La Tulipe Noire [abridged]
by
Alexandre Dumas, PŠre

Part 2 out of 3



et … nous procurer le suprˆme bonheur de voir r‚ussir notre oeuvre.
--J'ai compris, dit Rosa. Je vous apporterai demain de la terre, vous
choisirez la mienne et la v“tre. Quant … la v“tre, il me faudra
plusieurs voyages, car je ne pourrai vous en apporter que peu … la
fois.
--Oh! nous ne sommes pas press‚s, chŠre Rosa; nos tulipes ne doivent
pas ˆtre enterr‚es avant un grand mois. Ainsi vous voyez que nous
avons tout le temps: seulement, pour planter votre ca‹eu, vous
suivrez toutes mes instructions, n'est-ce pas?
--Je vous le promets.
--Et une fois plant‚, vous me ferez part de toutes les circonstances
qui pourront int‚resser notre ‚lŠve, tels que changements
atmosph‚riques, traces dans les all‚es, traces sur les plates-bandes.
Vous ‚couterez la nuit si votre jardin n'est pas fr‚quent‚ par des
chats. Deux de ces malheureux animaux m'ont, … Dordrecht, ravag‚
deux plates- bandes.
--J'‚couterai.
--Les jours de lune... Avez-vous vue sur le jardin, chŠre enfant?
--La fenˆtre de ma chambre … coucher y donne.
--Bon. Les jours de lune, vous regarderez si des trous du mur ne
sortent point des rats. Les rats sont des rongeurs fort … craindre.
--Je regarderai, et s'il y a des chats ou des rats...
--Eh bien! il faudra aviser. Ensuite, continua van Baerle, il y a un
animal bien plus … craindre encore que le chat et le rat!
--Et quel est cet animal?
--C'est l'homme! Vous comprenez, chŠre Rosa, on vole un florin, et
l'on risque le bagne pour une pareille misŠre; … plus forte raison
peut-on voler un ca‹eu de tulipe que vaut cent mille florins.
--Personne que moi n'entrera dans le jardin.
--Vous me le promettez?
--Je vous le jure!
--Bien, Rosa! merci, chŠre Rosa! oh! toute joie va donc me venir de
vous!

Et, comme le visage de van Baerle se rapprochait du grillage avec la
mˆme ardeur que la veille, et que, d'ailleurs, l'heure de la retraite
‚tait arriv‚e, Rosa ‚loigna la tˆte et allongea la main.

Dans cette jolie main ‚tait le ca‹eu.

Corn‚lius baisa passionn‚ment le bout des doigts de cette main.
Etait-ce parce que cette main tenait un des ca‹eux de la grande
tulipe noire? Etait-ce que cette main ‚tait la main de Rosa? C'est
ce que nous laissons deviner … de plus savants que nous. Rosa se
retira donc avec les deux autres ca‹eux, les serrant contre sa
poitrine. Les serrait-elle contre sa poitrine parce que c'‚taient
les ca‹eux de la grande tulipe noire, ou parce que les ca‹eux lui
venaient de Corn‚lius van Baerle? Ce point, nous le croyons, serait
plus facile … pr‚ciser que l'autre. Quoi qu'il en soit, … partir de
ce moment, la vie devint douce et remplie pour le prisonnier.

Rosa, on l'a vu, lui avait remis un des ca‹eux. Chaque soir elle lui
apportait, poign‚e … poign‚e, la terre de la portion du jardin qu'il
avait trouv‚e la meilleure et qui en effet ‚tait excellente. Une
large cruche, que Corn‚lius avait cass‚e habilement, lui donna un
fond propice, il l'emplit … moiti‚ et m‚langea la terre apport‚e par
Rosa d'un peu de boue de riviŠre qu'il fit s‚cher et qui lui fournit
un excellent terreau. Puis, vers le commencement d'avril, il y
d‚posa le premier ca‹eu.

Dire ce que Corn‚lius d‚ploya de soins, d'habilet‚ et de ruse pour
d‚rober … la surveillance de Gryphus la joie de ses travaux, nous n'y
parviendrions pas. Il ne se passait point de jour que Rosa ne vŒnt
causer avec Corn‚lius. Les tulipes, fournissaient le fond de la
conversation; mais si int‚ressant que soit ce sujet, on ne peut pas
toujours parler tulipes. Alors on parlait d'autre chose, et … son
grand ‚tonnement le tulipier s'apercevait de l'extension immense que
pouvait prendre le cercle de la conversation.

Seulement Rosa avait pris une habitude: elle tenait son beau visage
invariablement … six pouces du guichet, car la belle Frisonne ‚tait
sans doute d‚fiante d'elle-mˆme, depuis qu'elle avait senti … travers
le grillage combien le souffle d'un prisonnier peut br–ler le coeur
d'une jeune fille. Il y a une chose surtout qui inqui‚tait … cette
heure le tulipier presque autant que ses ca‹eux, et sur laquelle il
revenait sans cesse. C'‚tait la d‚pendance o— ‚tait Rosa de son
pŠre.

Le bonheur de Corn‚lius d‚pendait de cet homme; cet homme pouvait un
beau matin s'ennuyer … Loewestein, trouver que l'air y ‚tait mauvais,
que le geniŠvre n'y ‚tait pas bon, quitter la forteresse et emmener
sa fille,--et encore une fois Corn‚lius et Rosa ‚taient s‚par‚s.

--Et alors … quoi bon les pigeons voyageurs? disait Corn‚lius … la
jeune fille; puisque, chŠre Rosa, vous ne saurez ni lire ce que je
vous ‚crirai, ni m'‚crire ce que vous aurez pens‚.
--Eh bien! r‚pondit Rosa, qui au fond du coeur craignait la
s‚paration autant que Corn‚lius, nous avons une heure tous les soirs,
employons- la bien.
--Mais il me semble, reprit Corn‚lius, que nous ne l'employons pas
mal.
--Employons-la mieux encore, dit Rosa en souriant. Montrez-moi … lire
et … ‚crire; je profiterai de vos le‡ons, croyez-moi, et de cette
fa‡on nous ne serons plus jamais s‚par‚s que par notre volont‚ …
nous-mˆmes.
--Oh! alors, s'‚cria Corn‚lius, nous avons l'‚ternit‚ devant nous.

Rosa sourit et haussa doucement les ‚paules.

--Est-ce que vous resterez toujours en prison? r‚pondit-elle. Est-ce
qu'aprŠs vous avoir donn‚ la vie, Son Altesse ne vous donnera pas la
libert‚? Est-ce qu'alors vous ne rentrerez pas dans vos biens?
Est-ce que vous ne serez point riche? Est-ce qu'une fois libre et
riche, vous daignerez regarder, quand vous passerez … cheval ou en
carrosse, la petite Rosa, une fille de ge“lier?

Corn‚lius voulut protester, et certes il l'e–t fait de tout son coeur
et dans la sinc‚rit‚ d'une ƒme remplie d'amour. La jeune fille
l'interrompit.

--Comment va votre tulipe? demanda-t-elle en souriant.

Parler … Corn‚lius de sa tulipe, c'‚tait un moyen pour Rosa de tout
faire oublier … Corn‚lius, mˆme Rosa.

--Mais assez bien, dit-il; la pellicule noircit, le travail de la
fermentation a commenc‚. Et la v“tre, Rosa?
--Oh! moi, j'ai fait les choses en grand et d'aprŠs vos indications.
--Voyons, Rosa, qu'avez-vous fait? dit Corn‚lius.
--J'ai, dit en souriant la jeune fille,--car au fond du coeur elle ne
pouvait s'empˆcher d'‚tudier ce double amour du prisonnnier pour elle
et pour la tulipe noire;--j'ai fait les choses en grand: je me suis
pr‚par‚ dans un carr‚ nu, loin des arbres et des murs, dans une terre
l‚gŠrement sablonneuse, plut“t humide que sŠche, sans un grain de
pierre, sans un caillou, je me suis dispos‚ une plate-bande comme
vous me l'avez d‚crite.
--Bien, bien, Rosa.
--Le terrain pr‚par‚ de la sorte m'attend plus que votre
avertissement. Au premier beau jour vous me direz de planter mon
ca‹eu et je le planterai; vous savez que je dois tarder sur vous, moi
qui ai toutes les chances du bon air, du soleil et de l'abondance des
sucs terrestres.
--C'est vrai, c'est vrai, s'‚cria Corn‚lius en frappant avec joie ses
mains; vous ˆtes certainement une bonne ‚coliŠre, Rosa, et vous
gagnerez certainement vos cent mille florins.
--N'oubliez pas, dit en riant Rosa, que votre ‚coliŠre, puisque vous
m'appelez ainsi, a encore autre chose … apprendre que la culture des
tulipes.
--Oui, oui, et je suis aussi int‚ress‚ que vous, belle Rosa, … ce que
vous sachiez lire.
--Quand commencerons-nous?
--Tout de suite.
--Non, demain.
--Pourquoi demain?
--Parce qu'aujourd'hui notre heure est ‚coul‚e et qu'il faut que je
vous quitte.
--D‚j…! mais dans quoi lirons-nous?
--Oh! dit Rosa, j'ai un livre, un livre qui, je l'espŠre, nous
portera bonheur.
--A demain donc?
--A demain.

Le lendemain Rosa revint avec la Bible de Corneille de Witt.


XII

PREMIER CAIEU

Le lendemain, avons-nous dit, Rosa revint avec la Bible de Corneille
de Witt. La jeune fille dut s'appuyer au guichet, la tˆte pench‚e,
le livre … la hauteur de la lumiŠre qu'elle tenait … la main droite,
et que, pour la reposer un peu, Corn‚lius imagina de fixer par un
mouchoir au treillis de fer. DŠs lors Rosa put suivre avec un de ses
doigts sur le livre les lettres et les syllabes que lui faisait
‚peler Corn‚lius, lequel, muni d'un f‚tu de paille en guise
d'indicateur, d‚signait ces lettres par le trou du grillage … son
‚coliŠre attentive. Le feu de cette lampe ‚clairait les riches
couleurs de Rosa, son oeil bleu et profond, ses tresses blondes sous
le casque d'or bruni qui, ainsi que nous l'avons dit, sert de
coiffure aux Frisonnes.

L'intelligence de Rosa se d‚veloppait rapidement sous le contact
vivifiant de l'esprit de Corn‚lius, et quand la difficult‚ paraissait
trop ardue, ces yeux qui plongeaient l'un dans l'autre, d‚tachaient
des ‚tincelles ‚lectriques capables d'‚clairer les t‚nŠbres mˆme de
l'idiotisme. Et Rosa, descendue chez elle, repassait seule dans son
esprit les le‡ons de lecture, et en mˆme temps dans son ƒme les
le‡ons non avou‚es de l'amour. Un soir elle arriva une demi-heure
plus tard que de coutume.

--Oh! ne me grondez pas, dit la jeune fille, ce n'est point ma faute.
Mon pŠre a renou‚ connaissance … Loewestein avec un boonhomme qui
‚tait venu fr‚quemment le solliciter … la Haye pour voir la prison.
C'‚tait un bon diable, ami de la bouteille, et qui racontait de
joyeuses histoires.
--Vous ne le connaissez pas autrement? demanda Corn‚lius ‚tonn‚.
--Non, r‚pondit la jeune fille, c'est depuis quinze jours environ que
mon pŠre s'est affol‚ de ce nouveau venu si assidu … le visiter.
--Oh! fit Corn‚lius, quelque espion du genre de ceux que l'on envoie
dans les forteresses pour surveiller ensemble prisonniers et
gardiens.
--Je ne crois pas, fit Rosa en souriant ; si ce brave homme ‚pie
quelqu'un, ce n'est pas mon pŠre.
--Qui est-ce alors?
--Moi, par exemple.
--Vous?
--Pourquoi pas? dit en riant Rosa.
--Ah! c'est vrai, fit Corn‚lius en soupirant, vous n'aurez pas
toujours en vain des pr‚tendants, Rosa; cet homme peut devenir votre
mari.
--Je ne dis pas non.
--Et sur quoi fondez-vous cette joie?
--Dites cette crainte, monsieur Corn‚lius.
--Merci, Rosa, car vous avez raison; cette crainte...
--Je la fonde sur ceci.
--J'‚coute, dites.
--Cet homme ‚tait d‚j… venue plusieurs fois au Buytenhoff, … la Haye
; tenez, juste au moment o— vous y f–tes enferm‚. Moi sortie, il en
sortit … son tour ; moi venue ici, il y vint. A la Haye il prenait
pour pr‚texte qu'il voulait vous voir.
--Me voir, moi?
--Oh! pr‚texte, assur‚ment, car aujourd'hui qu'il pourrait encore
faire valoir la mˆme raison, puisque vous ˆtes redevenu prisonnier de
mon pŠre, il ne se recommande plus de vous, bien au contraire. Je
l'entendais dire hier … mon pŠre qu'il ne vous connaissait pas.
--Continuez, Rosa, je vous prie, que je tƒche de deviner quel est cet
homme et ce qu'il veut.
--Vous ˆtes s–r, monsieur Corn‚lius, que nul de vos amis ne peut
s'int‚resser … vous?
--Je n'ai pas d'amis, Rosa, je n'avais que ma nourrice, vous la
connaissez et elle vous connaŒt. H‚las! cette pauvre Zug, eelle
viendrait elle-mˆme et ne ruserait pas.
--J'en reviens donc … ce que je pensais, d'autant mieux qu'hier, au
coucher du soleil, comme j'arrangeais la plate-bande o— je dois
planter votre ca‹eu, je vis une ombre qui, par la porte entr'ouverte,
se glissait derriŠre les sureaux et les trembles. Je n'eus pas l'air
de regarder, c'‚tait notre homme. Il se cacha, me vit remuer la
terre, et, certes, c'‚tait bien moi qu'il avait suivie, c'‚tait bien
moi qu'il ‚piait. Je ne donnai pas un coup de rateau, je ne touchai
pas un atome de terre qu'il ne s'en rendŒt compte.
--Oh! oui, oui, c'est un amoureux, dit Corn‚lius. Est-il jeune,
est-il beau?

Et il regarda avidement Rosa, attendant impatiemment sa r‚ponse.

--Jeune, beau? s'‚cria Rosa ‚clatant de rire. Il est hideux de
visage, il a le corps vo–t‚, il approche de cinquante ans, et n'ose
me regarder en face ni parler haut.
--Et il s'appelle?
--Jacob Gisels.
--Je ne le connais pas.
--Vous voyez bien, alors, que ce n'est pas pour vous qu'il vient.
--En tout cas, s'il vous aime, Rosa, ce qui est bien probable, car
vous voir c'est vous aimer, vous ne l'aimez pas, vous?
--Oh! non, certes.
--Vous voulez que je me tranquillise, alors?
--Je vous y engage.
--Eh bien! maintenant que vous commencez … savoir lire, Rosa, vous
lirez tout ce que je vous ‚crirai, n'est-ce pas, sur les tourments de
la jalousie et sur ceux de l'absence?
--Je lirai si vous ‚crivez bien gros.

Puis, comme la tournure que prenait la conversation commen‡ait …
inqui‚ter Rosa:

--A propos, dit-elle, comment se porte votre tulipe, … vous?
--Rosa, jugez de ma joie ; ce matin je la regardais au soleil, aprŠs
avoir ‚cart‚ doucement la couche de terre qui couvre le ca‹eu, j'ai
vu poindre l'aiguillon de la premiŠre pousse.
--Vous esp‚rez, alors? dit Rosa en souriant.
--Oh! oui, j'espŠre.
--Et moi, … mon tour, quand planterai-je mon ca‹eu?
--Au premier jour favorable, je vous le dirai; mais surtout, n'allez
point vous faire aider par personne, surtout ne confiez votre secret
… qui que ce soit au monde, un amateur, voyez-vous, serait capable,
rien qu'… l'inspection de ce ca‹eu, de reconnaŒtre sa valeur; et
surtout, surtout, ma bien chŠre Rosa, serrez pr‚cieusement le
troisiŠme oignon qui vous reste.
--Il est encore dans le mˆme papier o— vous l'avez mis et tel que
vous me l'avez donn‚, monsieur Corn‚lius, enfoui tout au fond de mon
armoire et sous mes dentelles qui le tiennent au sec sans le charger.
Mais, adieu, pauvre prisonnier.
--Comment, d‚j…?
--Il le faut.
--Venir si tard et partir si t“t!
--Mon pŠre pourrait s'impatienter en ne me voyant pas revenir;
l'amoureux pourrait se douter qu'il a un rival.

Et elle ‚couta inquiŠte.

--Qu'avez-vous donc? demanda van Baerle.
--Il m'a sembl‚ entendre...
--Quoi donc?
--Quelque chose comme un pas qui craquait dans l'escalier.
-En effet, dit le prisonnier, ce ne peut ˆtre Gryphus, on l'entend de
loin, lui.
--Non, ce n'est pas mon pŠre, j'en suis s–re, mais...
--Mais...
--Mais ce pourrait ˆtre M. Jacob.

Rosa s'‚lan‡a dans l'escalier, et l'on entendit en effet une porte
qui se fermait rapidement avant que la jeune fille e–t descendu les
dix premiŠres marches. Corn‚lius demeura fort inquiet, mais ce
n'‚tait pour lui qu'un pr‚lude. Le lendemain se passa sans que rien
de marquant e–t lieu. Gryphus fit ses trois visites. Il ne d‚couvrit
rien. Quand il entendait venir son ge“lier,--et dans l'esp‚rance de
surprendre les secrets de son prisonnier, Gryphus ne venait jamais
aux mˆmes heures,--quand il entendait venir son ge“lier, van Baerle,
… l'aide d'une m‚canique qu'il avait invent‚e, avait imagin‚ de
descendre sa cruche au-dessous de l'entablement de tuiles d'abord, et
ensuite de pierres qui r‚gnait au-dessous de sa fenˆtre. Quant aux
ficelles … l'aide desquelles le mouvement s'op‚rait, notre m‚canicien
avait trouv‚ un moyen de les cacher avec les mousses qui v‚gŠtent sur
les tuiles et dans le creux des pierres. Gryphus n'y devinait rien.
Ce manŠge r‚ussit pendant huit jours. Mais un matin Corn‚lius,
absorb‚ dans la contemplation de son ca‹eu, d'o— s'‚lan‡ait d‚j… un
point de v‚g‚tation, n'avait pas entendu monter le vieux Gryphus, la
porte s'ouvrit tout … coup, et Corn‚lius fut surpris sa cruche entre
ses genoux.

Gryphus, voyant un objet inconnu, et par cons‚quent d‚fendu, aux
mains de son prisonnier, Gryphus fondit sur cet objet avec plus de
rapidit‚ que ne fait le faucon sur sa proie. Sa grosse main calleuse
se posa au beau milieu de la cruche, sur la portion de terreau
d‚positaire du pr‚cieux oignon.

--Qu'avez-vous l…? s'‚cria-t-il. Ah! je vous y prends!

Et il enfon‡a sa main dans la terre.

--Moi? Rien, rien! s'‚cria Corn‚lius tout tremblant.
--Ah! je vous y prends! Une cruche, de la terre! il y a quelque
secret coupable cach‚ la-dessous!
--Cher monsieur Gryphus! supplit van Baerle.

Gryphus commen‡ait … creuser la terre avec ses doigts crochus.

--Monsieur, monsieur! prenez garde! dit Corn‚lius pƒlissant.
--A quoi? … quoi? hurla le ge“lier.
--Prenez garde! vous dis-je; vous allez le meurtrir! Et d'un
mouvement rapide, presque d‚sesp‚r‚, il arracha des mains du ge“lier
la cruche, qu'il cacha comme un tr‚sor sur le rempart de ses deux
bras. Mais Gryphus, entˆt‚ comme un vieillard, et de plus en plus
convaincu qu'il venait de d‚couvrir une conspiration contre le prince
d'Orange, Gryphus courut sur son prisonnier le bƒton lev‚, et voyant
l'impassible r‚solution du captif … prot‚ger son pot de fleurs, il
sentit que Corn‚lius tremblait bien moins pour sa tˆte que pour sa
cruche. Il chercha donc … la lui arracher de vive force.

--Ah! disait le ge“lier furieux, vous voyez bien que vous vous
r‚voltez.
--Laissez-moi ma tulipe! criait van Baerle.
--Oui, oui, tulipe, r‚pliquait le vieillard. On connaŒt les ruses de
messieurs les prisonniers.
--Mais je vous jure.
--Lƒchez, r‚p‚tait Gryphus en frappant du pied. Lƒchez, ou j'appelle
la garde.
--Appelez qui vous voudrez, mais vous n'aurez cette pauvre fleur
qu'avec ma vie.

Gryphus, exasp‚r‚, enfon‡a ses doigts pour la seconde fois dans la
terre, et cette fois en tira le ca‹eu tout noir, et tandis que van
Baerle ‚tait heureux d'avoir sauv‚ le contenant, ne s'imaginant pas
que son adversaire poss‚dƒt le contenu, Gryphus lan‡a violemment le
ca‹eu amolli qui s'‚crasa sur la dalle, et disparut presque aussit“t,
broy‚, mis en bouillie, sous le large soulier du ge“lier.

Van Baerle vit le meurtre, entrevit les d‚bris humides, comprit cette
joie f‚roce de Gryphus et poussa un cri de d‚sespoir. L'id‚e
d'assommer ce m‚chant homme passa comme un ‚clair dans le cerveau du
tulipier. Le feu et le sang tout ensemble lui montŠrent au front,
l'aveuglŠrent et il leva de ses deux mains la cruche lourde de toute
l'inutile terre qui y restait. Un instant de plus, et il la laissait
retomber sur le crƒne chauve du vieux Gryphus.

Un cri l'arrˆta, un cri plein de larmes et d'angoisses, le cri que
poussa derriŠre le grillage du guichet la pauvre Rosa. Corn‚lius
abandonna la cruche qui se brisa en mille piŠces avec un fracas
‚pouvantable. Et alors Gryphus comprit le danger qu'il venait de
courir, et prof‚ra de terrible m‚naces.

--Oh! il faut, lui dit Corn‚lius, que vous soyez un homme bien lƒche
et bien manant pour arracher … un pauvre prisonnier sa seule
consolation, un oignon de tulipe.
--Fi! mon pŠre, ajouta Rosa, c'est un crime que vous venez de
commettre.
--Ah! c'est vous, p‚ronnelle, s'‚cria en se retournant vers sa fille
le vieillard bouillant de colŠre, mˆlez-vous de ce qui vous regarde,
et surtout descendez au plus vite.
--Malheureux! malheureux! continuait Corn‚lius au d‚sespoir.
--AprŠs tout, ce n'est qu'une tulipe, ajouta Gryphus un peu honteux.
On vous en donnera tant que vous voudrez, des tulipes, j'en ai trois
cents dans mon grenier.
--Au diable vos tulipes! s'‚cria Corn‚lius. Elles vous valent et vous
les valez. Oh! cent milliards de millions! si je les avais je les
donnerais pour celle que vous avez ‚cras‚e l….
--Ah! fit Gryphus triomphant. Vous voyez bien que ce n'est pas … la
tulipe que vous teniez. Vous voyez bien qu'il y avait dans ce faux
oignon quelques sorcelleries, un moyen de correspondance peut-ˆtre
avec les ennemis de Son Altesse, qui vous a fait grƒce. Je le disais
bien, qu'on avait eu tort de ne pas vous couper le cou.
--Mon pŠre! mon pŠre! s'‚criait Rosa.
--Eh bien! tant mieux! tant mieux! r‚p‚tait Gryphus en s'animant, je
l'ai d‚truit, je l'ai d‚truit. Il en sera de mˆme chaque fois que
vous recommencerez. Ah! je vous avais pr‚venu, mon bel ami, que je
vous rendrais la vie dure.
--Maudit! maudit! hurla Corn‚lius tout … son d‚sespoir en retournant
avec ses doigts tremblants les derniers vestiges du ca‹eu, cadavre de
tant de joies et de tant d'esp‚rances.
--Nous planterons l'autre demain, cher monsieur Corn‚lius, dit … voix
basse Rosa, qui comprenait l'immense douleur du tulipier et qui jeta
cette douce parole comme une goutte de baume sur la blessure
saignante de Corn‚lius.


XIII

L'AMOUREUX DE ROSA

Rosa avait … peine jet‚ ces paroles de consolation … Corn‚lius que
l'on entendit dans l'escalier une voix qui demandait … Gryphus des
nouvelles de ce qui se passait.

--Mon pŠre, dit Rosa, entendez-vous?
--Quoi?
--M. Jacob vous appelle. Il est inquiet.
--On a fait tant de bruit, fit Gryphus. N'e–t-on pas dit qu'il
m'assassinait, ce savant? Ah! que de mal on a toujours avec les
savants!

Puis, indiquant du doigt l'escalier … Rosa:

--Marchez devant, mademoiselle! dit-il.

Et, fermant la porte:

--Je vous rejoins, ami Jacob, acheva-t-il.

Et Gryphus sortit, emmenant Rosa et laissant dans sa solitude et dans
sa douleur amŠre le pauvre Corn‚lius qui murmurait:

--Oh! c'est toi qui m'as assassin‚, vieux bourreau. Je n'y survivrai
pas!

Et en effet le pauvre prisonnier f–t tomb‚ malade sans ce
contre-poids que la Providence avait mis … sa vie et que l'on
appelait Rosa. Le soir, la jeune fille revint. Son premier mot fut
pour annoncer … Corn‚lius que d‚sormais son pŠre ne s'opposait plus …
ce qu'il cultivƒt des fleurs.

--Et comment savez-vous cela? dit d'un air dolent le prisonnier … la
jeune fille.
--Je le sais parce qu'il l'a dit.
--Pour me tromper peut-ˆtre?
--Non, il se repent.
--Oh! oui, mais trop tard.
--Ce repentir ne lui est pas venu de lui-mˆme.
--Et comment lui est-il donc venu?
--Si vous saviez combien son ami le gronde!
--Ah! monsieur Jacob; il ne vous quitte donc pas, monsieur Jacob?
--En tout cas il nous quitte le moins qu'il peut.

Et elle sourit de telle fa‡on que ce petit nuage de jalousie qui
avait obscurci le front de Corn‚lius se dissipa.

--Comment cela s'est-il fait? demanda le prisonnier.
--Eh bien! interrog‚ par son ami, mon pŠre … souper a racont‚
l'histoire de la tulipe ou plut“t du ca‹eu, et le bel exploit qu'il
avait fait en l'‚crasant.
--Si vous eussiez vu en ce moment maŒtre Jacob! continua Rosa. Vous
avez fait cela, s'‚cria Jacob, vous avez ‚cras‚ le ca‹eu? --Sans
doute, fit mon pŠre.
--C'est infƒme! continua-t-il, c'est odieux! c'est un crime que vous
avez commis l…! hurla Jacob.
--Mais, fit mon pŠre, comment s'‚tait-il procur‚ cet oignon? Voil… ce
qu'il serait bon de savoir, ce me semble. Je d‚tournai les yeux pour
‚viter le regard de mon pŠre. Mais je fus arrˆt‚e par un mot que
j'entendis, si bas qu'il f–t prononc‚. Jacob disait … mon pŠre:
--Ce n'est pas chose difficile que de s'en assurer, parbleu.
--C'est de le fouiller, dit mon pŠre, et s'il a les autres ca‹eux
nous les trouverons.
--Oui, ordinairement, il y en a trois.
--Il y en a trois! s'‚cria Corn‚lius. Il a dit que j'avais trois
ca‹eux?
--Vous comprenez, le mot m'a frapp‚e comme vous. Je me retournai.
--Mais, dit mon pŠre, il ne les a peut-ˆtre pas sur lui, ses oignons.
--Alors, dit Jacob, faites-le descendre sous un pr‚texte quelconque,
pendant ce temps je fouillerai sa chambre.
--Oh! oh! fit Corn‚lius. Mais c'est un sc‚l‚rat que votre monsieur
Jacob.
--J'en ai peur.
--Dites-moi, Rosa, continua Corn‚lius tout pensif.
--Quoi?
--Ne m'avez-vous pas racont‚ que le jour o— vous aviez pr‚par‚ votre
plate-bande, cet homme vous avait suivie?
--Oui.
--Qu'il ‚tait gliss‚ comme une ombre derriŠre les sureaux?
--Sans doute.
--Qu'il n'avait pas perdu un de vos coups de rƒteau?
--Pas un.
--Rosa... fit Corn‚lius pƒlissant.
--Eh bien!
--Ce n'‚tait pas vous qu'il suivait.
--Qui suivait-il donc?
--C'‚tait mon ca‹eu qu'il suivait; c'‚tait de ma tulipe qu'il ‚tait
amoureux.
--Ah! par exemple! cela pourrait bien ˆtre, s'‚cria Rosa.
--Voulez-vous vous en assurer?
--Et de quelle fa‡on?
--Oh! c'est chose bien facile.
--Dites.
--Allez demain au jardin; tƒchez, comme la premiŠre fois, que Jacob
sache que vous y allez; tƒchez, comme la premiŠre fois, qu'il vous
suive; faites semblant d'enterrer le ca‹eu, sortez du jardin, mais
regardez … travers la porte, et vous verrez ce qu'il fera.
--Bien! mais aprŠs?
--AprŠs! comme il agira, nous agirons.
--Ah! dit Rosa en poussant un soupir, vous aimez bien vos oignons,
monsieur Corn‚lius.
--Le fait est, dit le prisonnier avec un soupir, que depuis que votre
pŠre a ‚cras‚ ce malheureux ca‹eu, il me semble qu'une portion de ma
vie est paralys‚e.
--Voyons! dit Rosa, voulez-vous essayer autre chose encore?
--Quoi?
--Voulez-vous accepter la proposition de mon pŠre?
--Quelle proposition?
--Il vous a offert des oignons de tulipes par centaines.
--C'est vrai.
--Acceptez-en deux ou trois, et au milieu de ces deux ou trois
oignons, vous pourrez ‚lever le troisiŠme ca‹eu.
--Oui, ce serait bien, dit Corn‚lius le sourcil fronc‚, si votre pŠre
‚tait seul; mais cet autre, ce Jacob, qui nous ‚pie...
--Ah! c'est vrai; cependant, r‚fl‚chissez! vous vous privez l…, je le
vois, d'une grande distraction.

Et elle pronon‡a ces paroles avec un sourire qui n'‚tait pas
entiŠrement exempt d'ironie. En effet, Corn‚lius r‚fl‚chit un
instant, il ‚tait facile de voir qu'il luttait contre un grand d‚sir.

--Eh bien! non! s'‚cria-t-il avec un sto‹cisme tout antique, non! ce
serait une faiblesse, ce serait une folie, ce serait une lƒchet‚! si
je livrais ainsi … toutes les mauvaises chances de la colŠre et de
l'envie la derniŠre ressource qui nous reste, je serais un homme
indigne de pardon. Non! Rosa, non! demain nous prendrons une
r‚solution … l'endroit de votre tulipe, vous la cultiverez selon mes
instructions; et quant au troisiŠme ca‹eu, gardez-le dans votre
armoire; gardez-le comme l'avare garde sa premiŠre ou sa derniŠre
piŠce d'or, comme la mŠre garde son fils, comme le bless‚ garde la
suprˆme goutte de sang de ses veines; gardez- le, Rosa! quelque
chose me dit que l… est notre salut, que l… est notre richesse!
--Soyez tranquille, monsieur Corn‚lius, dit Rosa avec un doux m‚lange
de tristesse et de solennit‚; soyez tranquille, vos d‚sirs sont des
ordres pour moi.
--Et mˆme, continua le jeune homme, s'enfi‚vrant de plus en plus, si
vous vous aperceviez que vous ˆtes suivie, que vos conversations
‚veillent les soup‡ons de votre pŠre ou de cet affreux Jacob que je
d‚teste; eh bien! Rosa, sacrifie-moi tout de suite, moi qui ne vis
plus que par vous, qui n'ai plus que vous au monde, sacrifiez-moi, ne
me voyez plus.

Rosa sentit son coeur se serrer dans sa poitrine; des larmes
jaillirent de ses yeux.

--H‚las! dit-elle.
--Quoi? demanda Corn‚lius.
--Je vois une chose.
--Que voyez-vous?
--Je vois, dit la jeune fille, ‚clatant en sanglots, je vois que vous
aimez tant les tulipes, qu'il n'y a plus place dans votre coeur pour
une autre affection.

Et elle s'enfuit.

Corn‚lius passa ce soir-l… et aprŠs le d‚part de la jeune fille une
des plus mauvaises nuits qu'il e–t jamais pass‚es. Rosa ‚tait
courrouc‚e contre lui, et elle avait raison. Elle ne reviendrait
plus voir le prisonnier peut-ˆtre, et il n'aurait plus de nouvelles,
ni de Rosa ni de ses tulipes. Nous l'avouons … la honte de notre
h‚ros et de l'horticulture, de ses deux amours, celui que Corn‚lius
se sentit le plus enclin … regretter, ce fut l'amour de Rosa, et
lorsque vers trois heures du matin il s'endormit harass‚ de fatigue,
harcel‚ de craintes, bourrel‚ de remords, la grande tulipe noire c‚da
le premier rang, dans ses rˆves, aux yeux bleus si doux de la
Frisonne blonde.


XIV

FEMME ET FLEUR

Mais la pauvre Rosa, enferm‚e dans sa chambre, ne pouvait savoir …
qui ou … quoi rˆvait Corn‚lius. Il en r‚sultait que, d'aprŠs ce
qu'il lui avait dit, Rosa ‚tait bien plus encline … croire qu'il
rˆvait … sa tulipe qu'… elle, et cependant Rosa se trompait. Mais
comme personne n'‚tait l… pour dire … Rosa qu'elle se trompait, comme
les paroles imprudentes de Corn‚lius ‚taient tomb‚es sur son ƒme
comme des gouttes de poison, Rosa ne rˆvait pas, elle pleurait. En
effet, comme Rosa ‚tait une cr‚ature d'esprit ‚lev‚, d'un sens droit
et profond, Rosa se rendait justice, non point quant … ses qualit‚s
morales et physiques, mais quant … la position sociale. Corn‚lius
‚tait savant, Corn‚lius ‚tait riche, ou du moins l'avait ‚t‚ avant la
confiscation de ses biens. Corn‚lius pouvait donc trouver Rosa bonne
pour une distraction, mais … coup s–r quand il s'agirait d'engager
son coeur, ce serait plut“t … une tulipe, c'est-…- dire … la plus
noble et … la plus fiŠre des fleurs qu'il l'engagerait, qu'… Rosa,
humble fille d'un ge“lier.

Aussi Rosa avait-elle pris une r‚solution pendant cette nuit
terrible, pendant cette nuit d'insomnie qu'elle avait pass‚e. Cette
r‚solution, c'‚tait de ne plus revenir au guichet.

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Cornelius anxiously awaited the evening visit. But Rosa did not come
that day, nor the next, nor the next. At last Cornelius understood
that he had offended the girl, and that she thought he loved only the
tulip. In despair he refused to eat. Gryphus was delighted.
-----------------

--Bon, dit Gryphus en descendant aprŠs la derniŠre visite; bon, je
crois que nous allons ˆtre d‚barrass‚s du savant.

Rosa tressaillit.

--Bah! dit Jacob, et comment cela?
--Il ne boit plus, il ne mange plus, il ne se lŠve plus, dit Gryphus.

Rosa devint pƒle comme la mort.

--Oh! murmura-t-elle, je comprends; il est inquiet de sa tulipe.

Et se levant tout oppress‚e, elle rentra dans sa chambre, o— elle
prit une plume et du papier, et pendant toute la nuit, s'exer‡a …
tracer des lettres. Le lendemain, en se levant pour se traŒner … la
fenˆtre, Corn‚lius aper‡ut un papier qu'on avait gliss‚ sous la
porte. Il s'‚lan‡a sur ce papier, l'ouvrit, et lut:

®Soyez tranquille, votre tulipe se porte bien.¯

Quoique ce petit mot de Rosa calmƒt une partie des douleurs de
Corn‚lius, il n'en fut pas moins sensible … l'ironie. Ainsi, c'‚tait
bien cela, Rosa n'‚tait point malade, elle ‚tait bless‚e; ce n'‚tait
pas par force que Rosa ne venait plus, c'‚tait volontairement qu'elle
restait ‚loign‚e de Corn‚lius. Ainsi Rosa libre, Rosa trouvait dans
sa volont‚ la force de ne pas venir voir celui qui mourait du chagrin
de ne pas l'avoir vue. Corn‚lius avait du papier et un crayon que
lui avait apport‚s Rosa. Il comprit que la jeune fille attendait une
r‚ponse, mais que cette r‚ponse elle ne la viendrait chercher que la
nuit. En cons‚quence il ‚crivit sur un papier pareil … celui qu'il
avait re‡u:

®Ce n'est point l'inqui‚tude que me cause ma tulipe qui me rend
malade; c'est le chagrin que j'‚prouve de ne pas vous voir.¯

Puis Gryphus sorti, le soir venu, il glissa le papier sous la porte
et ‚couta. Mais, avec quelque soin qu'il prˆtƒt l'oreille, il
n'entendit ni son pas ni le froissement de sa robe. Il n'entendit
qu'une voix faible comme un souffle, et douce comme une caresse, qui
lui jetait par le guichet ces deux mots:

--A demain.

Demain,--c'‚tait le huitiŠme jour.--Pendant huit jours Corn‚lius et
Rosa ne s'‚taient point vus.


XV

CE QUI S'ETAIT PASSE PENDANT CES HUIT JOURS.

Le lendemain en effet, … l'heure habituelle, van Baerle entendit
gratter … son guichet comme avait l'habitude de le faire Rosa dans
les bons jours de leur amiti‚. On devine que Corn‚lius n'‚tait pas
loin de cette porte … travers le grillage de laquelle il allait
revoir enfin la charmante figure disparue depuis trop longtemps.
Rosa, qui l'attendait sa lampe … la main, ne put retenir un mouvement
quand elle vit le prisonnier si triste et si pƒle.

--Vous ˆtes souffrant, monsieur Corn‚lius? demanda-t-elle.
--Oui, mademoiselle, r‚pondit Corn‚lius, souffrant d'esprit et de
corps.
--J'ai vu, monsieur, que vous ne mangiez plus, dit Rosa; mon pŠre m'a
dit que vous ne vous leviez plus; alors je vous ai ‚crit pour vous
tranquilliser sur le sort du pr‚cieux objet de vos inqui‚tudes.
--Et moi, dit Corn‚lius, je vous ai r‚pondu. Je croyais, en vous
voyant revenir, chŠre Rosa, que vous aviez re‡u ma lettre.
--C'est vrai, je l'ai re‡ue.
--Vous ne donnerez pas pour excuse, cette fois, que vous ne savez pas
lire. Non seulement vous lisez couramment, mais encore vous avez
‚norm‚ment profit‚ sous le rapport de l'‚criture.
--En effet, j'ai non seulement re‡u, mais lu votre billet. C'est pour
cela que je suis venue pour voir s'il n'y aurait pas quelque moyen de
vous rendre … la sant‚.
--Me rendre … la sant‚! s'‚cria Corn‚lius, mais vous avez donc
quelque bonne nouvelle … m'apprendre?

Et en parlant ainsi, le jeune homme attachait sur Rosa des yeux
brillants d'espoir. Soit qu'elle ne comprŒt pas ce regard, soit
qu'elle ne voul–t pas le comprendre, la jeune fille r‚pondit
gravement:

--J'ai seulement … vous parler de votre tulipe, qui est, je le sais,
la plus grave pr‚occupation que vous ayez.

Rosa pronon‡a ce peu de mots avec un accent glac‚ qui fit tressaillir
Corn‚lius. Le z‚l‚ tulipier ne comprenait pas tout ce que cachait,
sous le voile de l'indiff‚rence, la pauvre enfant toujours aux prises
avec sa rivale, la tulipe noire.

--Ah! murmura Corn‚lius encore, encore! Rosa, ne vous ai-je pas dit,
mon Dieu! que je ne songeais qu'… vous, que c'‚tait vous seule que
je regrettais, vous seule qui, par votre absence, me retiriez l'air,
le jour, la chaleur, la lumiŠre, la vie?

Rosa sourit m‚lancoliquement.

--Ah! dit-elle, c'est que votre tulipe a couru un si grand danger!

Corn‚lius tressaillit malgr‚ lui, et se laissa prendre au piŠge si
c'en ‚tait un.

--Un si grand danger! s'‚cria-t-il tout tremblant, mon Dieu! et
lequel?

Rosa le regarda avec une douce compassion, elle sentait que ce
qu'elle voulait ‚tait au-dessus des forces de cet homme, et qu'il
fallait accepter celui-l… avec sa faiblesse.

--Oui, dit-elle, vous aviez devin‚ juste, le pr‚tendant, l'amoureux,
le Jacob ne venait point pour moi.
--Et pour qui venait-il donc? demanda Corn‚lius avec anxi‚t‚.
--Il venait pour la tulipe.
--Oh! fit Corn‚lius pƒlissant … cette nouvelle plus qu'il n'avait
pƒli lorsque Rosa, se trompant, lui avait annonc‚ quinze jours
auparavant que Jacob venait pour elle. Rosa vit cette terreur, et
Corn‚lius s'aper‡ut … l'expression de son visage, qu'elle pensait ce
que nous venons de dire.
--Oh! pardonnez-moi, Rosa, dit-il, je vous connais, je sais la bont‚
et l'honnˆtet‚ de votre coeur. Vous, Dieu vous a donn‚ la pens‚e, le
jugement, la force et le mouvement pour vous d‚fendre, mais … ma
pauvre tulipe menac‚e, Dieu n'a rien donn‚ de tout cela.

Rosa ne r‚pondit point … cette excuse du prisonnier et continua:

--Du moment o— cet homme, qui m'avait suivie au jardin et que j'avais
reconnu pour Jacob, vous inqui‚tait, il m'inqui‚tait bien plus
encore. Je fis donc ce que vous aviez dit, le lendemain du jour o— je
vous ai vu pour la derniŠre fois et o— vous m'avez dit...

Corn‚lius l'interrompit.

--Pardon, encore une fois, Rosa, s'‚cria-t-il. Ce que je vous ai dit,
j'ai eu tort de vous le dire. J'ai d‚j… demand‚ mon pardon de cette
fatale parole. Je le demande encore. Sera-ce donc toujours vainement?
--Le lendemain de ce jour-l…, reprit Rosa, me rappelant ce que vous
m'aviez dit... de la ruse … employer pour m'assurer si c'‚tait moi ou
la tulipe que cet odieux homme suivait...
--Oui, odieux... N'est-ce pas, dit-il, vous le ha‹ssez bien, cet
homme?
--Oui, je le hais, dit Rosa, car il est cause que j'ai bien souffert
depuis huit jours.
--Ah! vous aussi, vous avez donc souffert? Merci de cette bonne
parole, Rosa.
--Le lendemain de ce malheureux jour, continua Rosa, je descendis
donc au jardin, et m'avan‡ai vers la plate-bande o— je devais planter
la tulipe, tout en regardant derriŠre moi si, cette fois comme
l'autre, j'‚tais suivie.
--Eh bien? demanda Corn‚lius.
--Eh bien! la mˆme ombre se glissa entre la porte et la muraille, et
disparut encore derriŠre les sureaux. Je m'inclinai sur la
plate-bande que je creusai avec une bˆche comme si je plantais le
ca‹eu.
--Et lui... lui... pendant ce temps?
--Je voyais briller ses yeux ardents comme ceux d'un tigre … travers
les branches des arbres.
--Voyez-vous? voyez-vous? dit Corn‚lius.
--Puis, ce semblant d'op‚ration achev‚, je me retirai. Il attendit
un instant, sans doute pour s'assurer que je ne reviendraais pas,
puis il sortit … pas de loup de sa cachette, s'approcha de la
plate-bande par un long d‚tour, puis arriv‚ enfin … son but, c'est-…-
dire en face de l'endroit o— la terre ‚tait fraŒchement remu‚e, il
s'arrˆta d'un air indiff‚rent, regarda de tous c“t‚s, interrogea
chaque angle du jardin, interrogea chaque fenˆtre des maisons
voisines, interrogea la terre, le ciel, l'air, et croyant qu'il ‚tait
bien seul, bien isol‚, bien hors de la vue de tout le monde, il se
pr‚cipita sur la plate-bande, enfon‡a ses deux mains dans la terre
molle, et enleva une portion qu'il brisa doucement entre ses mains
pour voir si le ca‹eu s'y trouvait, recommen‡a trois fois le mˆme
manŠge, et chaque fois avec une action plus ardente, jusqu'… ce
qu'enfin, commen‡ant … comprendre qu'il pouvait ˆtre dupe de quelque
supercherie, il calma l'agitation qui le d‚vorait, prit le rƒteau,
‚galisa le terrain pour le laisser … son d‚part dans le mˆme ‚tat o—
il se trouvait avant qu'il ne l'e–t fouill‚, et tout honteux, tout
penaud, il reprit le chemin de la porte, affectant l'air innocent
d'un promeneur ordinaire.
--Oh! le mis‚rable, murmura Corn‚lius essuyant les gouttes de sueur
qui ruisselaient sur son front. Oh! le mis‚rable, je l'avais devin‚.
Mais le ca‹eu, Rosa, qu'en avez-vous fait? H‚las! il est d‚j… un peu
tard pour le planter.
--Le ca‹eu, il est depuis six jours en terre.
--O— cela? comment cela? s'‚cria Corn‚lius. Oh! mon Dieu! quelle
imprudence! O— est-il? Dans quelle terre est-il? Est-il bien ou mal
expos‚? Ne risque-t-il pas de nous ˆtre vol‚ par cet affreux Jacob?
--Il ne risque pas de nous ˆtre vol‚, … moins que Jacob ne force la
porte de ma chambre.
--Ah! il est chez vous, il est dans votre chambre, Rosa! dit
Corn‚lius un peu tranquillis‚. Mais dans quelle terre, dans quel
r‚cipient? Vous ne le faites pas germer dans l'eau comme les bonnes
femmes de Harlem et de Dordrecht, qui s'entˆtent … croire que l'eau
peut remplacer la terre, comme si l'eau, qui est compos‚e de
trente-trois parties d'oxygŠne et de soixante-six parties
d'hydrogŠne, pouvait remplacer... Mais qu'est-ce que je vous dis l…,
Rosa!
--Oui, c'est un peu savant pour moi, r‚pondit en souriant la jeune
fille. Je me contenterai donc de vous r‚pondre, pour vous
tranquilliser, que votre ca‹eu n'est pas dans l'eau.
--Ah! je respire.
--Il est dans un bon pot de grŠs, juste de la largeur de la cruche o—
vous aviez enterr‚ le v“tre. Il est dans un terrain compos‚ de trois
quarts de terre ordinaire prise au meilleur endroit du jardin, et
d'un quart de terre de rue. Oh! j'ai entendu dire si souvent … vous
et cet infame Jacob, comme vous l'appelez, dans quelle terre doit
pousser la tulipe, que je sais cela comme le premier jardinier de
Harlem!
--Ah! maintenant reste l'exposition. A quelle exposition est-il,
Rosa?
--Maintenant il a le soleil toute la journ‚e, les jours o— il y a du
soleil. Mais quand il sera sorti de terre, quand le soleil sera plus
chaud, je ferai comme vous faisiez ici, cher monsieur Corn‚lius. Je
l'exposerai sur ma fenˆtre au levant de huit heures du matin … onze
heures, et sur ma fenˆtre du couchant depuis trois heures de l'aprŠs-
midi jusqu'… cinq.
--Oh! c'est cela! s'‚cria Corn‚lius, et vous ˆtes un jardinier
parfait, ma belle Rosa. Mais j'y pense, la culture de ma tulipe va
vous prendre tout votre temps.
--Oui, c'est vrai, dit Rosa ; mais qu'importe? votre tulipe, c'est ma
fille. Je lui donne le temps que je donnerais … mon enfant, si
j'‚tais mŠre. Il n'y a qu'en devenant sa mŠre, ajouta Rosa en
souriant, que je puis cesser de devenir sa rivale.
--Bonne et chŠre Rosa! murmura Corn‚lius en jetant sur la jeune fille
un regard o— il y avait plus de l'amant que de l'horticulteur, et qui
consola un peu Rosa. Puis, au bout d'un instant de silence, pendant
le temps que Corn‚lius avait cherch‚ par les ouvertures du grillage
la main fugitive de Rosa :

--Ainsi, reprit Corn‚lius, il y a d‚j… six jours que le ca‹eu est en
terre?
--Six jours, oui, monsieur Corn‚lius, reprit la jeune fille.
--Et il ne paraŒt pas encore?
--Non, mais je crois que demain il paraŒtra.
--Demain, soit! vous me donnerez de ses nouvelles en me donnant des
v“tres, n'est-ce pas, Rosa? Je m'inquiŠte bien de la fille, comme
vous disiez tout … l'heure ; mais je m'int‚resse bien autrement … la
mŠre.
--Demain, dit Rosa en regardant Corn‚lius de c“t‚, demain, je ne sais
si je pourrai.
--Eh! mon Dieu! dit Corn‚lius, pourquoi donc ne pourriez-vous pas
demain?
--Monsieur Corn‚lius, j'ai mille choses … faire.
--Tandis que moi je n'en ai qu'une, murmura Corn‚lius.
--Oui, r‚pondit Rosa, … aimer votre tulipe.
--A vous aimer, Rosa.

Rosa secoua la tˆte. Il se fit un nouveau silence.

--Enfin, continua van Baerle, interrompant ce silence, tout change
dans la nature, aux fleurs du printemps succŠdent d'autres fleurs, et
l'on voit les abeilles qui caressaient tendrement les violettes et
les girofl‚es se poser avec le mˆme amour sur les chŠvrefeuilles, les
roses, les jasmins, les chrysanthŠmes et les g‚raniums.
--Que veut dire cela? demanda Rosa.
--Cela veut dire, mademoiselle, que vous avez d'abord aim‚ … entendre
le r‚cit de mes joies et de mes chagrins; vous avez caress‚ la fleur
de notre mutuelle jeunesse; mais la mienne s'est fƒn‚e … l'ombre. Le
jardin des esp‚rances et des plaisirs d'un prisonnier n'a qu'une
saison. Vous m'avez abandonn‚, mademoiselle Rosa, pour avoir vos
quatre saisons de plaisirs. Vous avez bien fait; je ne me plains
pas; quel droit avais-je d'exiger votre fid‚lit‚?
--Ma fid‚lit‚! s'‚cria Rosa tout en larmes, et sans prendre la peine
de cacher plus longtemps … Corn‚lius cette ros‚e de perles qui
roulait sur ses joues, ma fid‚lit‚! je ne vous ai pas ‚t‚ fidŠle,
moi?
--H‚las! est-ce m'ˆtre fidŠle, s'‚cria Corn‚lius, que de me quitter,
que de me laisser mourir ici?
--Mais, monsieur Corn‚lius, dit Rosa, ne faisais-je pas pour vous
tout ce qui pouvait vous faire plaisir, ne m'occupais-je pas de votre
tulipe?
--De l'amertume, Rosa! vous me reprochez la seule joie sans m‚lange
que j'aie eue en ce monde.
--Je ne vous reproche rien, monsieur Corn‚lius, sinon le seul chagrin
profond que j'aie ressenti depuis le jour o— l'on vint me dire au
Buytenhoff que vous alliez ˆtre mis … mort.
--Cela vous d‚plaŒt, Rosa, ma douce Rosa, cela vous d‚plaŒt que
j'aime les fleurs?
--Cela ne me d‚plaŒt pas que vous les aimiez, monsieur Corn‚lius,
seulement cela m'attriste que vous les aimiez plus que vous ne
m'aimez moi-mˆme.
--Ah! chŠre, chŠre bien-aim‚e, s'‚cria Corn‚lius, regardez mes mains
comme elles tremblent, regardez mon front comme il est pƒle, ‚coutez,
‚coutez mon coeur comme il bat; eh bien! ce n'est point parce que ma
tulipe noire me sourit et m'appelle; non! c'est parce que vous
penchez votre front vers moi. Rosa, mon amour, rompez le ca‹eu de la
tulipe noire, d‚truisez l'espoir de cette fleur, ‚teignez la douce
lumiŠre de ce rˆve chaste et charmant que je m'‚tais habitu‚ … faire
chaque jour, soit! plus de fleurs aux riches habits, aux grƒces
‚l‚gantes, aux caprices divins, “tez-moi tout cela, fleur jalouse des
autres fleurs, “tez-moi tout cela, mais ne m'“tez pas votre voix,
votre geste, le bruit de vos pas dans l'escalier lourd; ne m'“tez pas
le feu de vos yeux dans le corridor sombre, la certitude de votre
amour qui caressait perpetuellement mon coeur; aimez-moi, Rosa, car
je sens bien que je n'aime que vous.
--AprŠs la tulipe noire, soupira la jeune fille, dont les mains
tiŠdes et caressantes consentaient enfin … se livrer … travers le
grillage de fer aux lŠvres de Corn‚lius.
--Avant tout, Rosa...
--Faut-il que je vous croie?
--Comme vous croyez en Dieu.
--Soit! cela ne vous engage pas beaucoup de m'aimer?
--Trop peu, malheureusement, chŠre Rosa, mais cela vous engage,vous.
--Moi, demanda Rosa, et … quoi cela m'engage-t-il?
--A ne pas vous marier d'abord.

Elle sourit.

--Ah! voil… comme vous ˆtes, dit-elle, vous autres tyrans. Vous
adorez une belle: vous ne pensez qu'… elle, vous ne rˆvez que d'elle;
vous ˆtes condamn‚ … mort, et en marchant … l'‚chafaud vous lui
consacrez votre dernier soupir, et vous exigez de moi, pauvre fille,
vous exigez le sacrifice de mes rˆves, de mon ambition.
--Mais de quelle belle me parlez-vous donc, Rosa? dit Corn‚lius
cherchant, mais inutilement, dans ses souvenirs, une femme … laquelle
Rosa p–t faire allusion.
--Mais de la belle noire, monsieur, de la belle noire … la taille
souple, aux pieds fins, … la tˆte pleine de noblesse. Je parle de
votre fleur, enfin.

Corn‚lius sourit.

--Belle imaginaire, ma bonne Rosa, tandis que vous, sans compter
votre amoureux, ou plut“t mon amoureux Jacob, vous ˆtes entour‚e de
galants qui vous font la cour. Vous rappelez-vous, Rosa, ce que vous
m'avez dit des ‚tudiants, des officiers, des commis de la Haye? Eh
bien! … Loewestein, n'y a-t-il point de commis, point d'officiers,
point d'‚tudiants?
--Oh! si fait qu'il y en a, et beaucoup mˆme, dit Rosa.
--Qui ‚crivent?
--Qui ‚crivent.
--Et maintenant que vous savez lire ...

Et Corn‚lius poussa un gros soupir en songeant que c'‚tait … lui,
pauvre prisonnier, que Rosa devait le privilŠge de lire les billets
doux qu'elle recevait.

--Eh bien! mais, dit Rosa, il me semble, Monsieur Corn‚lius, qu'en
lisant les billets qu'on m'‚crit, qu'en examinant les gallants qui se
pr‚sentent, je ne fais que suivre vos instructions.
--Comment, mes instructions?
--Oui, vos instructions ; oubliez-vous, continua Rosa en soupirant …
son tour, oubliez-vous le testament ‚crit par vous, sur la bible de
Monsieur Corneille de Witt? Je ne l'oublie pas, moi! Je le relis tous
les jours, et plut“t deux fois qu'une. Eh bien! dans ce testament,
vous m'ordonnez d'aimer et d'‚pouser un beau jeune homme de vingt-six
… vingt-huit ans. Je le cherche, ce jeune homme, et comme toute ma
journ‚e est consacr‚e … votre tulipe, il faut bien que vous me
laissiez le soir pour le trouver.
--Ah! Rosa, le testament est fait dans la pr‚vision de ma mort, et
grƒce au ciel, je suis vivant.
--Eh bien! donc, je ne chercherai pas ce beau jeune homme de
vingt-six … vingt-huit ans, et je viendrai vous voir.
--Ah! oui, Rosa, venez! venez!
--Mais … une condition.
--Elle est accept‚e d'avance.
--C'est que de trois jours il ne sera pas question de la tulipe
noire.
--Il n'en sera plus jamais question si vous l'exigez, Rosa.
--Oh! dit la jeune fille, il ne faut pas demander l'impossible.

Et, comme par m‚garde, elle approcha sa joue fraŒche, si proche du
grillage que Corn‚lius put la toucher de ses lŠvres. Rosa poussa un
petit cri d'amour et disparut.


XVI

LE SECOND CAIEU

---------------
The health of Corn‚lius improved rapidly, to the great disappointment
of Gryphus, who feared some plot, and had the prisoner and his cell
searched. Nothing of importance was found. Rosa came each evening.
On arriving the third evening she said:
---------------

--Eh bien! elle a lev‚!
--Elle a lev‚! quoi? qui? demanda Corn‚lius n'osant croire que Rosa
abr‚geƒt d'elle-mˆme la dur‚e de son ‚preuve.
--La tulipe, dit Rosa.
--Comment! s'‚cria Corn‚lius, vous permettez donc?
--Eh oui! dit Rosa du ton d'une mŠre tendre qui permet une joie … son
enfant.
--Ah! Rosa! dit Corn‚lius en allongeant ses lŠvres … travers le
grillage, dans l'esp‚rance de toucher une joue, une main, unn front,
quelque chose enfin.
--Lev‚ bien droit? demanda-t-il.
--Droit comme un fuseau de Frise, dit Rosa.
--Et elle est bien haute?
--Haute de deux pouces au moins.
--Oh! Rosa, ayez-en bien soin, et vous verrez comme elle va grandir
vite.
--Puis-je en avoir plus de soin? dit Rosa. Je ne songe qu'… elle.
--Qu'… elle, Rosa? Prenez garde, c'est moi qui vais ˆtre jaloux … mon
tour.
--Et vous savez bien que penser … elle c'est penser … vous. Je ne la
perds pas de vue. De mon lit je la vois ; en m'‚veillaant c'est le
premier objet que je regarde, en m'endormant le dernier objet que je
perds de vue. Le jour je m'assieds et je travaille prŠs d'elle, car
depuis qu'elle est dans ma chambre je ne quitte plus ma chambre.
--Vous avez raison, Rosa, c'est votre dot, vous savez?
--Oui, et grƒce … elle je pourrai ‚pouser un jeune homme de vingt-six
… vingt-huit ans que j'aimerai.
--Taisez-vous, m‚chante.

Et Corn‚lius parvint … saisir les doigts de la jeune fille, ce qui
fit, sinon changer de conversation, du moins succ‚der le silence au
dialogue. Ce soir-l… Corn‚lius fut le plus heureux des hommes. Rosa
lui laissa sa main tant qu'il lui plut de la garder, et il parla
tulipe tout … son aise. A partir de ce moment, chaque jour amena un
progrŠs dans la tulipe et dans l'amour des deux jeunes gens. Une fois
c'‚tait les feuilles qui s'‚taient ouvertes l'autre fois c'‚tait la
fleur elle-mˆme qui s'‚tait nou‚e. A cette nouvelle la joie de
Corn‚lius fut grande, et ses questions se succ‚dŠrent avec une
rapidit‚ qui t‚moignait de leur importance.

--Nou‚e, s'‚cria Corn‚lius, elle est nou‚e.
--Elle est nou‚e, r‚p‚ta Rosa.

Corn‚lius chancela de joie et fut forc‚ de se retenir au guichet.

--Ah! mon Dieu! exclama-t-il. Puis revenant … Rosa:
--L'ovale est-il r‚gulier, le cylindre est-il plein, les pointes
sont-elles bien vertes?
--L'ovale a prŠs d'un pouce et s'effile comme une aiguille, le
cylindre gonfle ses flancs, les pointes sont prˆtes … s'entr'ouvrir.

Cette nuit-l… Corn‚lius dormit peu, c'‚tait un moment suprˆme que
celui o— les pointes s'entr'ouvriraient. Deux jours aprŠs, Rosa
annon‡ait qu'elles ‚taient entr'ouvertes.

--Entr'ouvertes! Rosa, s'‚cria Corn‚lius, l'involucrum est
entr'ouvert! mais alors on voit donc, on peut donc distinguer d‚j…?

Et le prisonnier s'arrˆta haletant.

--Oui, r‚pondit Rosa, oui, l'on peut distinguer un filet de couleur
diff‚rente, mince comme un cheveu.
--Et la couleur? fit Corn‚lius en tremblant.
--Ah! r‚pondit Rosa, c'est bien fonc‚.
--Brun?
--Oh! plus fonc‚.
--Plus fonc‚, bonne Rosa, plus fonc‚! merci. Fonc‚ comme l'‚bŠne,
fonc‚ comme...
--Fonc‚ comme l'encre avec laquelle je vous ai ‚crit.

Corn‚lius poussa un cri de joie folle. Puis s'arrˆtant tout … coup:

--Oh! dit-il en joignant les mains, oh! il n'y a pas d'ange qui
puisse vous ˆtre compar‚, Rosa.
--Vraiment! dit Rosa, souriant … cette exaltation.
--Rosa, vous avez tant travaill‚, Rosa, vous avez tant fait pour moi
; Rosa, ma tulipe va fleurir, et ma tulipe fleurira noire ; Rosa,
Rosa, vous ˆtes ce que Dieu a cr‚‚ de plus parfait sur la terre!
--AprŠs la tulipe, cependant?
--Ah! taisez-vous, mauvaise. Taisez-vous, par piti‚, ne me gƒtez pas
ma joie. Mais, dites-moi, Rosa, si la tulipe en est … ce point, dans
deux ou trois jours au plus tard elle va fleurir.
--Demain ou aprŠs-demain, oui.
--Oh! je ne la verrai pas, s'‚cria Corn‚lius, et je ne la baiserai
pas comme une merveille de Dieu qu'on doit adorer.
--Dame! je la cueillerai si vous voulez, dit Rosa.
--Ah! non! non! Sit“t qu'elle sera ouverte, mettez-la bien … l'ombre,
Rosa, et … l'instant mˆme, … l'instant, envoyez … Harlem pr‚venir le
pr‚sident de la soci‚t‚ d'horticulture que la grande tulipe noire est
fleurie. C'est loin, je le sais bien, Harlem, mais avec de l'argent
vous trouverez un messager. Avez-vous de l'argent, Rosa? Rosa
sourit.
--Oh! oui, dit-elle.
--Assez? demanda Corn‚lius.
--J'ai trois cents florins.
--Oh! si vous avez trois cents florins, ce n'est point un messager
qu'il vous faut envoyer, c'est vous-mˆme, vous-mˆme, Rosa, qui devez
aller … Harlem.
--Mais pendant ce temps, la fleur ...
--Oh! la fleur, vous l'emporterez, vous comprenez bien qu'il ne faut
pas vous s‚parer d'elle un instant.
--Mais en ne me s‚parant point d'elle, je me s‚pare de vous, monsieur
Corn‚lius, dit Rosa attrist‚e.
--Ah! c'est vrai, ma douce, ma chŠre Rosa. Mon Dieu! que les hommes
sont m‚chants, que leur ai-je donc fait et pourquoi m'ontt-ils priv‚
de la libert‚! vous avez raison, Rosa, je ne pourrais vivre sans
vous. Eh bien! vous enverrez quelqu'un … Harlem, voil…; ma foi! le
miracle est assez grand pour que le pr‚sident se d‚range; il viendra
lui-mˆme … Loewestein chercher la tulipe.

Puis, s'arrˆtant tout … coup et d'une voix tremblante:

--Rosa, murmura Corn‚lius, Rosa! si elle allait ne pas ˆtre noire?
--Dame! vous le saurez demain ou aprŠs-demain soir.
--Attendre jusqu'au soir, pour savoir cela, Rosa! je mourrai
d'impatience. Ne pourrions-nous convenir d'un signal?
--Je ferai mieux.
--Que ferez-vous?
--Si c'est la nuit qu'elle s'entr'ouvre, je viendrai, je viendrai
vous le dire moi-mˆme. Si c'est le jour, je passerai devant la porte
et vous glisserai un billet, soit dessous la porte, soit par le
guichet, entre la premiŠre et la deuxiŠme inspection de mon pŠre.
--Oh! Rosa, c'est cela! un mot de vous m'annon‡ant cette nouvelle,
c'est-…-dire un double bonheur.
--Voil… dix heures, dit Rosa, il faut que je vous quitte.
--Oui! oui! dit Corn‚lius, oui! allez, Rosa, allez!

Rosa se retira presque triste. Corn‚lius l'avait presque renvoy‚e.
Il est vrai que c'‚tait pour veiller sur la tulipe noire.


XVII

EPANOUISSEMENT

La nuit s'‚coula bien douce, mais en mˆme temps bien agit‚e pour
Corn‚lius. A chaque instant il lui semblait que la douce voix de
Rosa l'appelait; il s'‚veillait en sursaut, il allait … la porte, il
approchait son visage du guichet; le guichet ‚tait solitaire, le
corridor ‚tait vide.

Sans doute Rosa veillait de son c“t‚; mais, plus heureuse que lui,
elle veillait sur la tulipe. Le jour vint sans nouvelles. La tulipe
n'‚tait pas fleurie encore. La journ‚e passa comme la nuit. La nuit
vint et avec la nuit Rosa joyeuse, Rosa l‚gŠre, comme un oiseau.

--Eh bien? demanda Corn‚lius.
--Eh bien! tout va … merveille. Cette nuit sans faute notre tulipe
fleurira.
--Et fleurira noire?
--Noire comme du jais.
--Sans une seule tache d'une autre couleur?
--Sans une seule tache.
--Bont‚ du ciel! Rosa, j'ai pass‚ la nuit … rˆver, … vous d'abord...
Rosa fit un petit signe d'incr‚dulit‚.
--Puis … ce que nous devons faire.
--Eh bien?
--Eh bien! voil… ce que j'ai d‚cid‚. La tulipe fleurie, quand il sera
bien constat‚ qu'elle est noire et parfaitement noire, il nous faut
trouver un messager.
--Si ce n'est que cela, j'ai un messager tout trouv‚.
--Un messager s–r?
--Un messager dont je r‚ponds, un de mes amoureux.
--Ce n'est pas Jacob, j'espŠre?
--Non, soyez tranquille. C'est le batelier de Loewestein, un gar‡on
alerte, de vingt-cinq … vingt-six ans.
--Diable!
--Soyez tranquille, dit Rosa en riant, il n'a pas encore l'ƒge,
puisque vous-mˆme avez fix‚ l'ƒge de vingt-six … vingt- huit ans.
--Enfin, vous croyez pouvoir compter sur ce jeune homme?
--Comme sur moi.
--Eh bien! Rosa, en dix heures, ce gar‡on peut ˆtre … Harlem; vous me
donnerez un crayon et du papier, mieux encore serait une plume et de
l'encre, et j'‚crirai, ou plut“t vous ‚crirez, vous; moi, pauvre
prisonnier, peut-ˆtre verrait-on, comme voit votre pŠre, un
conspiration l…-dessous. Vous ‚crirez au pr‚sident de la soci‚t‚
d'horticulture, et j'en suis certain, le pr‚sident viendra.
--Mais s'il tarde?
--Supposez qu'il tarde un jour, deux jours mˆme; mais c'est
impossible, un amateur de tulipes comme lui ne tardera pas une heure,
pas une minute, pas une seconde … se mettre en route pour voir la
huitiŠme merveille du monde. Mais, comme je disais, tardƒt-il un
jour, tardƒt-il deux, la tulipe serait encore dans toute sa
splendeur. La tulipe vue par le pr‚sident, le procŠs-verbal dress‚
par lui, tout est dit, vous gardez un double du procŠs-verbal, Rosa,
et vous lui confiez la tulipe. Ah! si nous avions pu la porter
nous-mˆmes, Rosa, elle n'e–t quitt‚ mes bras que pour passer dans les
v“tres! mais c'est un rˆve auquel il ne faut pas songer, continua
Corn‚lius en soupirant; d'autres yeux la verront d‚fleurir. Oh!
surtout, Rosa, avant que le pr‚sident ne la voie, ne la laissez voir
… personne. La tulipe noire, si quelqu'un voyait la tulipe noire, on
la volerait!...
--Oh!
--Ne m'avez-vous pas dit vous-mˆme ce que vous craigniez … l'endroit
de votre amoureux Jacob; on vole bien un florin, pourquoi n'en
volerait- on pas cent mille?
--Je veillerai, allez; soyez tranquille.
--Si pendant que vous ˆtes ici elle allait s'ouvrir?
--La capricieuse en est bien capable, dit Rosa.
--Si vous la trouviez ouverte en rentrant?
--Eh bien?
--Ah! Rosa, du moment o— elle sera ouverte, rappelez-vous qu'il n'y
aura pas un moment … perdre pour pr‚venir le pr‚sident.
--Et vous pr‚venir, vous. Oui, je comprends.

Rosa soupira, mais sans amertume et en femme qui commence …
comprendre une faiblesse, sinon … s'y habituer.

--Je retourne auprŠs de la tulipe, monsieur van Baerle, et aussit“t
ouverte, vous ˆtes pr‚venu; aussit“t vous pr‚venu, le messager part.
--Rosa, Rosa, je ne sais plus … quelle merveille du ciel ou de la
terre vous comparer.
--Comparez-moi … la tulipe noire, monsieur Corn‚lius, et je serai
bien flatt‚e, je vous jure; disons-nous donc au revoir, monnsieur
Corn‚lius.
--Oh! dites: au revoir, mon ami.
--Au revoir, mon ami, dit Rosa un peu consol‚e.
--Dites, mon ami bien-aim‚.
--Oh! mon ami ...
--Bien-aim‚, Rosa, je vous en supplie, bien-aim‚, bien-aim‚, n'est-ce
pas?
--Bien-aim‚, oui, bien-aim‚, fit Rosa palpitante, enivr‚e, folle de
joie.
--Alors, Rosa, puisque vous avez dit bien-aim‚, dites aussi
bien-heureux, dites heureux comme jamais homme n'a ‚t‚ heureux et
b‚ni sous le ciel. Il ne me manque qu'une chose, Rosa.
--Laquelle?
--Votre joue, votre joue fraŒche, votre joue rose, votre doux visage.
Oh! Rosa, de votre volont‚, non plus par surprise, nonn plus par
accident, Rosa. Ah! ...

Rosa s'enfuit.
Corn‚lius resta le visage coll‚ au guichet.
Corn‚lius ‚touffait de joie et de bonheur. Il ouvrit sa fenˆtre et
contempla longtemps, avec un coeur gonfl‚ de joie, l'azur sans nuages
du ciel. Il se remplit les poumons de l'air g‚n‚reux et pur, l'esprit
de douces id‚es, l'ƒme de reconnaissance et d'admiration religieuse.

Pendant une partie de la nuit Corn‚lius demeura suspendu aux barreaux
de sa fenˆtre; il regardait le ciel, il ‚coutait la terre. Une
‚toile s'enflamma au midi, traversa tout l'espace qui s‚parait
l'horizon de la forteresse et vint s'abattre sur Loewestein.
Corn‚lius tressaillit.

--Ah! dit-il, voil… Dieu qui envoie une ƒme … ma fleur.

Et comme s'il e–t devin‚ juste, presque au mˆme moment, le prisonnier
entendit dans le corridor des pas l‚gers, comme ceux d'une sylphide,
le froissement d'une robe qui semblait un battement d'ailes et une
voix bien connue qui disait:

--Corn‚lius, mon ami, mon ami bien-aim‚ et bien-heureux, venez, venez
vite.

Corn‚lius ne fit qu'un bond de la crois‚e au guichet; cette fois
encore ses yeux rencontrŠrent Rosa, qui lui dit:

--Elle est ouverte, elle est noire, la voil….
--Comment, la voil…! s'‚cria Corn‚lius.
--Oui, oui, il faut bien risquer un petit danger pour donner une
grande joie, la voil…, tenez. Et, d'une main, elle leva … la hauteur
du guichet, une petite lanterne sourde, qu'elle venait de faire
lumineuse, tandis qu'… la mˆme hauteur, elle levait de l'autre la
miraculeuse tulipe. Corn‚lius jeta un cri et pensa s'‚vanouir.
--Oh! murmura-t-il, mon Dieu! mon Dieu! vous me r‚compensez de mon
innocence et de ma captivit‚, puisque vous avez fait poussser cette
fleur au guichet de ma prison.
--Embrassez-la, dit Rosa, comme je l'ai embrass‚e tout … l'heure.

Corn‚lius, retenant son haleine toucha du bout des lŠvres la pointe
de la fleur, et jamais baiser ne lui entra si profond‚ment dans le
coeur. La tulipe ‚tait belle, splendide, magnifique, sa tige avait
plus de dix-huit pouces de hauteur, elle s'‚lan‡ait du sein de quatre
feuilles vertes, lisses, droites comme des fers de lance, sa fleur
tout entiŠre ‚tait noire et brillante comme du jais.

--Rosa, dit Corn‚lius tout haletant, Rosa, plus un instant … perdre,
il faut ‚crire la lettre.
--Elle est ‚crite, mon bien-aim‚ Corn‚lius, dit Rosa.
--En v‚rit‚!
--Pendant que la tulipe s'ouvrait, j'‚crivais, moi, car je ne voulais
pas qu'un seul instant f–t perdu. Voyez la lettre, et dites-moi si
vous la trouvez bien.

Corn‚lius prit la lettre et lut sur une ‚criture qui avait encore
fait de grands progrŠs depuis le petit mot qu'il avait re‡u de Rosa:

®Monsieur le pr‚sident,
La tulipe noire va s'ouvrir dans dix minutes peut-ˆtre. Aussit“t
ouverte, je vous enverrai un messager pour vous prier de venir vous-
mˆme en personne la chercher dans la forteresse de Loewestein. Je
suis la fille du ge“lier Gryphus, presque aussi prisonniŠre que les
prisonniers de mon pŠre. Je ne pourrais donc vous porter cette
merveille. C'est pourquoi j'ose vous supplier de la venir prendre
vous-mˆme.
Mon d‚sir est qu'elle s'appelle Rosa Barl‘nsis.
Elle vient de s'ouvrir; elle est parfaitement noire...Venez, monsieur
le pr‚sident, venez.
J'ai l'honneur d'ˆtre votre humble servante,
ROSA GRYPHUS.¯

--C'est cela, c'est cela, chŠre Rosa. Cette lettre est … merveille.
Je ne l'eusse point ‚crite avec cette simplicit‚. Au congrŠs vous
donnerez tous les renseignements qui vous seront demand‚s. On saura
comment la tulipe a ‚t‚ cr‚‚e, … combien de soins, de veilles, de
craintes, elle a donn‚ lieu; mais, pour le moment, Rosa, pas un
instant … perdre ... Le messager! Le messager!
--Comment s'appelle le pr‚sident?
--Donnez que je mette l'adresse. Oh! il est bien connu. C'est mynheer
van Systens, le bourgmestre de Harlem ... Donnez, Rosaa, donnez!

Et d'une main tremblante, Corn‚lius ‚crivit sur la lettre:

®A mynheer Peters van Systens, bourgmestre et pr‚sident de la Soci‚t‚
horticole de Harlem.¯

--Et maintenant, allez, Rosa, allez, dit Corn‚lius; et mettons- nous
sous la garde de Dieu, qui jusqu'ici nous a si bien gard‚s.


XVIII

OU LA TULIPE NOIRE CHANGE DE MAITRE

Corn‚lius ‚tait rest‚ … l'endroit o— l'avait laiss‚ Rosa, cherchant
presque inutilement en lui la force de porter le double fardeau de
son bonheur. Une demi-heure s'‚coula. D‚j… les premiers rayons du
jour entraient, bleuƒtres et frais, … travers les barreaux de la
fenˆtre dans la prison de Corn‚lius, lorsqu'il tressaillit tout …
coup … des pas qui montaient l'escalier et … des cris qui se
rapprochaient de lui. Presque au mˆme moment, son visage se trouva
en face du visage pƒle et d‚compos‚ de Rosa. Il recula pƒlissant
lui-mˆme d'effroi.

--Corn‚lius! Corn‚lius! s'‚cria celle-ci haletante.
--Quoi donc? mon Dieu! demanda le prisonnier.
--Corn‚lius! la tulipe ...
--Eh bien?
--Comment vous dire cela?
--Dites, dites, Rosa.
--On nous l'a prise, on nous l'a vol‚e.
--On nous l'a prise, on nous l'a vol‚e! s'‚cria Corn‚lius.
--Oui, dit Rosa, en s'appuyant contre la porte pour ne pas tomber.
Oui, prise, vol‚e.

Et, malgr‚ elle, les jambes lui manquant, elle glissa et tomba sur
ses genoux.

--Mais comment cela? demanda Corn‚lius. Dites-moi, expliquez-moi...
--Oh! il n'y a pas de ma faute, mon ami.

Pauvre Rosa! elle n'osait plus dire: mon bien-aim‚.

--Vous l'avez laiss‚e seule! dit Corn‚lius avec un accent lamentable.
--Un seul instant, pour aller pr‚venir notre messager qui demeure …
cinquante pas … peine, sur le bord du Wahal.
--Et pendant ce temps, malgr‚ mes recommandations, vous avez laiss‚
la clef … la porte, malheureuse enfant!
--Non, non, non, et voil… ce qui me passe, la clef ne m'a point
quitt‚e, je l'ai constamment tenue dans ma main.
--Mais alors, comment cela se fait-il?
--Le sais-je, moi-mˆme? j'avais donn‚ la lettre … mon messager; mon
messager ‚tait parti devant moi; je rentre, la porte ‚tait ferm‚e,
chaque chose ‚tait … sa place dans ma chambre, except‚ la tulipe qui
avait disparu. Il faut que quelqu'un se soit procur‚ une clef de ma
chambre, ou en ait fait faire une fausse.

Elle suffoqua, les larmes lui coupaient la parole. Corn‚lius,
immobile, les traits alt‚r‚s, ‚coutait presque sans comprendre,
murmurant seulement:

--Vol‚e, vol‚e, vol‚e! je suis perdu.
--Oh! monsieur Corn‚lius, grƒce! grƒce! criait Rosa, j'en mourrai.

A cette menace de Rosa, Corn‚lius saisit les grilles du guichet, et
les ‚treignant avec fureur:

--Rosa, s'‚cria-t-il, on nous a vol‚s, c'est vrai, mais faut-il nous
laisser abattre pour cela? Non, le malheur est grand, mmais r‚parable
peut-ˆtre, Rosa; nous connaissons le voleur.
--H‚las! comment voulez-vous que je vous dise positivement?
--Oh! je vous le dis, moi, c'est cet infƒme Jacob. Le laisserons-
nous porter … Harlem le fruit de nos travaux, le fruit de nos
veilles, l'enfant de notre amour? Rosa, il faut le poursuivre, il
faut le rejoindre.
--Mais comment faire tout cela, mon ami, sans d‚couvrir … mon pŠre
que nous ‚tions d'intelligence? Comment moi, une femme sii peu libre,
si peu habile, comment parviendrai-je … ce but, que vous-mˆme
n'atteindriez peut-ˆtre pas?
--Rosa, Rosa, ouvrez-moi cette porte, et vous verrez si je ne
l'atteins pas. Vous verrez si je ne d‚couvre pas le voleur, vous
verrez si je ne lui fais pas avouer son crime. Vous verrez si je ne
lui fais pas crier grƒce!
--H‚las! dit Rosa ‚clatant en sanglots, puis-je vous ouvrir? Ai-je
les clefs sur moi? Si je les avais, ne seriez-vous pas libre depuis
longtemps?
--Votre pŠre les a, votre infƒme pŠre, le bourreau qui m'a d‚j…
‚cras‚ le premier ca‹eu de ma tulipe. Oh! le mis‚rable! le mis‚rable!
il est complice de Jacob.
--Plus bas, plus bas, au nom du ciel!
--Oh! si vous ne m'ouvrez pas, Rosa, s'‚cria Corn‚lius au paroxysme
de la rage, j'enfonce ce grillage et je massacre tout ce que je
trouve dans la prison.
--Mon ami, par piti‚!
--Je vous dis, Rosa, que je vais d‚molir le cachot pierre … pierre.

Et l'infortun‚, de ses deux mains, dont la colŠre d‚culpait les
forces, ‚branlait la porte … grand bruit, peu soucieux des ‚clats de
sa voix qui s'en allait tonner au fond de la spirale sonore de
l'escalier. Rosa, ‚pouvant‚e, essayait bien inutilement de calmer
cette furieuse tempˆte.

--Je vous dis que je tuerai l'infƒme Gryphus, hurlait van Baerle; je
vous dis que je verserai son sang, comme il a vers‚ celuui de ma
tulipe noire.

Le malheureux commen‡ait … devenir fou.

--Eh bien! oui, disait Rosa palpitante, oui, oui, mais calmez-vous,
oui, je lui prendrai ses clefs, oui je vous ouvrirai, maiis
calmez-vous, mon Corn‚lius.

Elle n'acheva point, un hurlement pouss‚ devant elle interrompit sa
phrase.

--Mon pŠre! s'‚cria Rosa.
--Gryphus! rugit van Baerle, ah! sc‚l‚rat!

Le vieux Gryphus, au milieu de tout ce bruit, ‚tait mont‚ sans que
l'on p–t l'entendre. Il saisit rudement sa fille par le poignet.

--Ah! vous me prendrez les clefs, dit-il d'une voix ‚touff‚e pa la
colŠre. Ah! cet infƒme! ce monstre! ce conspirateur … pendre est
votre Corn‚lius. Ah! l'on a des connivences avec les prisonniers
d'Etat. C'est bon.

Rosa frappa dans ses deux mains avec d‚sespoir.

--Oh! continua Gryphus passant de l'accent fi‚vreux de la colŠre … la
froide ironie du vainqueur, ah! monsieur l'innocent tulipier, ah!
monsieur le doux savant, ah! vous me massacrerez, ah! vous boirez mon
sang! TrŠs bien! rien que cela! Et de complicit‚ avec ma fille! Mais
je suis donc dans un antre de brigands, je suis donc dans une caverne
de voleurs! Ah! monsieur le gouverneur saura tout ce matin, et S.A.
le stathouder saura tout demain. Nous connaissons la loi: Quiconque
se rebellera dans la prison ... article 6. Nous allons vous donner
une seconde ‚dition du Buytenhoff, monsieur le savant, et la bonne
‚dition celle-l…. Oui, oui, rongez vos poings comme un ours en cage,
et vous la belle, mangez des yeux votre Corn‚lius. Je vous avertis,
mes agneaux, que vous n'aurez plus cette f‚licit‚ de conspirer
ensemble. €…, qu'on descende, fille d‚natur‚e. Et vous, monsieur le
savant, au revoir, soyez tranquille, au revoir!

Rosa, folle de terreur et de d‚sespoir, envoya un baiser … son ami;
puis, sans doute illumin‚e d'une pens‚e soudaine, elle se lan‡a dans
l'escalier en disant:

--Tout n'est pas perdu encore, compte sur moi, mon Corn‚lius.

Son pŠre la suivit en hurlant. Quant au pauvre tulipier, il lƒcha
peu … peu les grilles que retenaient ses doigts convulsifs; sa tˆte
s'alourdit, ses yeux oscillŠrent dans leurs orbites, et il tomba
lourdement sur le carreau de sa chambre en murmurant:

--Vol‚e! on me l'a vol‚e!

Pendant ce temps, Boxtel, sorti du chƒteau par la porte qu'avait
ouverte Rosa elle-mˆme, Boxtel, la tulipe noire envelopp‚e dans un
large manteau, Boxtel s'‚tait jet‚ dans une carriole qui l'attendait
… Gorcum et disparaissait, sans avoir, on le pense bien, averti l'ami
Gryphus de son d‚part pr‚cipit‚.

----------------------
Disguised as Jacob, Boxtel had followed Cornelius to Loewestein. He
had overheard the conversations between the lovers in regard to the
tulip. He had made a pass-key that unlocked the door of Rosa's room,
and after making all preparations for his journey had waited for the
flower to bloom. While Rosa was carrying the letter to the boatman,
he had entered her room and stolen the flower.
----------------------

Il arriva le lendemain matin … Harlem, harass‚ mais triomphant,
changea sa tulipe de pot, afin de faire disparaŒtre toute trace de
vol, brisa le pot de fa‹ence dont il jeta les tessons dans un canal,
‚crivit au pr‚sident de la Soci‚t‚ horticole une lettre dans laquelle
il lui annon‡ait qu'il venait d'arriver … Harlem avec une tulipe
parfaitement noire, s'installa dans une bonne h“tellerie avec sa
fleur intacte. Et l… il attendit.


XIX

LE PRESIDENT VAN SYSTENS

Rosa, en quittant Corn‚lius, avait pris son parti. C'‚tait de lui
rendre la tulipe que venait de lui voler Jacob, ou de ne jamais le
revoir. Elle avait vu le d‚sespoir du pauvre prisonnier, double et
incurable d‚sespoir. En effet, d'un c“t‚, c'‚tait une s‚paration
in‚vitable, Gryphus ayant … la fois surpris le secret de leur amour
et de leurs rendez-vous. De l'autre c'‚tait le renversement de
toutes les esp‚rances d'ambition de Corn‚lius van Baerle, et ces
esp‚rances, il les nourrissait depuis sept ans. Rosa ‚tait une de
ces femmes qui s'abattent d'un rien, mais qui, pleines de forces
contre un malheur suprˆme, trouvent dans le malheur mˆme l'‚nergie
qui peut le combattre, ou la ressource qui peut le r‚parer.

La jeune fille rentra chez elle, jeta un dernier regard dans sa
chambre, pour voir si elle ne s'‚tait pas tromp‚e, et si la tulipe
n'‚tait point dans quelque coin o— elle e–t ‚chapp‚ … ses regards.
Mais Rosa chercha vainement, la tulipe ‚tait toujours absente, la
tulipe ‚tait toujours vol‚e. Rosa fit un petit paquet des hardes qui
lui ‚taient n‚cessaires, elle prit ses trois cents florins d'‚pargne,
c'est-…-dire toute sa fortune, fouilla sous ses dentelles o— ‚tait
enfoui le troisiŠme ca‹eu, la cacha pr‚cieusement dans son corsage,
ferma la porte … clef, descendit l'escalier, sortit de la prison par
la porte qui une heure auparavant avait donn‚ passage … Boxtel, se
rendit chez un loueur de chevaux et demanda … louer une carriole.

Le loueur de chevaux n'avait qu'une carriole, c'‚tait justement celle
que Boxtel lui avait lou‚e. Force fut donc … Rosa de prendre un
cheval, qui lui fut confi‚ facilement; le loueur de chevaux
connaissant Rosa pour la fille du concierge de la forteresse. Rosa
avait un espoir, c'‚tait de rejoindre son messager, bon et brave
gar‡on qu'elle emmenerait avec elle et qui lui servirait … la fois de
guide et de soutien. En effet, elle n'avait point fait une lieue
qu'elle l'aper‡ut.

Elle mit son cheval au trot et le rejoignit. Le brave gar‡on
ignorait l'importance de son message, et cependant allait aussi bon
train que s'il l'e–t connue. En moins d'une heure il avait d‚j… fait
une lieue et demie. Rosa lui reprit le billet devenu inutile et lui
exposa le besoin qu'elle avait de lui. Le batelier se mit … sa
disposition, promettant d'aller aussi vite que le cheval, pourvu que
Rosa lui permŒt d'appuyer la main soit sur sa croupe, soit sur son
garrot.

--------------------
Gryphus did not discover Rosa's flight until five hours after her
departure. He sought his friend Jacob; he too was gone. The jailer
suspected him of having run away with his daughter. Rosa arrived
safely at Harlem, but Mynheer van Systens declined to receive her.
Thereupon she sent word that she came to speak of the black tulip.
Instantly all doors opened before her.
--------------------

Elle p‚n‚tra jusque dans le bureau du pr‚sident van Systens, qu'elle
trouva galamment en chemin pour venir … sa rencontre.

--Mademoiselle, s'‚cria-t-il, vous venez, dites-vous, de la part de
la tulipe noire?

Pour M. le pr‚sident de la Soci‚t‚ horticole, la Tulipa nigra ‚tait
une puissance de premier ordre, qui pouvait bien, en sa qualit‚ de
reine des tulipes, envoyer des ambassadeurs.

--Oui, monsieur, r‚pondit Rosa, je viens du moins pour vous parler
d'elle.
--Elle se porte bien? fit van Systens avec un sourire de tendre
v‚n‚ration.
--H‚las! monsieur, je ne sais, dit Rosa.
--Comment! lui serait-il donc arriv‚ quelque malheur?
--Un bien grand, oui, monsieur, non pas … elle, mais … moi.
--Lequel?
--On me l'a vol‚e!
--On vous a vol‚ la tulipe noire?
--Oui, monsieur.
--Savez-vous qui?
--Oh! je m'en doute, mais je n'ose encore accuser.
--Mais la chose sera facile … v‚rifier.
--Comment cela?
--Depuis qu'on vous l'a vol‚e, le voleur ne saurait ˆtre loin.
--Pourquoi ne peut-il ˆtre loin?
--Mais parce que je l'ai vue il n'y a pas deux heures.
--Vous avez vu la tulipe noire? s'‚cria Rosa en se pr‚cipitant vers
M. van Systens.
--Comme je vous vois, mademoiselle.
--Mais o— cela?
--Chez votre maŒtre apparemment.
--Chez mon maŒtre?
--Oui. N'ˆtes-vous pas au service de M. Isaac Boxtel?
--Moi?
--Sans doute, vous.
--Mais, pour qui donc me prenez-vous, monsieur?
--Mais, pour qui me prenez-vous, vous-mˆme?
--Monsieur, je vous prends, je l'espŠre, pour ce que vous ˆtes,
c'est-…-dire pour l'honorable M. van Systens bourgmestre de Harlem et
pr‚sident de la Soci‚t‚ horticole.
--Et vous venez me dire?
--Je viens vous dire, monsieur, que l'on m'a vol‚ ma tulipe.
--Votre tulipe alors est celle de M. Boxtel. Alors, vous vous
expliquez mal, mon enfant: ce n'est pas … vous, mais … M. Boxtel
qu'on a vol‚ la tulipe.
--Je vous r‚pŠte, monsieur, que je ne sais pas ce que c'est que M.
Boxtel et que voil… la premiŠre fois que j'entends prononcer ce nom.
--Vous ne savez pas ce que c'est que M. Boxtel, et vous aviez aussi
une tulipe noire.
--Mais il y en a donc une autre? demanda Rosa, toute frissonnante.
--Il y a celle de M. Boxtel, oui.
--Comment est-elle?
--Noire, parbleu.
--Sans tache?
--Sans une seule tache, sans le moindre point.
--Et vous avez cette tulipe, elle est d‚pos‚e ici?
--Non, mais elle y sera d‚pos‚e, car je dois en faire l'exhibition au
comit‚ avant que le prix ne soit d‚cern‚.
--Monsieur, s'‚cria Rosa, ce Boxtel, cet Isaac Boxtel, qui se dit
propri‚taire de la tulipe noire ...
--Et qui l'est en effet.
--Monsieur, n'est-ce point un homme maigre?
--Oui.
--Chauve?
--Oui.
--Ayant l'oeil hagard?
--Je crois que oui.
--Inquiet, vo–t‚, jambes torses?
--En v‚rit‚, vous faites le portrait, trait pour trait, de M. Boxtel.
--Monsieur, la tulipe est-elle dans un pot de fa‹ence bleue et
blanche … fleurs jaunƒtres qui repr‚sentent une corbeille sur trois
faces du pot?
--Ah! quant … cela, j'en suis moins s–r, j'ai plus regard‚ l'homme
que le pot.
--Monsieur, c'est ma tulipe, c'est celle qui m'a ‚t‚ vol‚e; monsieur,
c'est mon bien; monsieur, je viens le r‚clamer ici devaant vous, …
vous.
--Oh! oh! fit M. van Systens en regardant Rosa. Quoi! vous venez
r‚clamer ici la tulipe de M. Boxtel? Parbleu! vous ˆtes une hardie
commŠre.
--Monsieur, dit Rosa un peu troubl‚e de cette apostrophe, je ne dis
pas que je vienne r‚clamer la tulipe de M. Boxtel, je dis que je
viens r‚clamer la mienne.
--La v“tre?
--Oui; celle que j'ai plant‚e, ‚lev‚e moi-mˆme.
--Eh bien! allez trouver M. Boxtel … l'h“tellerie du Cygne-Blanc,
vous vous arrangerez avec lui; quant … moi, je me contenterai de
faire mon rapport, de constater l'existence de la tulipe noire et
d'ordonnancer les cent mille florins … son inventeur. Adieu, mon
enfant.
--Oh! monsieur! monsieur! insista Rosa.
--Seulement, mon enfant, continua van Systens, comme vous ˆtes jolie,
comme vous ˆtes jeune, comme vous n'ˆtes pas encore tout … fait
pervertie, recevez mon conseil: Soyez prudente en cette affaire, car
nous avons un tribunal et une prison … Harlem; de plus, nous sommes
extrˆmement chatouilleux sur l'honneur des tulipes. Allez, mon
enfant, allez, M. Isaac Boxtel, h“tel du Cygne-Blanc.

Et M. van Systens, reprenant sa belle plume, continua son rapport
interrompu.


XX

MEMBRE DE LA SOCIETE HORTICOLE

Rosa ‚perdue, presque folle de joie et de crainte, … l'id‚e que la
tulipe noire ‚tait retrouv‚e, prit le chemin de l'h“tellerie du
Cygne-Blanc, suivie toujours de son batelier, robuste enfant de la
Frise, capable de d‚vorer … lui seul dix Boxtel. Pendant la route,
le batelier avait ‚t‚ mis au courant, il ne reculait pas devant la
lutte, au cas o— une lutte s'engagerait; seulement, ce cas ‚ch‚ant,
il avait ordre de m‚nager la tulipe. Mais arriv‚e dans le
Grote-Markt, Rosa s'arrˆta tout … coup, une pens‚e subite venait de
la saisir.

--Mon Dieu! murmura-t-elle, j'ai fait une faute ‚norme, j'ai perdu
peut-ˆtre et Corn‚lius, et la tulipe et moi! J'ai donn‚ l'‚veil,
j'ai donn‚ des soup‡ons. Je ne suis qu'une femme, ces hommes peuvent
se liguer contre moi, et alors je suis perdue. Oh! moi perdue, ce ne
serait rien, mais Corn‚lius, mais la tulipe!

Elle se recueillit un moment.

--Si je vais chez ce Boxtel et que je ne le connaisse pas, si ce
Boxtel n'est pas mon Jacob, si c'est un autre amateur qui, lui aussi,
a d‚couvert la tulipe noire, ou bien si ma tulipe a ‚t‚ vol‚e par un
autre que celui que je soup‡onne, ou a d‚j… pass‚ dans d'autres
mains, si je ne reconnais pas l'homme, mais seulement ma tulipe,
comment prouver que la tulipe est … moi? D'un autre c“t‚, si je
reconnais ce Boxtel pour le faux Jacob, qui sait ce qu'il adviendra?
Tandis que nous contesterons ensemble, la tulipe mourra! Oh!
inspirez-moi, sainte Vierge! il s'agit du sort de ma vie, il s'agit
du pauvre prisonnier qui expire peut-ˆtre en ce moment.

Cette priŠre faite, Rosa attendit pieusement l'inspiration qu'elle
demandait au ciel. Cependant un grand bruit bourdonnait …
l'extr‚mit‚ du Grote-Markt. Les gens couraient, les portes
s'ouvraient; Rosa, seule, ‚tait insensible … tout ce mouvement de la
population.

--Il faut, murmura-t-elle, retourner chez le pr‚sident.
--Retournons, dit le batelier.

Partout, sur son passage, Rosa n'entendait parler que de la tulipe
noire et du prix de cent mille florins; la nouvelle courait d‚j… la
ville. Rosa n'e–t pas de peine … p‚n‚trer de nouveau chez M. van
Systens. Mais quand il reconnut Rosa, la colŠre le prit et il voulut
la renvoyer. Mais Rosa joignit les mains, et avec un accent
d'honnˆte v‚rit‚ qui p‚nŠtre les coeurs:

--Monsieur, dit-elle, au nom du ciel! ne me repoussez pas; ‚coutez,
au contraire, ce que je vais vous dire, et si vous ne pouuvez me
faire rendre justice, du moins vous n'aurez pas … vous reprocher un
jour, en face de Dieu, d'avoir ‚t‚ complice d'une mauvaise action.

Van Systens tr‚pignait d'impatience; c'‚tait la seconde fois que Rosa
le d‚rangeait au milieu d'une r‚daction … laquelle il mettait son
double amour-propre de bourgmestre et de pr‚sident de la Soci‚te
horticole.

--Mais mon rapport! s'‚cria-t-il, mon rapport sur la tulipe noire!
--Monsieur, continua Rosa avec la fermet‚ de l'innocence et de la
v‚rit‚, monsieur, votre rapport sur la tulipe noire reposerra, si
vous ne m'‚coutez pas, sur des faits criminels ou sur des faits faux.
Je vous en supplie, monsieur, faites venir ici, devant vous et devant
moi, ce monsieur Boxtel, que je soutiens, moi, ˆtre M. Jacob, et je
jure Dieu de lui laisser la propri‚t‚ de sa tulipe si je ne reconnais
pas et la tulipe et son propri‚taire.
--Parbleu! la belle avance, dit van Systens.
--Que voulez-vous dire?
--Je vous demande ce que cela prouvera quand vous les aurez reconnus?
--Mais enfin, dit Rosa d‚sesp‚r‚e, vous ˆtes honnˆte homme, monsieur.
Eh bien! si non seulement vous alliez donner le prix … un homme pour
une oeuvre qu'il n'a pas faite, mais encore pour une oeuvre vol‚e!

Peut-ˆtre l'accent de Rosa avait-il amen‚ une certaine conviction
dans le coeur de van Systens et allait-il r‚pondre plus doucement …
la pauvre fille, quand un grand bruit se fit entendre dans la rue,
qui paraissait purement et simplement ˆtre une augmentation du bruit
que Rosa avait d‚j… entendu, mais sans y attacher d'importance, au
Grote-Markt. Des acclamations bruyantes ‚branlŠrent la maison. M.
van Systens prˆta l'oreille … ces acclamations.

--Qu'est-ce que cela? s'‚cria le bourgmestre, qu'est-ce que cela?
serait-il possible et ai-je bien entendu?

Et il se pr‚cipita vers son antichambre, sans plus se pr‚occuper de
Rosa qu'il laissa dans son cabinet. A peine arriv‚ dans son
antichambre, M. van Systens poussa un grand cri en apercevant le
spectacle de son escalier envahi jusqu'au vestibule. Accompagn‚, ou
plut“t suivi de la multitude, un jeune homme vˆtu simplement d'un
habit de petit velours violet brod‚ d'argent montait avec une noble
lenteur les degr‚s de pierre. DerriŠre lui marchaient deux
officiers, l'un de la marine, l'autre de la cavalerie. Van Systens
vint s'incliner, se prosterner presque devant le nouvel arrivant qui
causait toute cette rumeur.

--Monseigneur, s'‚cria-t-il, monseigneur, Votre Altesse, chez moi?
honneur ‚clatant … jamais pour mon humble maison.
--Cher monsieur van Systens, dit Guillaume d'Orange avec une s‚r‚nit‚
qui chez lui rempla‡ait le sourire, je suis un vrai Hollandais, moi,
j'aime l'eau, la biŠre et les fleurs; parmi les fleurs, celles que je
pr‚fŠre sont naturellement les tulipes. J'ai ou‹ dire … Leyde que la
ville de Harlem poss‚dait enfin la tulipe noire, et, aprŠs m'ˆtre
assur‚ que la chose ‚tait vraie, quoique incroyable, je viens en
demander des nouvelles au pr‚sident de la Soci‚t‚ d'horticulture.
--Oh! monseigneur, monseigneur, dit van Systens ravi, quelle gloire
pour la soci‚t‚ si ses travaux agr‚ent … votre Altesse!
--Vous avez la fleur ici? dit le prince qui sans doute se repentait
d'avoir d‚j… trop parl‚.
--H‚las! non, monseigneur, je ne l'ai pas ici.
--Et o— est-elle?
--Chez son propri‚taire.
--Quel est ce propri‚taire?
--Un brave tulipier de Dordrecht.
--De Dordrecht?
--Oui.
--Et qui s'appelle?
--Boxtel.
--Il loge?
--Au Cygne-Blanc; je vais le mander, et si, en attendant, Votre
Altesse veut me faire l'honneur d'entrer au salon, il s'empressera,
sachant que monseigneur est ici, d'apporter sa tulipe … monseigneur.
--C'est bien, mandez-le.
--Oui, Votre Altesse. Seulement....
--Quoi?
--Oh! rien d'important, monseigneur.
--Tout est important dans ce monde, monsieur van Systens.
--Eh bien, monseigneur, une difficult‚ s'‚levait.
--Laquelle?
--Cette tulipe est d‚j… revendiqu‚e par des usurpateurs. Il est vrai
qu'elle vaut cent mille florins.
--En v‚rit‚?
--Oui, monseigneur, par des usurpateurs, par des faussaires.
--C'est un crime, cela, monsieur van Systens.
--Oui, Votre Altesse.
--Et...avez-vous les preuves de ce crime?
--Non, monseigneur, la coupable...
--La coupable, monsieur...
--Je veux dire celle qui r‚clame la tulipe, monseigneur, est l…, dans
la chambre … c“t‚.
--L…! Qu'en pensez-vous, monsieur van Systens?
--Je pense, monseigneur, que l'appƒt des cent mille florins l'aura
tent‚e.
--Et elle r‚clame la tulipe?
--Oui, monseigneur.
--Et que dit-elle de son c“t‚, comme preuve?
--J'allais l'interroger, quand Votre Altesse est entr‚e.
--Ecoutons-la, monsieur van Systens, ‚coutons-la; je suis le premier
magistrat du pays, j'entendrai la cause et ferai justice. Passez
devant, et appelez-moi Monsieur.

Ils entrŠrent dans le cabinet. Rosa ‚tait toujours … la mˆme place,
appuy‚e … la fenˆtre et regardant par les vitres dans le jardin.

--Ah! ah! une Frisonne, dit le prince en apercevant le casque d'or et
les jupes rouges de Rosa.

Celle-ci se retourna au bruit, mais … peine vit-elle le prince qui
s'asseyait dans l'angle le plus obscur de l'appartement. Toute son
attention, on le comprend, ‚tait pour cet important personnage que
l'on appelait van Systens, et non pour cet humble ‚tranger qui
suivait le maŒtre de la maison. L'humble ‚tranger prit un livre dans
la bibliothŠque et fit signe … van Systens de commencer
l'interrogatoire. Van Systens, toujours … l'invitation du jeune
homme … l'habit violet, s'assit … son tour, et tout heureux et tout
fier de l'importance qui lui ‚tait accord‚e:

--Ma fille, dit-il, vous me promettez la v‚rit‚, toute la v‚rit‚, sur
cette tulipe?
--Je vous la promets.
--Eh bien! parlez donc devant monsieur; monsieur est un des membres
de la Soci‚t‚ horticole.
--Monsieur, dit Rosa, que vous dirai-je que je ne vous aie point dit
d‚j…?
--Eh bien! alors?
--Alors, j'en reviendrai … la priŠre que je vous ai adress‚e.
--Laquelle?
--De faire venir ici M. Boxtel avec sa tulipe; si je ne la reconnais
pas pour la mienne, je le dirai franchement: mais si je la reconnais,
je la r‚clamerai, duss‚-je aller devant Son Altesse le stathouder
lui-mˆme, mes preuves … la main.
--Vous avez donc les preuves, ma belle enfant?
--Dieu, qui sait mon bon droit, m'en fournira.

Van Systens ‚changea un regard avec le prince, qui depuis les
premiers mots de Rosa, semblait essayer de rappeler ses souvenirs,
comme si ce n'‚tait point la premiŠre fois que cette douce voix
frappƒt ses oreilles. Un officier partit pour aller chercher Boxtel.
Van Systens continua l'interrogatoire.

--Et sur quoi, dit-il, basez-vous cette assertion, que vous ˆtes
propri‚taire de la tulipe noire?
--Mais sur une chose bien simple, c'est que c'est moi qui l'ai
plant‚e et cultiv‚e dans ma propre chambre.
--Dans votre chambre, et o— ‚tait votre chambre?
--A Loewestein.
--Vous ˆtes de Loewestein?
--Je suis la fille du ge“lier de la forteresse.

Le prince fit un petit mouvement qui voulait dire:

--Ah! c'est cela, je me rappelle maintenant.

Et tout en faisant semblant de lire il regarda Rosa avec plus
d'attention encore qu'auparavant.

--Et vous aimez les fleurs? continua van Systens.
--Oui, monsieur.
--Alors, vous ˆtes une savante fleuriste?

Rosa h‚sita un instant, puis avec un accent tir‚ du plus profond de
son coeur:

--Messieurs, je parle … des gens d'honneur, dit-elle.

L'accent ‚tait si vrai, que van Systens et le prince r‚pondirent tous
deux en mˆme temps par un mouvement de tˆte affirmatif.

--Eh bien! non! ce n'est pas moi qui suis une savante fleuriste, non!
moi qui ne suis qu'une pauvre fille du peuple, une pauvre paysanne de
la Frise, qui, il y a trois mois encore, ne savait ni lire ni ‚crire.
Non! la tulipe noire n'a pas ‚t‚ trouv‚e par moi-mˆme.
--Et par qui a-t-elle ‚t‚ trouv‚e?
--Par un pauvre prisonnier de Loewestein.
--Par un prisonnier de Loewestein? dit le prince.

Au son de cette voix, ce fut Rosa qui tressaillit … son tour.

--Par un prisonnier d'Etat alors, continua le prince, car …
Loewestein il n'y a que des prisonniers d'Etat.

Et il se remit … lire, ou du moins fit semblant de se remettre …
lire.

--Oui, murmura Rosa tremblante, oui, par un prisonnier d'Etat.

Van Systens pƒlit en entendant prononcer un pareil aveu devant un
pareil t‚moin.

--Continuez, dit froidement Guillaume au pr‚sident de la Soci‚t‚
horticole.

--Oh! monsieur, dit Rosa en s'adressant … celui qu'elle croyait son
v‚ritable juge, c'est que je vais m'accuser bien gravemennt.
--En effet, dit van Systens, les prisonniers d'Etat doivent ˆtre au
secret … Loewestein.
--H‚las! monsieur.
--Et, d'aprŠs ce que vous dites, il semblerait que vous auriez
profit‚ de votre position comme fille du ge“lier et que vous aauriez
communiqu‚ avec celui-l… pour cultiver des fleurs?
--Oui, monsieur, murmura Rosa ‚perdue; oui, je suis forc‚e de
l'avouer, je le voyais tous les jours.
--Malheureuse! s'‚cria van Systens.
--Le prince leva la tˆte en observant l'effroi de Rosa et la pƒleur
du pr‚sident.
--Cela, dit-il de sa voix nette et fermement accentu‚e, cela ne
regarde pas les membres de la Soci‚t‚ horticole; ils ont … juger la
tulipe noire et ne connaissent pas les d‚lits politiques. Continuez,
jeune fille, continuez.

Van Systens, par un ‚loquent regard, remercia au nom des tulipes le
nouveau membre de la Soci‚t‚ horticole. Rosa, rassur‚e par cette
espŠce d'encouragement que lui avait donn‚ l'inconnu, raconta tout ce
qui s'‚tait pass‚ depuis trois mois, tout ce qu'elle avait fait, tout
ce qu'elle avait souffert. Elle parla des duret‚s de Gryphus, de la
destruction du premier ca‹eu, de la douleur du prisonnier, des
pr‚cautions prises pour que le second ca‹eu arrivƒt … bien, de la
patience du prisonnier, de ses angoisses pendant leur s‚paration;
comment il avait voulu mourir de faim parce qu'il n'avait plus de
nouvelles de sa tulipe; de la joie qu'il avait ‚prouv‚e … leur
r‚union, enfin de leur d‚sespoir … tous deux lorsqu'ils avaient vu
que la tulipe qui venait de fleurir leur avait ‚t‚ vol‚e une heure
aprŠs sa floraison.

Tout cela dit dans un accent de v‚rit‚ qui laissait le prince
impassible, en apparence du moins, mais qui ne laissait pas de faire
son effet sur M. van Systens.

--Mais, dit le prince, il n'y a pas longtemps que vous connaissez ce
prisonnier?

Rosa ouvrit ses grands yeux et regarda l'inconnu, qui s'enfon‡a dans
l'ombre, comme s'il e–t voulu fuir ce regard.

--Pourquoi cela, monsieur? demanda-t-elle.
--Parce qu'il n'y a que quatre mois que le ge“lier Gryphus et sa
fille sont … Loewestein.
--C'est vrai, monsieur.
--Et … moins que vous n'ayez sollicit‚ le changement de votre pŠre
pour suivre quelque prisonnier qui aurait ‚t‚ transport‚ de la Haye …
Loewestein ...
--Monsieur! fit Rosa en rougissant.
--Achevez, dit Guillaume.
--Je l'avoue, j'avais connu le prisonnier … la Haye.
--Heureux prisonnier! dit en souriant Guillaume.

En ce moment l'officier qui avait ‚t‚ envoy‚ prŠs de Boxtel rentra et
annon‡a au prince que celui qu'il ‚tait all‚ qu‚rir le suivait avec
sa tulipe.


XXI

LE TROISIEME CAIEU

L'annonce du retour de Boxtel ‚tait … peine faite, que Boxtel entra
en personne dans le salon de M. van Systens, suivi de deux hommes
portant dans une caisse le pr‚cieux fardeau, qui fut d‚pos‚ sur une
table.

Le prince, pr‚venu, quitta le cabinet, passa dans le salon, admira et
se tut, et revint silencieusement prendre sa place dans l'angle
obscur o— lui-mˆme avait plac‚ son fauteuil.

Rosa, palpitante, pƒle, pleine de terreur, attendait qu'on l'invitƒt
… aller voir … son tour.

Elle entendit la voix de Boxtel.

--C'est lui! s'‚cria-t-elle.

Le prince lui fit signe d'aller regarder dans le salon par la porte
entr'ouverte.

--C'est ma tulipe, s'‚cria Rosa, c'est elle, je la reconnais. O mon
pauvre Corn‚lius!

Et elle fondit en larmes.

Le prince se leva et alla jusqu'… la porte, o— il demeura un instant
dans la lumiŠre.

Les yeux de Rosa s'arrˆtŠrent sur lui. Plus que jamais elle ‚tait
certaine que ce n'‚tait pas la premiŠre fois qu'elle voyait cet
‚tranger.

--Monsieur Boxtel, dit le prince, entrez donc ici.

Boxtel accourut avec empressement et se trouva face … face avec
Guillaume d'Orange.

--Son Altesse! s'‚cria-t-il en reculant.
--Son Altesse! r‚p‚ta Rosa tout ‚tourdie.

A cette exclamation partie … sa gauche, Boxtel se retourna et aper‡ut
Rosa. A cette vue, tout le corps de l'envieux frissonna.

--Ah! murmura le prince se parlant … lui-mˆme, il est troubl‚.

Mais Boxtel, par un puissant effort sur lui-mˆme, s'‚tait d‚j… remis.

--Monsieur Boxtel, dit Guillaume, il paraŒt que vous avez trouv‚ le
secret de la tulipe noire.
--Oui, monseigneur, r‚pondit Boxtel d'une voix o— per‡ait un peu de
trouble.

Il est vrai que ce trouble pouvait venir de l'‚motion que le tulipier
avait ‚prouv‚e en reconnaissant Guillaume.

--Mais, reprit le prince, voici une jeune fille qui pr‚tend l'avoir
trouv‚e aussi.

Boxtel sourit de d‚dain et haussa les ‚paules.

--Ainsi, vous ne connaissez pas cette jeune fille? dit le prince.

--Non, monseigneur.



 


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