mon ame indifferente
N'eprouve devant eux ni charme ni transports;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante:
Le soleil des vivants n'echauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud a l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense etendue,
Et je dis: "Nulle part le bonheur ne m'attend."

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumieres,
Vains objets dont pour moi le charme est envole?
Fleuves, rochers, forets, solitudes si cheres,
Un seul etre vous manque, et tout est depeuple!

Que le tour du soleil ou commence ou s'acheve,
D'un oeil indifferent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se leve,
Qu'importe le soleil? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriere,
Mes yeux verraient partout le vide et les deserts:
Je ne desire rien de tout ce qu'il eclaire;
Je ne demande rien a l'immense univers.

Mais peut-etre au dela des bornes de sa sphere,
Lieux ou le vrai soleil eclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma depouille a la terre,
Ce que j'ai tant reve paraitrait a mes yeux!

La, je m'enivrerais a la source ou j'aspire;
La, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien ideal que toute ame desire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre sejour!

Que ne puis-je, porte sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'elancer jusqu'a toi!
Sur la terre d'exil pourquoi reste-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'eleve et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable a la feuille fletrie:
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!


LE CRUCIFIX

Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d'une main mourante,
Image de mon Dieu;

Que de pleurs ont coule sur tes pieds que j'adore,
Depuis l'heure sacree ou, du sein d'un martyr,
Dans mes tremblantes mains tu passas, tiede encore
De son dernier soupir!

Les saints flambeaux jetaient une derniere flamme;
Le pretre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l'enfant qui s'endort.

De son pieux espoir son front gardait la trace,
Et sur ses traits, frappes d'une auguste beaute,
La douleur fugitive avait empreint sa grace,
La mort sa majeste.

Le vent qui caressait sa tete echevelee
Me montrait tour a tour ou me voilait ses traits,
Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolee
L'ombre des noirs cypres.

Un de ses bras pendait de la funebre couche;
L'autre, languissamment replie sur son coeur,
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche
L'image du Sauveur.

Ses levres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore
Mais son ame avait fui dans ce divin baiser,
Comme un leger parfum que la flamme devore
Avant de l'embraser.

Maintenant tout dormait sur sa bouche glacee,
Le souffle se taisait dans son sein endormi,
Et sur l'oeil sans regard la paupiere affaissee
Retombait a demi.

Et moi, debout, saisi d'une terreur secrete,
Je n'osais m'approcher de ce reste adore,
Comme si du trepas la majeste muette
L'eut deja consacre.

Je n'osais !... Mais le pretre entendit mon silence,
Et, de ses doigts glaces prenant le crucifix :
"Voila le souvenir, et voila l'esperance :
Emportez-les, mon fils!"

Oui, tu me resteras, o funebre heritage!
Sept fois, depuis ce jour, l'arbre que j'ai plante
Sur sa tombe sans nom a change de feuillage :
Tu ne m'as pas quitte.

Place pres de ce coeur, helas! ou tout s'efface,
Tu l'as contre le temps defendu de l'oubli,
Et mes yeux goutte a goutte ont imprime leur trace
Sur l'ivoire amolli.

O dernier confident de l'ame qui s'envole,
Viens, reste sur mon coeur ! parle encore, et dis-moi
Ce qu'elle te disait quand sa faible parole
N'arrivait plus qu'a toi ;

A cette heure douteuse ou l'ame recueillie,
Se cachant sous le voile epaissi sur nos yeux,
Hors de nos sens glaces pas a pas se replie,
Sourde aux derniers adieux ;

Alors qu'entre la vie et la mort incertaine,
Comme un fruit par son poids detache du rameau,
Notre ame est suspendue et tremble a chaque halein
Sur la nuit du tombeau ;

Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie
N'eveille deja plus notre esprit endormi,
Aux levres du mourant colle dans l'agonie,
Comme un dernier ami :

Pour eclairer l'horreur de cet etroit passage,
Pour relever vers Dieu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l'image,
Reponds, que lui dis-tu ?

Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible ou tu prias en vain,
De l'olivier sacre baignerent les racines
Du soir jusqu'au matin.

De la croix, ou ton oeil sonda ce grand mystere
Tu vis ta mere en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir:
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!

Je chercherai la place ou sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrevocable adieu,
Et son ame viendra guider mon ame errante
Au sein du meme Dieu.

Ah! puisse, puisse alors sur ma funebre couche,
Triste et calme a la fois, comme un ange eplore,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L'heritage sacre !

Soutiens ses derniers pas, charme sa derniere heure;
Et, gage consacre d'esperance et d'amour,
De celui qui s'eloigne a celui qui demeure
Passe ainsi tour a tour,

Jusqu'au jour ou, des morts percant la voute sombre
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble eveillera ceux qui dorment a l'ombre
De l'eternelle croix !


ADIEU A GRAZIELLA

Adieu! mot qu'une larme humecte sur la levre ;
Mot qui finit la joie et qui tranche l'amour ;
Mot par qui le depart de delices nous sevre ;
Mot que l'eternite doit effacer un jour!

Adieu!.... Je t'ai souvent prononce dans ma vie,
Sans comprendre, en quittant les etres que j'aimais,
Ce que tu contenais de tristesse et de lie,
Quand l'homme dit: "Retour!" et que Dieu dit :

"Jamais!"

Mais aujourd'hui je sens que ma bouche prononce
Le mot qui contient tout, puisqu'il est plein de toi,
Qui tombe dans l'abime, et qui n'a pour reponse
Que l'eternel silence entre une image et moi!

Et cependant mon coeur redit a chaque haleine
Ce mot qu'un sourd sanglot entrecoupe au milieu,
Comme si tous les sons dont la nature est pleine
N'avaient pour sens unique, helas ! qu'un grand adieu !


LES PRELUDES

O vallons paternels; doux champs; humble chaumiere
Au bord penchant des bois suspendue aux coteaux,
Dont l'humble toit, cache sous des touffes de lierre,
Ressemble au nid sous les rameaux;

Gazons entrecoupes de ruisseaux et d'ombrages;
Seuil antique ou mon pere, adore comme un roi,
Comptait ses gras troupeaux rentrant des paturages,
Ouvrez-vous, ouvrez-vous! c'est moi!

Voila du dieu des champs la rustique demeure.
J'entends l'airain fremir au sommet de ses tours;
Il semble que dans l'air une voix qui me pleure
Me rappelle a mes premiers jours.

Oui, je reviens a toi, berceau de mon enfance,
Embrasser pour jamais tes foyers protecteurs.
Loin de moi les cites et leur vaine opulence!
Je suis ne parmi les pasteurs.

Enfant, j'aimais comme eux a suivre dans la plaine
Les agneaux pas a pas, egares jusqu'au soir;
A revenir comme eux baigner leur blanche laine
Dans l'eau courante du lavoir;

J'aimais a me suspendre aux lianes legeres,
A gravir dans les airs de rameaux en rameaux,
Pour ravir, le premier, sous l'aile de leurs meres,
Les tendres oeufs des tourtereaux;

J'aimais les voix du soir dans les airs repandues,
Le bruit lointain des chars gemissant sous leur poids,
Et le sourd tintement des cloches suspendues
Au cou des chevreaux dans les bois.

Et depuis, exile de ces douces retraites,
Comme un vase impregne d'une premiere odeur,
Toujours, loin des cites, des voluptes secretes
Entrainaient mes yeux et mon coeur.

Beaux lieux, recevez-moi sous vos sacres ombrages !
Vous qui couvrez le seuil de rameaux eplores,
Saules contemporains, courbez vos longs feuillages
Sur le frere que vous pleurez.

Reconnaissez mes pas, doux gazons que je foule,
Arbres que dans mes jeux j'insultais autrefois;
Et toi qui loin de moi te cachais a la foule,
Triste echo, reponds a ma voix.

Je ne viens pas trainer, dans vos riants asiles,
Les regrets du passe, les songes du futur:
J'y viens vivre, et, couche sous vos berceaux fertiles,
Abriter mon repos obscur.

S'eveiller, le coeur pur, au reveil de l'aurore,
Pour benir, au matin, le Dieu qui fait le jour;
Voir les fleurs du vallon sous la rosee eclore,
Comme pour feter son retour;

Respirer les parfums que la colline exhale,
Ou l'humide fraicheur qui tombe des forets;
Voir onduler de loin l'haleine matinale
Sur le sein flottant des guerets;

Conduire la genisse a la source qu'elle aime,
Ou suspendre la chevre au cytise embaume,
Ou voir ses blancs taureaux venir tendre d'eux-meme
Leur front au joug accoutume ;

Guider un soc tremblant dans le sillon qui crie,
Du pampre domestique emonder les berceaux,
Ou creuser mollement, au sein de la prairie,
Les lits murmurants des ruisseaux;

Le soir, assis en paix au seuil de la chaumiere,
Tendre au pauvre qui passe un morceau de son pain,
Et, fatigue du jour, y fermer sa paupiere
Loin des soucis du lendemain;

Sentir, sans les compter, dans leur ordre paisible,
Les jours suivre les jours, sans faire plus de bruit
Que ce sable leger dont la fuite insensible
Nous marque l'heure qui s'enfuit;

Voir de vos doux vergers sur vos fronts les fruits pendre,
Les fruits d'un chaste amour dans vos bras accourir,
Et, sur eux appuye, doucement redescendre:
C'est assez pour qui doit mourir.


HYMNE DE L'ENFANT A SON REVEIL

O pere qu'adore mon pere!
Toi qu'on ne nomme qu'a genoux!
Toi, dont le nom terrible et doux
Fait courber le front de ma mere!

On dit que ce brillant soleil
N'est qu'un jouet de ta puissance;
Que sous tes pieds il se balance
Comme une lampe de vermeil.

On dit que c'est toi qui fais naitre
Les petits oiseaux, dans les champs,
Et qui donne aux petits enfants
Une ame aussi pour te connaitre!

On dit que c'est toi qui produis
Les fleurs dont le jardin se pare,
Et que, sans toi, toujours avare,
Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bonte mesure
Tout l'univers est convie;
Nul insecte n'est oublie
A ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet,
La chevre s'attache au cytise,
La mouche au bord du vase puise
Les blanches gouttes de mon lait!

L'alouette a la graine amere
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache a sa mere.

Et pour obtenir chaque don
Que chaque jour tu fais eclore,
A midi, le soir, a l'aurore,
Que faut-il? prononcer ton nom!

O Dieu! ma bouche balbutie
Ce nom des anges redoute.
Un enfant meme est ecoute
Dans le choeur qui te glorifie!

On dit qu'il aime a recevoir
Les voeux presentes par l'enfance,
A cause de cette innocence
Que nous avons sans le savoir.

On dit que leurs humbles louanges
A son oreille montent mieux;
Que les anges peuplent les cieux,
Et que nous ressemblons aux anges!

Ah! puisqu'il entend de si loin
Les voeux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,
Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosee aux plaines.

Donne au malade la sante,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberte.

Donne une famille nombreuse
Au pere qui craint le Seigneur,
Donne a moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mere soit heureuse!

Que je sois bon, quoique petit,
Comme cet enfant dans le temple,
Que chaque matin je contemple
Souriant au pied de mon lit.

Mets dans mon ame la justice,
Sur mes levres la verite,
Qu'avec crainte et docilit
Ta parole en mon coeur murisse!

Et que ma voix s'eleve a toi
Comme cette douce fumee
Que balance l'urne embaumee
Dans la main d'enfants comme moi!



LE PREMIER REGRET

Sur la plage sonore ou la mer de Sorrente
Deroule ses flots bleus, aux pieds de l'oranger,
Il est, pres du sentier, sous la haie odorante,
Une pierre, petite, etroite, indifferente
Aux pas distraits de l'etranger.

La giroflee y cache un seul nom sous ses gerbes,
Un nom que nul echo n'a jamais repete.
Quelquefois seulement le passant arrete,
Lisant l'age et la date en ecartant les herbes
Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir,
Dit: "Elle avait seize ans; c'est bien tot pour mourir!"

Mais pourquoi m'entrainer vers ces scenes passees ?
Laissons le vent gemir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, o mes tristes pensees!
Je veux rever, et non pleurer.

Dit: "Elle avait seize ans!" Oui, seize ans! et cet age
N'avait jamais brille sur un front plus charmant,
Et jamais tout l'eclat de ce brulant rivage
Ne s'etait reflechi dans un oeil plus aimant!
Moi seul je la revois, telle que la pensee
Dans l'ame, ou rien ne meurt, vivante l'a laissee,
Vivante comme a l'heure ou, les yeux sur les miens,
Prolongeant sur la mer nos premiers entretiens,
Ses cheveux noirs livres au vent qui les denoue,
Et l'ombre de la voile errante sur sa joue,
Elle ecoutait le chant du nocturne pecheur,
De la brise embaumee aspirait la fraicheur,
Me montrait dans le ciel la lune epanouie
Comme une fleur des nuits dont l'aube est rejouie,
Et l'ecume argentee, et me disait : " Pourquoi
Tout brille-t-il ainsi dans les airs et dans moi ?
Jamais ces champs d'azur semes de tant de flammes,
Jamais ces sables d'or ou vont mourir les lames,
Ces monts dont les sommets tremblent au fond des cieux,
Ces golfes couronnes de bois silencieux,
Ces lueurs sur la cote, et ces chants sur les vagues,
N'avaient emu mes sens de voluptes si vagues!
Pourquoi comme ce soir n'ai-je jamais reve ?
Un astre dans mon coeur s'est-il aussi leve ?
Et toi, fils du matin, dis! a ces nuits si belles
Les nuits de ton pays, sans moi, ressemblaient-elles?"
Puis, regardant sa mere assise aupres de nous,
Posait pour s'endormir son front sur ses genoux.

Mais pourquoi m'entrainer vers ces scenes passees?
Laissons le vent gemir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, o mes tristes pensees!
Je veux rever, et non pleurer.

Que son oeil etait pur, et sa levre candide!
Que son ciel inondait son ame de clarte!
Le beau lac de Nemi, qu'aucun souffle ne ride,
A moins de transparence et de limpidite.
Dans cette ame, avant elle, on voyait ses pensees;
Ses paupieres jamais, sur ses beaux yeux baissees,
Ne voilaient son regard d'innocence rempli;
Nul souci sur son front n'avait laisse son pli;
Tout folatrait en elle: et ce jeune sourire,
Qui plus tard sur la bouche avec tristesse expire,
Sur sa levre entr'ouverte etait toujours flottant,
Comme un pur arc-en-ciel sur un jour eclatant.
Nulle ombre ne voilait ce ravissant visage,
Ce rayon n'avait pas traverse de nuage.
Son pas insouciant, indecis, balance,
Flottait comme un flot libre ou le jour est berce,
Ou courait pour courir; et sa voix argentine,
Echo limpide et pur de son ame enfantine,
Musique de cette ame ou tout semblait chanter,
Egayait jusqu'a l'air qui l'entendait monter.

Mais pourquoi m'entrainer vers ces scenes passees?
Laissons le vent gemir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, o mes tristes pensees!
Je veux rever, et non pleurer.

Mon image en son coeur se grava la premiere,
Comme dans l'oeil qui s'ouvre, au matin, la lumiere;
Elle ne regarda plus rien apres ce jour:
De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour!
Elle me confondait avec sa propre vie,
Voyait tout dans mon ame; et je faisais partie
De ce monde enchante qui flottait sous ses yeux
Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux.
Elle ne pensait plus au temps, a la distance,
L'heure seule absorbait toute son existence:
Avant moi, cette vie etait sans souvenir,
Un soir de ces beaux jours etait tout l'avenir!
Elle se confiait a la douce nature
Qui souriait sur nous, a la priere pure
Qu'elle allait, le coeur plein de joie et non de pleurs,
A l'autel qu'elle aimait repandre avec ses fleurs;
Et sa main m'entrainait aux marches de son temple,
Et, comme un humble enfant, je suivais son exemple,
Et sa voix me disait tout bas: "Prie avec moi;
Car je ne comprends pas le ciel meme sans toi!"

Mais pourquoi m'entrainer vers ces scenes passees?
Laissons le vent gemir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, o mes tristes pensees!
Je veux rever, et non pleurer.

Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive
S'arrondir comme un lac sous son etroite rive,
Bleue et claire, a l'abri du vent qui va courir
Et du rayon brulant qui pourrait la tarir.
Un cygne blanc nageant sur la nappe limpide,
En y plongeant son cou qu'enveloppe la ride,
Orne sans le ternir le liquide miroir
Et s'y berce au milieu des etoiles du soir;
Mais si, prenant son vol vers des sources nouvelles,
Il bat le flot tremblant de ses humides ailes,
Le ciel s'efface au sein de l'onde qui brunit,
La plume a blancs flocons y tombe et la ternit,
Comme si le vautour, ennemi de sa race,
De sa mort sur les flots avait seme la trace;
Et l'azur eclatant de ce lac enchante
N'est plus qu'une onde obscure ou le sable a monte.
Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette ame;
Le rayon s'eteignit, et sa mourante flamme
Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir.
Elle n'attendit pas un second avenir,
Elle ne languit pas de doute en esperance,
Et ne disputa pas sa vie a la souffrance;
Elle but d'un seul trait le vase de douleur,
Dans sa premiere larme elle noya son coeur;
Et, semblable a l'oiseau, moins pur et moins beau qu'elle,
Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile,
Elle s'enveloppa d'un muet desespoir,
Et s'endormit aussi; mais, helas! loin du soir!

Mais pourquoi m'entrainer vers ces scenes passees?
Laissons le vent gemir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, o mes tristes pensees!
Je veux rever, et non pleurer.

Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile,
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile;
Et le rapide oubli, second linceul des morts,
A couvert le sentier qui menait vers ces bords.
Nul ne visite plus cette pierre effacee,
Nul n'y songe et n'y prie.... excepte ma pensee,
Quand, remontant le flot de mes jours revolus,
Je demande a mon coeur tous ceux qui n'y sont plus,
Et que, les yeux flottants sur de cheres empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d'etoiles eteintes!
Elle fut la premiere, et sa douce lueur
D'un jour pieux et tendre eclaire encor mon coeur.

Mais pourquoi n'entrainer vers ces scenes passees?
Laissons le vent gemir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, o mes tristes pensees!
Je veux rever, et non pleurer.

Un arbuste epineux, a la pale verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature:
Battu des vents de mer, du soleil calcine,
Comme un regret funebre au coeur enracine,
Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage;
Il rampe pres de terre, ou ses rameaux penches
Par la dent des chevreaux sont toujours retranches;
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige,
Y flotte un jour ou deux; mais le vent qui l'assiege
L'effeuille avant qu'elle ait repandu son odeur,
Comme la vie, avant qu'elle ait charme le coeur!
Un oiseau de tendresse et de melancolie
S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie.
Oh, dis! fleur que la vie a fait si tot fletrir!
N'est-il pas une terre ou tout doit refleurir?

Remontez, remontez a ces heures passees!
Vos tristes souvenirs m'aident a soupirer.
Allez ou va mon ame, allez, o mes pensees!
Mon coeur est plein, je veux pleurer.


STANCES

Et j'ai dit dans mon coeur: Que faire de la vie?
Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devance,
Comme l'agneau qui passe, ou sa mere a passe,
Imiter des mortels l'immortelle folie?

L'un cherche sur les mers les tresors de Memnon,
Et la vague engloutit ses voeux et son navire;
Dans le sein de la gloire ou son genie aspire,
L'autre meurt enivre par l'echo d'un vain nom.

Avec nos passions formant sa vaste trame,
Celui-la fonde un trone, et monte pour tomber;
Dans des pieges plus doux aimant a succomber,
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.

Le paresseux s'endort dans les bras de la faim;
Le laboureur conduit sa fertile charrue;
Le savant pense et lit; le guerrier frappe et tue;
Le mendiant s'assied sur le bord du chemin.

Ou vont-ils cependant? Ils vont ou va la feuille
Que chasse devant lui le souffle des hivers.
Ainsi vont se fletrir dans leurs travaux divers
Ces generations que le temps seme et cueille.

Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu:
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives,
Je l'ai vu devorer leurs ombres fugitives,
Ils sont nes, ils sont morts: Seigneur, ont-ils vecu?

Pour moi, je chanterai le Maitre que j'adore,
Dans le bruit des cites, dans la paix des deserts,
Couche sur le rivage, ou flottant sur les mers,
Au declin du soleil, au reveil de l'aurore.

La terre m'a crie: "Qui donc est le Seigneur?"
Celui dont l'ame immense est partout repandue,
Celui dont un seul pas mesure l'etendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur,

Celui qui du neant a tire la matiere,
Celui qui sur le vide a fonde l'univers,
Celui qui sans rivage a renferme les mers,
Celui qui d'un regard a lance la lumiere,

Celui qui ne connait ni jour ni lendemain,
Celui qui de tout temps de soi-meme s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme a l'heure presente,
Et rappelle les temps echappes de sa main:

C'est lui, c'est le Seigneur!... Que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels:
Comme la harpe d'or pendue a ses autels,
Je chanterai pour lui jusqu'a ce qu'il me brise...


LES REVOLUTIONS

Marchez! l'humanite ne vit pas d'une idee!
Elle eteint chaque soir celle qui l'a guidee,
Elle en allume une autre a l'immortel flambeau:
Comme ces morts vetus de leur parure immonde,
Les generations emportent de ce monde
Leurs vetements dans le tombeau.

La, c'est leurs dieux; ici, les moeurs de leurs ancetres,
Le glaive des tyrans, l'amulette des pretres,
Vieux lambeaux, vils haillons de cultes ou de lois:
Et quand apres mille ans dans leurs caveaux on fouille,
On est surpris de voir la risible depouille
De ce qui fut l'homme autrefois.

Robes, toges, turbans, tuniques, pourpre, bure,
Sceptres, glaives, faisceaux, haches, houlette, armure,
Symboles vermoulus fondent sous votre main,
Tour a tour au plus fort, au plus fourbe, au plus digne,
Et vous vous demandez vainement sous quel signe
Monte ou baisse le genre humain.

Sous le votre, o chretiens! L'homme en qui Dieu travaille
Change eternellement de formes et de taille:
Geant de l'avenir, a grandir destine,
Il use en vieillissant ses vieux vetements, comme
Des membres elargis font eclater sur l'homme
Les langes ou l'enfant est ne.

L'humanite n'est pas le boeuf a courte haleine
Qui creuse a pas egaux son sillon dans la plaine
Et revient ruminer sur un sillon pareil:
C'est l'aigle rajeuni qui change son plumage,
Et qui monte affronter, de nuage en nuage,
De plus hauts rayons du soleil.

Enfants de six mille ans qu'un peu de bruit etonne,
Ne vous troublez donc pas d'un mot nouveau qui tonne,
D'un empire eboule, d'un siecle qui s'en va!
Que vous font les debris qui jonchent la carriere?
Regardez en avant, et non pas en arriere:
Le courant roule a Jehovah!

Que dans vos coeurs etroits vos esperances vagues
Ne croulent pas sans cesse avec toutes les vagues:
Ces flots vous porteront, hommes de peu de foi!
Qu'importent bruit et vent, poussiere et decadence,
Pourvu qu'au-dessus d'eux la haute Providence
Deroule l'eternelle loi !

Vos siecles page a page epellent l'Evangile:
Vous n'y lisiez qu'un mot, et vous en lirez mille;
Vos enfants plus hardis y liront plus avant!
Ce livre est comme ceux des sibylles antiques,
Dont l'augure trouvait les feuillets prophetiques
Siecle a siecle arraches au vent.

Dans la foudre et l'eclair votre Verbe aussi vole:
Montez a sa lueur, courez a sa parole,
Attendez sans effroi l'heure lente a venir,
Vous, enfants de celui qui, l'annoncant d'avance,
Du sommet d'une croix vit briller l'esperance
Sur l'horizon de l'avenir!

Cet oracle sanglant chaque jour se revele;
L'esprit, en renversant, eleve et renouvelle.
Passagers ballottes dans vos siecles flottants,
Vous croyez reculer sur l'ocean des ages,
Et vous vous remontrez, apres mille naufrages,
Plus loin sur la route des temps!

Ainsi quand le vaisseau qui vogue entre deux mondes
A perdu tout rivage, et ne voit que les ondes
S'elever et crouler comme deux sombres murs;
Quand le maitre a brouille les noeuds nombreux qu'il file,
Sur la plaine sans borne il se croit immobile
Entre deux abimes obscures.

"C'est toujours, se dit-il dans son coeur plein de doute,
Meme onde que je vois, meme bruit que j'ecoute;
Le flot que j'ai franchi revient pour me bercer;
A les compter en vain mon esprit se consume,
C'est toujours de la vague, et toujours de l'ecume:
Les jours flottent sans avancer!"


Et les jours et les flots semblent ainsi renaitre,
Trop pareils pour que l'oeil puisse les reconnaitre,
Et le regard trompe s'use en les regardant;
Et l'homme, que toujours leur ressemblance abuse,
Les brouille, les confond, les gourmande et t'accuse,
Seigneur!... Ils marchent cependant!

Et quand sur cette mer, las de chercher sa route,
Du firmament splendide il explore la voute,
Des astres inconnus s'y levent a ses yeux;
Et, moins triste, aux parfums qui soufflent des rivages,
Au jour tiede et dore qui glisse des cordages,
Il sent qu'il a change de cieux.

Nous donc, si le sol tremble au vieux toit de nos peres,
Ensevelissons-nous sous des cendres si cheres,
Tombons enveloppes de ces sacres linceuls!
Mais ne ressemblons pas a ces rois d'Assyrie
Qui trainaient au tombeau femmes, enfants, patrie,
Et ne savaient pas mourir seuls;

Qui jetaient au bucher, avant que d'y descendre,
Famille, amis, coursiers, tresors reduits en cendre.
Espoir ou souvenirs de leurs jours plus heureux,
Et, livrant leur empire et leurs dieux a la flamme,
Auraient voulu qu'aussi l'univers n'eut qu'une ame,
Pour que tout mourut avec eux!




ALFRED DE VIGNY


LE COR

I.

J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'echo faible accueille
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l'ombre a minuit demeure,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleure!
Car je croyais ouir de ces bruits prophetiques
Qui precedaient la mort des paladins antiques.

O montagnes d'azur! o pays adore,

Rocs de la Frazona, cirque du Marbore,
Cascades qui tombez des neiges entrainees,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrenees;

Monts geles et fleuris, trones des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons!
C'est la qu'il faut s'asseoir, c'est la qu'il faut entendre
Les airs lointains d'un cor melancolique et tendre.

Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,
De cette voix d'airain fait retentir la nuit;
A ses chants cadences autour de lui se mele
L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bele.

Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher,
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son eternelle plainte aux chants de la romance.

Ames des chevaliers, revenez-vous encor?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor?
Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallee
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolee?

II.

Tous les preux etaient morts, mais aucun n'avait fui,
Il reste seul deboit, Olivier pres de lui;

L'Afrique sur le mont l'entoure et tremble encore.
"Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More;

"Tous tes pairs sont couches dans les eaux des torrents."
Il rugit comme un tigre, et dit: "Si je me rends,
Africain, ce sera lorsque les Pyrenees

Sur l'onde avec leurs corps rouleront entrainees.

--Rends-toi donc, repond-il, ou meurs, car les voila;"
Et du plus haut des monts un grand rocher roula.
Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abime,
Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime.

"Merci! cria Roland; tu m'as fait un chemin."
Et, jusqu'au pied des monts le roulant d'une main,
Sur le roc affermi comme un geant s'elance;
Et, prete a fuir, l'armee a ce seul pas balance.

III.

Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
A l'horizon deja, par leurs eaux signalees,
De Luz et d'Argeles se montraient les vallees.

L'armee applaudissait. Le luth du troubadour
S'accordait pour chanter les saules de l'Adour;
Le vin francais coulait dans la coupe etrangere;
Le soldat, en riant, parlait a la bergere.

Roland gardait les monts: tous passaient sans effroi.
Assis nonchalamment sur un noir palefroi
Qui marchait revetu de housses violettes,
Turpin disait, tenant les saintes amulettes:

"Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu;
Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu.
Par monsieur saint Denis! certes ce sont des ames
Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

"Deux eclairs ont relui, puis deux autres encor."
Ici l'on entendit le son lointain du cor.
L'empereur etonne, se jetant en arriere,
Suspend du destrier la marche aventuriere.

"Entendez-vous? dit-il.-- Oui, ce sont des pasteurs
Rappelant les troupeaux epars sur les hauteurs,
Repondit l'archeveque, ou la voix etouffee
Du nain vert Oberon, qui parle avec sa fee."

Et l'empereur poursuit; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux;
Il craint la trahison, et, tandis qu'il y songe,
Le cor eclate et meurt, renait et se prolonge.

"Malheur! c'est mon neveu! malheur! car, si Roland
Appelle a son secours, ce doit etre en mourant.
Arriere, chevaliers, repassons la montagne!
Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne!"

IV.

Sur le plus haut des monts s'arretent les chevaux;
L'ecume les blanchit; sous leurs pieds, Roncevaux
Des feux mourants du jour a peine se colore.
A l'horizon lointain fuit l'etendard du More.

"Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent?
--J'y vois deux chevaliers: l'un mort, l'autre expirant.
Tous deux sont ecrases sous une roche noire;
Le plus fort, dans sa main, eleve un cor d'ivoire,
Son ame en s'exhalant nous appela deux fois."

Dieu! que le son du cor est triste au fond des bois!




 


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