Tour Du Mond 80 Jours
by
Jules Verne

Part 5 out of 6



-- J'insiste, reprit Fix. Vous avez bien intérêt à être à New York le
11, avant neuf heures du soir, heure du départ du paquebot de
Liverpool ?

-- Un intérêt majeur.

-- Et si votre voyage n'eût pas été interrompu par cette attaque
d'Indiens, vous seriez arrivé à New York le 11, dès le matin ?

-- Oui, avec douze heures d'avance sur le paquebot.

-- Bien. Vous avez donc vingt heures de retard. Entre vingt et
douze, l'écart est de huit. C'est huit heures à regagner.
Voulez-vous tenter de le faire ?

-- A pied ? demanda Mr. Fogg.

-- Non, en traîneau, répondit Fix, en traîneau à voiles. Un homme m'a
proposé ce moyen de transport. »

C'était l'homme qui avait parlé à l'inspecteur de police pendant la
nuit, et dont Fix avait refusé l'offre.

Phileas Fogg ne répondit pas à Fix ; mais Fix lui ayant montré l'homme
en question qui se promenait devant la gare, le gentleman alla à lui.
Un instant après, Phileas Fogg et cet Américain, nommé Mudge,
entraient dans une hutte construite au bas du fort Kearney.

Là, Mr. Fogg examina un assez singulier véhicule, sorte de châssis,
établi sur deux longues poutres, un peu relevées à l'avant comme les
semelles d'un traîneau, et sur lequel cinq ou six personnes pouvaient
prendre place. Au tiers du châssis, sur l'avant, se dressait un mât
très élevé, sur lequel s'enverguait une immense brigantine. Ce mât,
solidement retenu par des haubans métalliques, tendait un étai de fer
qui servait à guinder un foc de grande dimension. A l'arrière, une
sorte de gouvernail-godille permettait de diriger l'appareil.

C'était, on le voit, un traîneau gréé en sloop. Pendant l'hiver, sur
la plaine glacée, lorsque les trains sont arrêtés par les neiges, ces
véhicules font des traversées extrêmement rapides d'une station à
l'autre. Ils sont, d'ailleurs, prodigieusement voilés -- plus voilés
même que ne peut l'être un cotre de course, exposé à chavirer --, et,
vent arrière, ils glissent à la surface des prairies avec une rapidité
égale, sinon supérieure, à celle des express.

En quelques instants, un marché fut conclu entre Mr. Fogg et le
patron de cette embarcation de terre. Le vent était bon. Il
soufflait de l'ouest en grande brise. La neige était durcie, et Mudge
se faisait fort de conduire Mr. Fogg en quelques heures à la station
d'Omaha. Là, les trains sont fréquents et les voies nombreuses, qui
conduisent à Chicago et à New York. Il n'était pas impossible que le
retard fût regagné. Il n'y avait donc pas à hésiter à tenter
l'aventure.

Mr. Fogg, ne voulant pas exposer Mrs. Aouda aux tortures d'une
traversée en plein air, par ce froid que la vitesse rendrait plus
insupportable encore, lui proposa de rester sous la garde de
Passepartout à la station de Kearney. L'honnête garçon se chargerait
de ramener la jeune femme en Europe par une route meilleure et dans
des conditions plus acceptables.

Mrs. Aouda refusa de se séparer de Mr. Fogg, et Passepartout se
sentit très heureux de cette détermination. En effet, pour rien au
monde il n'eût voulu quitter son maître, puisque Fix devait
l'accompagner.

Quant à ce que pensait alors l'inspecteur de police ce serait
difficile à dire. Sa conviction avait-elle été ébranlée par le retour
de Phileas Fogg, ou bien le tenait-il pour un coquin extrêmement fort,
qui, son tour du monde accompli, devait croire qu'il serait absolument
en sûreté en Angleterre ? Peut-être l'opinion de Fix touchant Phileas
Fogg était-elle en effet modifiée. Mais il n'en était pas moins
décidé à faire son devoir et, plus impatient que tous, à presser de
tout son pouvoir le retour en Angleterre.

A huit heures, le traîneau était prêt à partir. Les voyageurs -- on
serait tenté de dire les passagers -- y prenaient place et se
serraient étroitement dans leurs couvertures de voyage. Les deux
immenses voiles étaient hissées, et, sous l'impulsion du vent, le
véhicule filait sur la neige durcie avec une rapidité de quarante
milles à l'heure.

La distance qui sépare le fort Kearney d'Omaha est, en droite ligne --
à vol d'abeille, comme disent les Américains --, de deux cents milles
au plus. Si le vent tenait, en cinq heures cette distance pouvait
être franchie. Si aucun incident ne se produisait, à une heure après
midi le traîneau devait avoir atteint Omaha.

Quelle traversée ! Les voyageurs, pressés les uns contre les autres,
ne pouvaient se parler. Le froid, accru par la vitesse, leur eût
coupé la parole. Le traîneau glissait aussi légèrement à la surface
de la plaine qu'une embarcation à la surface des eaux --, avec la
houle en moins. Quand la brise arrivait en rasant la terre, il
semblait que le traîneau fût enlevé du sol par ses voiles, vastes
ailes d'une immense envergure. Mudge, au gouvernail se maintenait
dans la ligne droite, et, d'un coup de godille il rectifiait les
embardées que l'appareil tendait à faire. Toute la toile portait. Le
foc avait été perqué et n'était plus abrité par la brigantine. Un mât
de hune fut guindé, et une flèche, tendue au vent, ajouta sa puissance
d'impulsion à celle des autres voiles. On ne pouvait l'estimer,
mathématiquement, mais certainement la vitesse du traîneau ne devait
pas être moindre de quarante milles à l'heure.

« Si rien ne casse, dit Mudge, nous arriverons ! »

Et Mudge avait intérêt à arriver dans le délai convenu, car Mr. Fogg,
fidèle à son système, l'avait alléché par une forte prime.

La prairie, que le traîneau coupait en ligne droite, était plate comme
une mer. On eût dit un immense étang glacé. Le rail-road qui
desservait cette partie du territoire remontait, du sud-ouest au
nord-ouest, par Grand-Island, Columbus, ville importante du Nebraska,
Schuyler, Fremont, puis Omaha. Il suivait pendant tout son parcours
la rive droite de Platte-river. Le traîneau, abrégeant cette route,
prenait la corde de l'arc décrit par le chemin de fer. Mudge ne
pouvait craindre d'être arrêté par la Platte-river, à ce petit coude
qu'elle fait en avant de Fremont, puisque ses eaux étaient glacées.
Le chemin était donc entièrement débarrassé d'obstacles, et Phileas
Fogg n'avait donc que deux circonstances à redouter : une avarie à
l'appareil, un changement ou une tombée du vent.

Mais la brise ne mollissait pas. Au contraire. Elle soufflait à
courber le mât, que les haubans de fer maintenaient solidement. Ces
filins métalliques, semblables aux cordes d'un instrument, résonnaient
comme si un archet eût provoqué leurs vibrations. Le traîneau
s'enlevait au milieu d'une harmonie plaintive, d'une intensité toute
particulière.

« Ces cordes donnent la quinte et l'octave », dit Mr. Fogg.

Et ce furent les seules paroles qu'il prononça pendant cette
traversée. Mrs. Aouda, soigneusement empaquetée dans les fourrures
et les couvertures de voyage, était, autant que possible, préservée
des atteintes du froid.

Quant à Passepartout, la face rouge comme le disque solaire quand il
se couche dans les brumes, il humait cet air piquant. Avec le fond
d'imperturbable confiance qu'il possédait, il s'était repris à
espérer. Au lieu d'arriver le matin à New York, on y arriverait le
soir, mais il y avait encore quelques chances pour que ce fût avant le
départ du paquebot de Liverpool.

Passepartout avait même éprouvé une forte envie de serrer la main de
son allié Fix. Il n'oubliait pas que c'était l'inspecteur lui-même
qui avait procuré le traîneau à voiles, et, par conséquent, le seul
moyen qu'il y eût de gagner Omaha en temps utile. Mais, par on ne
sait quel pressentiment, il se tint dans sa réserve accoutumée.

En tout cas, une chose que Passepartout n'oublierait jamais, c'était
le sacrifice que Mr. Fogg avait fait, sans hésiter, pour l'arracher
aux mains des Sioux. A cela, Mr. Fogg avait risqué sa fortune et sa
vie... Non ! son serviteur ne l'oublierait pas !

Pendant que chacun des voyageurs se laissait aller à des réflexions si
diverses, le traîneau volait sur l'immense tapis de neige. S'il
passait quelques creeks, affluents ou sous-affluents de la
Little-Blue-river, on ne s'en apercevait pas. Les champs et les cours
d'eau disparaissaient sous une blancheur uniforme. La plaine était
absolument déserte. Comprise entre l'Union Pacific Road et
l'embranchement qui doit réunir Kearney à Saint-Joseph, elle formait
comme une grande île inhabitée. Pas un village, pas une station, pas
même un fort. De temps en temps, on voyait passer comme un éclair
quelque arbre grimaçant, dont le blanc squelette se tordait sous la
brise. Parfois, des bandes d'oiseaux sauvages s'enlevaient du même
vol. Parfois aussi, quelques loups de prairies, en troupes
nombreuses, maigres, affamés, poussés par un besoin féroce, luttaient
de vitesse avec le traîneau. Alors Passepartout, le revolver à la
main, se tenait prêt à faire feu sur les plus rapprochés. Si quelque
accident eût alors arrêté le traîneau, les voyageurs, attaqués par ces
féroces carnassiers, auraient couru les plus grands risques. Mais le
traîneau tenait bon, il ne tardait pas à prendre de l'avance, et
bientôt toute la bande hurlante restait en arrière.

A midi, Mudge reconnut à quelques indices qu'il passait le cours glacé
de la Platte-river. Il ne dit rien, mais il était déjà sûr que, vingt
milles plus loin, il aurait atteint la station d'Omaha.

Et, en effet, il n'était pas une heure, que ce guide habile,
abandonnant la barre, se précipitait aux drisses des voiles et les
amenait en bande, pendant que le traîneau, emporté par son
irrésistible élan, franchissait encore un demi-mille à sec de toile.
Enfin il s'arrêta, et Mudge, montrant un amas de toits blancs de
neige, disait :

« Nous sommes arrivés. »

Arrivés ! Arrivés, en effet, à cette station qui, par des trains
nombreux, est quotidiennement en communication avec l'est des
États-Unis !

Passepartout et Fix avaient sauté à terre et secouaient leurs membres
engourdis. Ils aidèrent Mr. Fogg et la jeune femme à descendre du
traîneau. Phileas Fogg régla généreusement avec Mudge, auquel
Passepartout serra la main comme à un ami, et tous se précipitèrent
vers la gare d'Omaha.

C'est à cette importante cité du Nebraska que s'arrête le chemin de
fer du Pacifique proprement dit, qui met le bassin du Mississippi en
communication avec le grand océan. Pour aller d'Omaha à Chicago, le
rail-road, sous le nom de « Chicago-Rock-island-road », court
directement dans l'est en desservant cinquante stations.

Un train direct était prêt à partir. Phileas Fogg et ses compagnons
n'eurent que le temps de se précipiter dans un wagon. Ils n'avaient
rien vu d'Omaha, mais Passepartout s'avoua à lui-même qu'il n'y avait
pas lieu de le regretter, et que ce n'était pas de voir qu'il
s'agissait.

Avec une extrême rapidité, ce train passa dans l'État d'Iowa, par
Council-Bluffs, Des Moines, Iowa-city. Pendant la nuit, il traversait
le Mississippi à Davenport, et par Rock-Island, il entrait dans
l'Illinois. Le lendemain, 10, à quatre heures du soir il arrivait à
Chicago, déjà relevée de ses ruines, et plus fièrement assise que
jamais sur les bords de son beau lac Michigan.

Neuf cents milles séparent Chicago de New York. Les trains ne
manquaient pas à Chicago. Mr. Fogg passa immédiatement de l'un dans
l'autre. La fringante locomotive du
« Pittsburg-Fort-Wayne-Chicago-rail-road » partit à toute vitesse,
comme si elle eût compris que l'honorable gentleman n'avait pas de
temps à perdre. Elle traversa comme un éclair l'Indiana, l'Ohio, la
Pennsylvanie, le New Jersey, passant par des villes aux noms antiques,
dont quelques-unes avaient des rues et des tramways, mais pas de
maisons encore. Enfin l'Hudson apparut, et, le 11 décembre, à onze
heures un quart du soir, le train s'arrêtait dans la gare, sur la rive
droite du fleuve, devant le « pier » même des steamers de la ligne
Cunard, autrement dite « British and North American royal mail steam
packet Co. »

Le _China_, à destination de Liverpool, était parti depuis
quarante-cinq minutes !

XXXII
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DANS LEQUEL PHILEAS FOGG ENGAGE UNE
LUTTE DIRECTE CONTRE LA MAUVAISE CHANCE

En partant, le _China_ semblait avoir emporté avec lui le dernier
espoir de Phileas Fogg.

En effet, aucun des autres paquebots qui font le service direct entre
l'Amérique et l'Europe, ni les transatlantiques français, ni les
navires du « White-Star-line », ni les steamers de la Compagnie Imman,
ni ceux de la ligne Hambourgeoise, ni autres, ne pouvaient servir les
projets du gentleman.

En effet, le _Pereire_, de la Compagnie transatlantique française --
dont les admirables bâtiments égalent en vitesse et surpassent en
confortable tous ceux des autres lignes, sans exception --, ne partait
que le surlendemain, 14 décembre. Et d'ailleurs, de même que ceux de
la Compagnie hambourgeoise, il n'allait pas directement à Liverpool ou
à Londres, mais au Havre, et cette traversée supplémentaire du Havre à
Southampton, en retardant Phileas Fogg, eût annulé ses derniers
efforts.

Quant aux paquebots Imman, dont l'un, le _City-of-Paris_, mettait en
mer le lendemain, il n'y fallait pas songer. Ces navires sont
particulièrement affectés au transport des émigrants, leurs machines
sont faibles, ils naviguent autant à la voile qu'à la vapeur, et leur
vitesse est médiocre. Ils employaient à cette traversée de New York à
l'Angleterre plus de temps qu'il n'en restait à Mr. Fogg pour gagner
son pari.

De tout ceci le gentleman se rendit parfaitement compte en consultant
son _Bradshaw_, qui lui donnait, jour par jour, les mouvements de la
navigation transocéanienne.

Passepartout était anéanti. Avoir manqué le paquebot de quarante-cinq
minutes, cela le tuait. C'était sa faute à lui, qui, au lieu d'aider
son maître, n'avait cessé de semer des obstacles sur sa route ! Et
quand il revoyait dans son esprit tous les incidents du voyage, quand
il supputait les sommes dépensées en pure perte et dans son seul
intérêt, quand il songeait que cet énorme pari, en y joignant les
frais considérables de ce voyage devenu inutile, ruinait complètement
Mr. Fogg, il s'accablait d'injures.

Mr. Fogg ne lui fit, cependant, aucun reproche, et, en quittant le
pier des paquebots transatlantiques, il ne dit que ces mots :

« Nous aviserons demain. Venez. »

Mr. Fogg, Mrs. Aouda, Fix, Passepartout traversèrent l'Hudson dans
le Jersey-city-ferry-boat, et montèrent dans un fiacre, qui les
conduisit à l'hôtel Saint-Nicolas, dans Broadway. Des chambres furent
mises à leur disposition, et la nuit se passa, courte pour Phileas
Fogg, qui dormit d'un sommeil parfait, mais bien longue pour Mrs.
Aouda et ses compagnons, auxquels leur agitation ne permit pas de
reposer.

Le lendemain, c'était le 12 décembre. Du 12, sept heures du matin, au
21, huit heures quarante-cinq minutes du soir, il restait neuf jours
treize heures et quarante-cinq minutes. Si donc Phileas Fogg fût
parti la veille par le _China_, l'un des meilleurs marcheurs de la
ligne Cunard, il serait arrivé à Liverpool, puis à Londres, dans les
délais voulus !

Mr. Fogg quitta l'hôtel, seul, après avoir recommandé à son
domestique de l'attendre et de prévenir Mrs. Aouda de se tenir prête
à tout instant.

Mr. Fogg se rendit aux rives de l'Hudson, et parmi les navires
amarrés au quai ou ancrés dans le fleuve, il rechercha avec soin ceux
qui étaient en partance. Plusieurs bâtiments avaient leur guidon de
départ et se préparaient à prendre la mer à la marée du matin, car
dans cet immense et admirable port de New York, il n'est pas de jour
où cent navires ne fassent route pour tous les points du monde ; mais
la plupart étaient des bâtiments à voiles, et ils ne pouvaient
convenir à Phileas Fogg.

Ce gentleman semblait devoir échouer dans sa dernière tentative, quand
il aperçut, mouillé devant la Batterie, à une encablure au plus, un
navire de commerce à hélice, de formes fines, dont la cheminée,
laissant échapper de gros flocons de fumée, indiquait qu'il se
préparait à appareiller.

Phileas Fogg héla un canot, s'y embarqua, et, en quelques coups
d'aviron, il se trouvait à l'échelle de l'_Henrietta_, steamer à coque
de fer, dont tous les hauts étaient en bois.

Le capitaine de l'_Henrietta_ était à bord. Phileas Fogg monta sur le
pont et fit demander le capitaine. Celui-ci se présenta aussitôt.

C'était un homme de cinquante ans, une sorte le loup de mer, un bougon
qui ne devait pas être commode. Gros yeux, teint de cuivre oxydé,
cheveux rouges, forte encolure, -- rien de l'aspect d'un homme du
monde.

« Le capitaine ? demanda Mr. Fogg.

-- C'est moi.

-- Je suis Phileas Fogg, de Londres.

-- Et moi, Andrew Speedy, de Cardif.

-- Vous allez partir ?...

-- Dans une heure.

-- Vous êtes chargé pour... ?

-- Bordeaux.

-- Et votre cargaison ?

-- Des cailloux dans le ventre. Pas de fret. Je pars sur lest.

-- Vous avez des passagers ?

-- Pas de passagers. Jamais de passagers. Marchandise encombrante et
raisonnante.

-- Votre navire marche bien ?

-- Entre onze et douze noeuds. L'_Henrietta_, bien connue.

-- Voulez-vous me transporter à Liverpool, moi et trois personnes ?

-- A Liverpool ? Pourquoi pas en Chine ?

-- Je dis Liverpool.

-- Non !

-- Non ?

-- Non. Je suis en partance pour Bordeaux, et je vais à Bordeaux.

-- N'importe quel prix ?

-- N'importe quel prix. »

Le capitaine avait parlé d'un ton qui n'admettait pas de réplique.

« Mais les armateurs de l'_Henrietta_... reprit Phileas Fogg.

-- Les armateurs, c'est moi, répondit le capitaine. Le navire
m'appartient.

-- Je vous affrète.

-- Non.

-- Je vous l'achète.

-- Non. »

Phileas Fogg ne sourcilla pas. Cependant la situation était grave.
Il n'en était pas de New York comme de Hong-Kong, ni du capitaine de
l'_Henrietta_ comme du patron de la _Tankadère_. Jusqu'ici l'argent
du gentleman avait toujours eu raison des obstacles. Cette fois-ci,
l'argent échouait.

Cependant, il fallait trouver le moyen de traverser l'Atlantique en
bateau -- à moins de le traverser en ballon --, ce qui eût été fort
aventureux, et ce qui, d'ailleurs, n'était pas réalisable.

Il paraît, pourtant, que Phileas Fogg eut une idée, car il dit au
capitaine :

« Eh bien, voulez-vous me mener à Bordeaux ?

-- Non, quand même vous me paieriez deux cents dollars !

-- Je vous en offre deux mille (10 000 F).

-- Par personne ?

-- Par personne.

-- Et vous êtes quatre ?

-- Quatre. »

Le capitaine Speedy commença à se gratter le front, comme s'il eût
voulu en arracher l'épiderme. Huit mille dollars à gagner, sans
modifier son voyage, cela valait bien la peine qu'il mît de côté son
antipathie prononcée pour toute espèce de passager. Des passagers à
deux mille dollars, d'ailleurs, ce ne sont plus des passagers, c'est
de la marchandise précieuse.

« Je pars à neuf heures, dit simplement le capitaine Speedy, et si
vous et les vôtres, vous êtes là ?...

-- A neuf heures, nous serons à bord ! » répondit non moins
simplement Mr. Fogg.

Il était huit heures et demie. Débarquer de l'_Henrietta_, monter
dans une voiture, se rendre à l'hôtel Saint-Nicolas, en ramener Mrs.
Aouda, Passepartout, et même l'inséparable Fix, auquel il offrait
gracieusement le passage, cela fut fait par le gentleman avec ce calme
qui ne l'abandonnait en aucune circonstance.

Au moment où l'_Henrietta_ appareillait, tous quatre étaient à bord.

Lorsque Passepartout apprit ce que coûterait cette dernière traversée,
il poussa un de ces « Oh ! » prolongés, qui parcourent tous les
intervalles de la gamme chromatique descendante !

Quant à l'inspecteur Fix, il se dit que décidément la Banque
d'Angleterre ne sortirait pas indemne de cette affaire. En effet, en
arrivant et en admettant que le sieur Fogg n'en jetât pas encore
quelques poignées à la mer, plus de sept mille livres (175 000 F)
manqueraient au sac à bank-notes !

XXXIII
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OÙ PHILEAS FOGG SE MONTRE A LA HAUTEUR DES CIRCONSTANCES

Une heure après, le steamer _Henrietta_ dépassait le Light-boat qui
marque l'entrée de l'Hudson, tournait la pointe de Sandy-Hook et
donnait en mer. Pendant la journée, il prolongea Long-Island, au
large du feu de Fire-Island, et courut rapidement vers l'est.

Le lendemain, 13 décembre, à midi, un homme monta sur la passerelle
pour faire le point. Certes, on doit croire que cet homme était le
capitaine Speedy ! Pas le moins du monde. C'était Phileas Fogg.
esq.

Quant au capitaine Speedy, il était tout bonnement enfermé à clef dans
sa cabine, et poussait des hurlements qui dénotaient une colère, bien
pardonnable, poussée jusqu'au paroxysme.

Ce qui s'était passé était très simple. Phileas Fogg voulait aller à
Liverpool, le capitaine ne voulait pas l'y conduire. Alors Phileas
Fogg avait accepté de prendre passage pour Bordeaux, et, depuis trente
heures qu'il était à bord, il avait si bien manoeuvré à coups de
bank-notes, que l'équipage, matelots et chauffeurs -- équipage un peu
interlope, qui était en assez mauvais termes avec le capitaine --, lui
appartenait. Et voilà pourquoi Phileas Fogg commandait au lieu et
place du capitaine Speedy, pourquoi le capitaine était enfermé dans sa
cabine, et pourquoi enfin l'_Henrietta_ se dirigeait vers Liverpool.
Seulement, il était très clair, à voir manoeuvrer Mr. Fogg, que Mr.
Fogg avait été marin.

Maintenant, comment finirait l'aventure, on le saurait plus tard.
Toutefois, Mrs. Aouda ne laissait pas d'être inquiète, sans en rien
dire. Fix, lui, avait été abasourdi tout d'abord. Quant à
Passepartout, il trouvait la chose tout simplement adorable.

« Entre onze et douze noeuds », avait dit le capitaine Speedy, et en
effet l'_Henrietta_ se maintenait dans cette moyenne de vitesse.

Si donc -- que de « si » encore ! -- si donc la mer ne devenait pas
trop mauvaise, si le vent ne sautait pas dans l'est, s'il ne survenait
aucune avarie au bâtiment, aucun accident à la machine, l'_Henrietta_,
dans les neuf jours comptés du 12 décembre au 21, pouvait franchir les
trois mille milles qui séparent New York de Liverpool. Il est vrai
qu'une fois arrivé, l'affaire de l'_Henrietta_ brochant sur l'affaire
de la Banque, cela pouvait mener le gentleman un peu plus loin qu'il
ne voudrait.

Pendant les premiers jours, la navigation se fit dans d'excellentes
conditions. La mer n'était pas trop dure ; le vent paraissait fixé au
nord-est ; les voiles furent établies, et, sous ses goélettes,
l'_Henrietta_ marcha comme un vrai transatlantique.

Passepartout était enchanté. Le dernier exploit de son maître, dont
il ne voulait pas voir les conséquences, l'enthousiasmait. Jamais
l'équipage n'avait vu un garçon plus gai, plus agile. Il faisait
mille amitiés aux matelots et les étonnait par ses tours de voltige.
Il leur prodiguait les meilleurs noms et les boissons les plus
attrayantes. Pour lui, ils manoeuvraient comme des gentlemen, et les
chauffeurs chauffaient comme des héros. Sa bonne humeur, très
communicative, s'imprégnait à tous. Il avait oublié le passé, les
ennuis, les périls. Il ne songeait qu'à ce but, si près d'être
atteint, et parfois il bouillait d'impatience, comme s'il eût été
chauffé par les fourneaux de l'_Henrietta_. Souvent aussi, le digne
garçon tournait autour de Fix ; il le regardait d'un oeil « qui en
disait long »! mais il ne lui parlait pas, car il n'existait plus
aucune intimité entre les deux anciens amis.

D'ailleurs Fix, il faut le dire, n'y comprenait plus rien ! La
conquête de l'_Henrietta_, l'achat de son équipage, ce Fogg
manoeuvrant comme un marin consommé, tout cet ensemble de choses
l'étourdissait. Il ne savait plus que penser ! Mais, après tout, un
gentleman qui commençait par voler cinquante-cinq mille livres pouvait
bien finir par voler un bâtiment. Et Fix fut naturellement amené à
croire que l'_Henrietta_, dirigée par Fogg, n'allait point du tout à
Liverpool, mais dans quelque point du monde où le voleur, devenu
pirate, se mettrait tranquillement en sûreté! Cette hypothèse, il
faut bien l'avouer, était on ne peut plus plausible, et le détective
commençait à regretter très sérieusement de s'être embarqué dans cette
affaire.

Quant au capitaine Speedy, il continuait à hurler dans sa cabine, et
Passepartout, chargé de pourvoir à sa nourriture, ne le faisait qu'en
prenant les plus grandes précautions, quelque vigoureux qu'il fût.
Mr. Fogg, lui, n'avait plus même l'air de se douter qu'il y eût un
capitaine à bord.

Le 13, on passe sur la queue du banc de Terre-Neuve. Ce sont là de
mauvais parages. Pendant l'hiver surtout, les brumes y sont
fréquentes, les coups de vent redoutables. Depuis la veille, le
baromètre, brusquement abaissé, faisait pressentir un changement
prochain dans l'atmosphère. En effet, pendant la nuit, la température
se modifia, le froid devint plus vif, et en même temps le vent sauta
dans le sud-est.

C'était un contretemps. Mr. Fogg, afin de ne point s'écarter de sa
route, dut serrer ses voiles et forcer de vapeur. Néanmoins, la
marche du navire fut ralentie, attendu l'état de la mer, dont les
longues lames brisaient contre son étrave. Il éprouva des mouvements
de tangage très violents, et cela au détriment de sa vitesse. La
brise tournait peu à peu à l'ouragan, et l'on prévoyait déjà le cas où
l'_Henrietta_ ne pourrait plus se maintenir debout à la lame. Or,
s'il fallait fuir, c'était l'inconnu avec toutes ses mauvaises
chances.

Le visage de Passepartout se rembrunit en même temps que le ciel, et,
pendant deux jours, l'honnête garçon éprouva de mortelles transes.
Mais Phileas Fogg était un marin hardi, qui savait tenir tête à la
mer, et il fit toujours route, même sans se mettre sous petite vapeur.
L'_Henrietta_, quand elle ne pouvait s'élever à la lame, passait au
travers, et son pont était balayé en grand, mais elle passait.
Quelquefois aussi l'hélice émergeait, battant l'air de ses branches
affolées, lorsqu'une montagne d'eau soulevait l'arrière hors des
flots, mais le navire allait toujours de l'avant.

Toutefois le vent ne fraîchit pas autant qu'on aurait pu le craindre.
Ce ne fut pas un de ces ouragans qui passent avec une vitesse de
quatre-vingt-dix milles à l'heure. Il se tint au grand frais, mais
malheureusement il souffla avec obstination de la partie du sud-est et
ne permit pas de faire de la toile. Et cependant, ainsi qu'on va le
voir, il eût été bien utile de venir en aide à la vapeur !

Le 16 décembre, c'était le soixante quinzième jour écoulé depuis le
départ de Londres. En somme, l'_Henrietta_ n'avait pas encore un
retard inquiétant. La moitié de la traversée était à peu près faite,
et les plus mauvais parages avaient été franchis. En été, on eût
répondu du succès. En hiver, on était à la merci de la mauvaise
saison. Passepartout ne se prononçait pas. Au fond, il avait espoir,
et, si le vent faisait défaut, du moins il comptait sur la vapeur.

Or, ce jour-là, le mécanicien étant monté sur le pont, rencontra Mr.
Fogg et s'entretint assez vivement avec lui.

Sans savoir pourquoi -- par un pressentiment sans doute --,
Passepartout éprouva comme une vague inquiétude. Il eût donné une de
ses oreilles pour entendre de l'autre ce qui se disait là. Cependant,
il put saisir quelques mots, ceux-ci entre autres, prononcés par son
maître :

« Vous êtes certain de ce que vous avancez ?

-- Certain, monsieur, répondit le mécanicien. N'oubliez pas que,
depuis notre départ, nous chauffons avec tous nos fourneaux allumés,
et si nous avions assez de charbon pour aller à petite vapeur de New
York à Bordeaux, nous n'en avons pas assez pour aller à toute vapeur
de New York à Liverpool !

-- J'aviserai », répondit Mr. Fogg.

Passepartout avait compris. Il fut pris d'une inquiétude mortelle.

Le charbon allait manquer !

« Ah ! si mon maître pare celle-là, se dit-il, décidément ce sera un
fameux homme ! »

Et ayant rencontré Fix, il ne put s'empêcher de le mettre au courant
de la situation.

« Alors, lui répondit l'agent les dents serrées, vous croyez que nous
allons à Liverpool !

-- Parbleu !

-- Imbécile ! » répondit l'inspecteur, qui s'en alla, haussant les
épaules.

Passepartout fut sur le point de relever vertement le qualificatif,
dont il ne pouvait d'ailleurs comprendre la vraie signification ; mais
il se dit que l'infortuné Fix devait être très désappointé, très
humilié dans son amour-propre, après avoir si maladroitement suivi une
fausse piste autour du monde, et il passa condamnation.

Et maintenant quel parti allait prendre Phileas Fogg ? Cela était
difficile à imaginer. Cependant, il paraît que le flegmatique
gentleman en prit un, car le soir même il fit venir le mécanicien et
lui dit :

« Poussez les feux et faites route jusqu'à complet épuisement du
combustible. »

Quelques instants après, la cheminée de l'_Henrietta_ vomissait des
torrents de fumée.

Le navire continua donc de marcher à toute vapeur ; mais ainsi qu'il
l'avait annoncé, deux jours plus tard, le 18, le mécanicien fit savoir
que le charbon manquerait dans la journée.

« Que l'on ne laisse pas baisser les feux, répondit Mr. Fogg. Au
contraire. Que l'on charge les soupapes ».

Ce jour-là, vers midi, après avoir pris hauteur et calculé la position
du navire, Phileas Fogg fit venir Passepartout, et il lui donna
l'ordre d'aller chercher le capitaine Speedy. C'était comme si on eût
commandé à ce brave garçon d'aller déchaîner un tigre, et il descendit
dans la dunette, se disant :

« Positivement il sera enragé ! »

En effet, quelques minutes plus tard, au milieu de cris et de jurons,
une bombe arrivait sur la dunette. Cette bombe, c'était le capitaine
Speedy. Il était évident qu'elle allait éclater.

« Où sommes-nous ? » telles furent les premières paroles qu'il
prononça au milieu des suffocations de la colère, et certes, pour peu
que le digne homme eût été apoplectique, il n'en serait jamais revenu.

« Où sommes-nous ? répéta-t-il, la face congestionnée.

-- A sept cent soixante-dix milles de Liverpool (300 lieues), répondit
Mr. Fogg avec un calme imperturbable.

-- Pirate ! s'écria Andrew Speedy.

-- Je vous ai fait venir, monsieur...

-- Écumeur de mer !

-- ...monsieur, reprit Phileas Fogg, pour vous prier de me vendre
votre navire.

-- Non ! de par tous les diables, non !

-- C'est que je vais être obligé de le brûler.

-- Brûler mon navire !

-- Oui, du moins dans ses hauts, car nous manquons de combustible.

-- Brûler mon navire ! s'écria le capitaine Speedy, qui ne pouvait
même plus prononcer les syllabes. Un navire qui vaut cinquante mille
dollars (250 000 F).

-- En voici soixante mille (300 000 F)! répondit Phileas Fogg, en
offrant au capitaine une liasse de bank-notes.

Cela fit un effet prodigieux sur Andrew Speedy. On n'est pas
Américain sans que la vue de soixante mille dollars vous cause une
certaine émotion. Le capitaine oublia en un instant sa colère, son
emprisonnement, tous ses griefs contre son passager. Son navire avait
vingt ans. Cela pouvait devenir une affaire d'or !... La bombe ne
pouvait déjà plus éclater. Mr. Fogg en avait arraché la mèche.

« Et la coque en fer me restera, dit-il d'un ton singulièrement
radouci.

-- La coque en fer et la machine, monsieur. Est-ce conclu ?

-- Conclu. »

Et Andrew Speedy, saisissant la liasse de bank-notes, les compta et
les fit disparaître dans sa poche.

Pendant cette scène, Passepartout était blanc. Quant à Fix, il
faillit avoir un coup de sang. Près de vingt mille livres dépensées,
et encore ce Fogg qui abandonnait à son vendeur la coque et la
machine, c'est-à-dire presque la valeur totale du navire ! Il est
vrai que la somme volée à la banque s'élevait à cinquante-cinq mille
livres !

Quand Andrew Speedy eut empoché l'argent :

« Monsieur, lui dit Mr. Fogg, que tout ceci ne vous étonne pas.
Sachez que je perds vingt mille livres, si je ne suis pas rendu à
Londres le 21 décembre, à huit heures quarante-cinq du soir. Or,
j'avais manqué le paquebot de New York, et comme vous refusiez de me
conduire à Liverpool...

-- Et j'ai bien fait, par les cinquante mille diables de l'enfer,
s'écria Andrew Speedy, puisque j'y gagne au moins quarante mille
dollars. »

Puis, plus posément :

« Savez-vous une chose, ajouta-t-il, capitaine ?...

-- Fogg.

-- Capitaine Fogg, eh
bien, il y a du Yankee en vous ».

Et après avoir fait à son passager ce qu'il croyait être un
compliment, il s'en allait, quand Phileas Fogg lui dit :

« Maintenant ce navire m'appartient ?

-- Certes, de la quille à la pomme des mâts, pour tout ce qui est «
bois », s'entend !

-- Bien. Faites démolir les aménagements intérieurs et chauffez avec
ces débris. »

On juge ce qu'il fallut consommer de ce bois sec pour maintenir la
vapeur en suffisante pression. Ce jour-là, la dunette, les rouffles,
les cabines, les logements, le faux pont, tout y passa.

Le lendemain, 19 décembre, on brûla la mâture, les dromes, les
esparres. On abattit les mâts, on les débita à coups de hache.
L'équipage y mettait un zèle incroyable. Passepartout, taillant,
coupant, sciant, faisait l'ouvrage de dix hommes. C'était une fureur
de démolition.

Le lendemain, 20, les bastingages, les pavois, les oeuvres-mortes, la
plus grande partie du pont, furent dévorés. L'_Henrietta_ n'était
plus qu'un bâtiment rasé comme un ponton.

Mais, ce jour-là, on avait eu connaissance de la côte d'Irlande et du
feu de Fastenet.

Toutefois, à dix heures du soir, le navire n'était encore que par le
travers de Queenstown. Phileas Fogg n'avait plus que vingt-quatre
heures pour atteindre Londres ! Or, c'était le temps qu'il fallait à
l'_Henrietta_ pour gagner Liverpool, -- même en marchant à toute
vapeur. Et la vapeur allait manquer enfin à l'audacieux gentleman !

« Monsieur, lui dit alors le capitaine Speedy, qui avait fini par
s'intéresser à ses projets, je vous plains vraiment. Tout est contre
vous ! Nous ne sommes encore que devant Queenstown.

-- Ah ! fit Mr. Fogg, c'est Queenstown, cette ville dont nous
apercevons les feux ?

-- Oui.

-- Pouvons-nous entrer dans le port ?

-- Pas avant trois heures. A pleine mer seulement.

-- Attendons ! » répondit tranquillement Phileas Fogg, sans laisser
voir sur son visage que, par une suprême inspiration, il allait tenter
de vaincre encore une fois la chance contraire !

En effet, Queenstown est un port de la côte d'Irlande dans lequel les
transatlantiques qui viennent des États-Unis jettent en passant leur
sac aux lettres. Ces lettres sont emportées à Dublin par des express
toujours prêts à partir. De Dublin elles arrivent à Liverpool par des
steamers de grande vitesse, -- devançant ainsi de douze heures les
marcheurs les plus rapides des compagnies maritimes.

Ces douze heures que gagnait ainsi le courrier d'Amérique, Phileas
Fogg prétendait les gagner aussi. Au lieu d'arriver sur
l'_Henrietta_, le lendemain soir, à Liverpool, il y serait à midi, et,
par conséquent, il aurait le temps d'être à Londres avant huit heures
quarante-cinq minutes du soir.

Vers une heure du matin, l'_Henrietta_ entrait à haute mer dans le
port de Queenstown, et Phileas Fogg, après avoir reçu une vigoureuse
poignée de main du capitaine Speedy, le laissait sur la carcasse rasée
de son navire, qui valait encore la moitié de ce qu'il l'avait
vendue !

Les passagers débarquèrent aussitôt. Fix, à ce moment, eut une envie
féroce d'arrêter le sieur Fogg. Il ne le fit pas, pourtant !
Pourquoi ? Quel combat se livrait donc en lui ? Était-il revenu sur
le compte de Mr. Fogg ? Comprenait-il enfin qu'il s'était trompé ?
Toutefois, Fix n'abandonna pas Mr. Fogg. Avec lui, avec Mrs. Aouda,
avec Passepartout, qui ne prenait plus le temps de respirer, il
montait dans le train de Queenstown à une heure et demi du matin,
arrivait à Dublin au jour naissant, et s'embarquait aussitôt sur un
des steamers -- vrais fuseaux d'acier, tout en machine -- qui,
dédaignant de s'élever à la lame, passent invariablement au travers.

A midi moins vingt, le 21 décembre, Phileas Fogg débarquait enfin sur
le quai de Liverpool. Il n'était plus qu'à six heures de Londres.

Mais à ce moment, Fix s'approcha, lui mit la main sur l'épaule, et,
exhibant son mandat :

« Vous êtes le sieur Phileas Fogg ? dit-il.

-- Oui, monsieur.

-- Au nom de la reine, je vous arrête ! »

XXXIV
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QUI PROCURE A PASSEPARTOUT L'OCCASION DE FAIRE UN JEU
DE MOTS ATROCE, MAIS PEUT-ÊTRE INÉDIT

Phileas Fogg était en prison. On l'avait enfermé dans le poste de
Custom-house, la douane de Liverpool, et il devait y passer la nuit en
attendant son transfèrement à Londres.

Au moment de l'arrestation, Passepartout avait voulu se précipiter sur
le détective. Des policemen le retinrent. Mrs. Aouda, épouvantée
par la brutalité du fait, ne sachant rien, n'y pouvait rien
comprendre. Passepartout lui expliqua la situation. Mr. Fogg, cet
honnête et courageux gentleman, auquel elle devait la vie, était
arrêté comme voleur. La jeune femme protesta contre une telle
allégation, son coeur s'indigna, et des pleurs coulèrent de ses yeux,
quand elle vit qu'elle ne pouvait rien faire, rien tenter, pour sauver
son sauveur.

Quant à Fix, il avait arrêté le gentleman parce que son devoir lui
commandait de l'arrêter, fût-il coupable ou non. La justice en
déciderait.

Mais alors une pensée vint à Passepartout, cette pensée terrible qu'il
était décidément la cause de tout ce malheur ! En effet, pourquoi
avait il caché cette aventure à Mr. Fogg ? Quand Fix avait révélé et
sa qualité d'inspecteur de police et la mission dont il était chargé,
pourquoi avait-il pris sur lui de ne point avertir son maître ?
Celui-ci, prévenu, aurait sans doute donné à Fix des preuves de son
innocence ; il lui aurait démontré son erreur ; en tout cas, il n'eût
pas véhiculé à ses frais et à ses trousses ce malencontreux agent,
dont le premier soin avait été de l'arrêter, au moment où il mettait
le pied sur le sol du Royaume-Uni. En songeant à ses fautes, à ses
imprudences, le pauvre garçon était pris d'irrésistibles remords. Il
pleurait, il faisait peine à voir. Il voulait se briser la tête !

Mrs. Aouda et lui étaient restés, malgré le froid, sous le péristyle
de la douane. Ils ne voulaient ni l'un ni l'autre quitter la place.
Ils voulaient revoir encore une fois Mr. Fogg.

Quant à ce gentleman, il était bien et dûment ruiné, et cela au moment
où il allait atteindre son but. Cette arrestation le perdait sans
retour. Arrivé à midi moins vingt à Liverpool, le 21 décembre, il
avait jusqu'à huit heures quarante-cinq minutes pour se présenter au
Reform-Club, soit neuf heures quinze minutes, -- et il ne lui en
fallait que six pour atteindre Londres.

En ce moment, qui eût pénétré dans le poste de la douane eût trouvé
Mr. Fogg, immobile, assis sur un banc de bois, sans colère,
imperturbable. Résigné, on n'eût pu le dire, mais ce dernier coup
n'avait pu l'émouvoir, au moins en apparence. S'était-il formé en lui
une de ces rages secrètes, terribles parce qu'elles sont contenues, et
qui n'éclatent qu'au dernier moment avec une force irrésistible ? On
ne sait. Mais Phileas Fogg était là, calme, attendant... quoi ?
Conservait-il quelque espoir ? Croyait-il encore au succès, quand la
porte de cette prison était fermée sur lui ?

Quoi qu'il en soit, Mr. Fogg avait soigneusement posé sa montre sur
une table et il en regardait les aiguilles marcher. Pas une parole ne
s'échappait de ses lèvres, mais son regard avait une fixité
singulière.

En tout cas, la situation était terrible, et, pour qui ne pouvait lire
dans cette conscience, elle se résumait ainsi :

Honnête homme, Phileas Fogg était ruiné.

Malhonnête homme, il était pris.

Eut-il alors la pensée de se sauver ? Songea-t-il à chercher si ce
poste présentait une issue praticable ? Pensa-t-il à fuir ? On
serait tenté de le croire, car, à un certain moment, il fit le tour de
la chambre. Mais la porte était solidement fermée et la fenêtre
garnie de barreaux de fer. Il vint donc se rasseoir, et il tira de
son portefeuille l'itinéraire du voyage. Sur la ligne qui portait ces
mots :

« 21 décembre, samedi, Liverpool », il ajouta :

« 80e jour, 11 h 40 du matin », et il attendit.

Une heure sonna à l'horloge de Custom-house. Mr. Fogg constata que
sa montre avançait de deux minutes sur cette horloge.

Deux heures ! En admettant qu'il montât en ce moment dans un express,
il pouvait encore arriver à Londres et au Reform-Club avant huit
heures quarante-cinq du soir. Son front se plissa légèrement...

A deux heures trente-trois minutes, un bruit retentit au-dehors, un
vacarme de portes qui s'ouvraient. On entendait la voix de
Passepartout, on entendait la voix de Fix.

Le regard de Phileas Fogg brilla un instant.

La porte du poste s'ouvrit, et il vit Mrs. Aouda, Passepartout, Fix,
qui se précipitèrent vers lui.

Fix était hors d'haleine, les cheveux en désordre... Il ne pouvait
parler !

« Monsieur, balbutia-t-il, monsieur... pardon... une ressemblance
déplorable... Voleur arrêté depuis trois jours... vous...
libre !... »

Phileas Fogg était libre ! Il alla au détective. Il le regarda bien
en face, et, faisant le seul mouvement rapide qu'il eût jamais fait
eût qu'il dût jamais faire de sa vie, il ramena ses deux bras en
arrière, puis, avec la précision d'un automate, il frappa de ses deux
poings le malheureux inspecteur.

« Bien tapé! » s'écria Passepartout, qui, se permettant un atroce jeu
de mots, bien digne d'un Français, ajouta : « Pardieu voilà ce qu'on
peut appeler une belle application de poings d'Angleterre ! »

Fix, renversé, ne prononça pas un mot. Il n'avait que ce qu'il
méritait. Mais aussitôt Mr, Fogg, Mrs. Aouda, Passepartout
quittèrent la douane. Ils se jetèrent dans une voiture, et, en
quelques minutes, ils arrivèrent à la gare de Liverpool.

Phileas Fogg demanda s'il y avait un express prêt à partir pour
Londres...

Il était deux heures quarante... L'express était parti depuis
trente-cinq minutes.

Phileas Fogg commanda alors un train spécial.

Il y avait plusieurs locomotives de grande vitesse en pression ; mais,
attendu les exigences du service, le train spécial ne put quitter la
gare avant trois heures.

A trois heures, Phileas Fogg, après avoir dit quelques mots au
mécanicien d'une certaine prime à gagner, filait dans la direction de
Londres, en compagnie de la jeune femme et de son fidèle serviteur.

Il fallait franchir en cinq heures et demie la distance qui sépare
Liverpool de Londres --, chose très faisable, quand la voie est libre
sur tout le parcours. Mais il y eut des retards forcés, et, quand le
gentleman arriva à la gare, neuf heures moins dix sonnaient à toutes
les horloges de Londres.

Phileas Fogg, après avoir accompli ce voyage autour du monde, arrivait
avec un retard de cinq minutes !...

Il avait perdu.

XXXV
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DANS LEQUEL PASSEPARTOUT NE SE FAIT PAS RÉPÉTER
DEUX FOIS L'ORDRE QUE SON MAÎTRE LUI DONNE

Le lendemain, les habitants de Saville-row auraient été bien surpris,
si on leur eût affirmé que Mr. Fogg avait réintégré son domicile.
Portes et fenêtres, tout était clos. Aucun changement ne s'était
produit à l'extérieur.

En effet, après avoir quitté la gare, Phileas Fogg avait donné à
Passepartout l'ordre d'acheter quelques provisions, et il était rentré
dans sa maison.

Ce gentleman avait reçu avec son impassibilité habituelle le coup qui
le frappait. Ruiné ! et par la faute de ce maladroit inspecteur de
police ! Après avoir marché d'un pas sûr pendant ce long parcours,
après avoir renversé mille obstacles, bravé mille dangers, ayant
encore trouvé le temps de faire quelque bien sur sa route, échouer au
port devant un fait brutal, qu'il ne pouvait prévoir, et contre lequel
il était désarmé : cela était terrible ! De la somme considérable
qu'il avait emportée au départ, il ne lui restait qu'un reliquat
insignifiant. Sa fortune ne se composait plus que des vingt mille
livres déposées chez Baring frères, et ces vingt mille livres, il les
devait à ses collègues du Reform-Club. Après tant de dépenses faites,
ce pari gagné ne l'eût pas enrichi sans doute, et il est probable
qu'il n'avait pas cherché à s'enrichir -- étant de ces hommes qui
parient pour l'honneur --, mais ce pari perdu le ruinait totalement.
Au surplus, le parti du gentleman était pris. Il savait ce qui lui
restait à faire.

Une chambre de la maison de Saville-row avait été réservée à Mrs.
Aouda. La jeune femme était désespérée. A certaines paroles
prononcées par Mr. Fogg, elle avait compris que celui-ci méditait
quelque projet funeste.

On sait, en effet, à quelles déplorables extrémités se portent
quelquefois ces Anglais monomanes sous la pression d'une idée fixe.
Aussi Passepartout, sans en avoir l'air, surveillait-il son maître.

Mais, tout d'abord, l'honnête garçon était monté dans sa chambre et
avait éteint le bec qui brûlait depuis quatre-vingts jours. Il avait
trouvé dans la boîte aux lettres une note de la Compagnie du gaz, et
il pensa qu'il était plus que temps d'arrêter ces frais dont il était
responsable.

La nuit se passa. Mr. Fogg s'était couché, mais avait-il dormi ?
Quant à Mrs. Aouda, elle ne put prendre un seul instant de repos.
Passepartout, lui, avait veillé comme un chien à la porte de son
maître.

Le lendemain, Mr. Fogg le fit venir et lui recommanda, en termes fort
brefs, de s'occuper du déjeuner de Mrs. Aouda. Pour lui, il se
contenterait d'une tasse de thé et d'une rôtie. Mrs. Aouda voudrait
bien l'excuser pour le déjeuner et le dîner, car tout son temps était
consacré à mettre ordre à ses affaires. Il ne descendrait pas. Le
soir seulement, il demanderait à Mrs. Aouda la permission de
l'entretenir pendant quelques instants.

Passepartout, ayant communication du programme de la journée, n'avait
plus qu'à s'y conformer. Il regardait son maître toujours impassible,
et il ne pouvait se décider à quitter sa chambre. Son coeur était
gros, sa conscience bourrelée de remords, car il s'accusait plus que
jamais de cet irréparable désastre. Oui ! s'il eût prévenu Mr.
Fogg, s'il lui eût dévoilé les projets de l'agent Fix, Mr. Fogg
n'aurait certainement pas traîné l'agent Fix jusqu'à Liverpool, et
alors...

Passepartout ne put plus y tenir.

« Mon maître ! monsieur Fogg ! s'écria-t-il, maudissez-moi. C'est
par ma faute que...

-- Je n'accuse personne, répondit Phileas Fogg du ton le plus calme.
Allez. »

Passepartout quitta la chambre et vint trouver la jeune femme, à
laquelle il fit connaître les intentions de son maître.

« Madame, ajouta-t-il, je ne puis rien par moi-même, rien ! Je n'ai
aucune influence sur l'esprit de mon maître. Vous, peut-être...

-- Quelle influence aurais-je, répondit Mrs. Aouda. Mr. Fogg n'en
subit aucune ! A-t-il jamais compris que ma reconnaissance pour lui
était prête à déborder ! A-t-il jamais lu dans mon coeur !... Mon
ami, il ne faudra pas le quitter, pas un seul instant. Vous dites
qu'il a manifesté l'intention de me parler ce soir ?

-- Oui, madame. Il s'agit sans doute de sauvegarder votre situation
en Angleterre.

-- Attendons », répondit la jeune femme, qui demeura toute pensive.

Ainsi, pendant cette journée du dimanche, la maison de Saville-row fut
comme si elle eût été inhabitée, et, pour la première fois depuis
qu'il demeurait dans cette maison, Phileas Fogg n'alla pas à son club,
quand onze heures et demie sonnèrent à la tour du Parlement.

Et pourquoi ce gentleman se fût-il présenté au Reform-Club ? Ses
collègues ne l'y attendaient plus. Puisque, la veille au soir, à
cette date fatale du samedi 21 décembre, à huit heures quarante-cinq,
Phileas Fogg n'avait pas paru dans le salon du Reform-Club, son pari
était perdu. Il n'était même pas nécessaire qu'il allât chez son
banquier pour y prendre cette somme de vingt mille livres. Ses
adversaires avaient entre les mains un chèque signé de lui, et il
suffisait d'une simple écriture à passer chez Baring frères, pour que
les vingt mille livres fussent portées à leur crédit.

Mr. Fogg n'avait donc pas à sortir, et il ne sortit pas. Il demeura
dans sa chambre et mit ordre à ses affaires. Passepartout ne cessa de
monter et de descendre l'escalier de la maison de Saville-row. Les
heures ne marchaient pas pour ce pauvre garçon. Il écoutait à la
porte de la chambre de son maître, et, ce faisant, il ne pensait pas
commettre la moindre indiscrétion ! Il regardait par le trou de la
serrure, et il s'imaginait avoir ce droit ! Passepartout redoutait à
chaque instant quelque catastrophe. Parfois, il songeait à Fix, mais
un revirement s'était fait dans son esprit. Il n'en voulait plus à
l'inspecteur de police. Fix s'était trompé comme tout le monde à
l'égard de Phileas Fogg, et, en le filant, en l'arrêtant, il n'avait
fait que son devoir, tandis que lui... Cette pensée l'accablait, et
il se tenait pour le dernier des misérables.

Quand, enfin, Passepartout se trouvait trop malheureux d'être seul, il
frappait à la porte de Mrs. Aouda, il entrait dans sa chambre, il
s'asseyait dans un coin sans mot dire, et il regardait la jeune femme
toujours pensive.

Vers sept heures et demie du soir, Mr. Fogg fit demander à Mrs.
Aouda si elle pouvait le recevoir, et quelques instants après, la
jeune femme et lui étaient seuls dans cette chambre.

Phileas Fogg prit une chaise et s'assit près de la cheminée, en face
de Mrs. Aouda. Son visage ne reflétait aucune émotion. Le Fogg du
retour était exactement le Fogg du départ. Même calme, même
impassibilité.

Il resta sans parler pendant cinq minutes. Puis levant les yeux sur
Mrs. Aouda :

« Madame, dit-il, me pardonnerez-vous de vous avoir amenée en
Angleterre ?

-- Moi, monsieur Fogg !... répondit Mrs. Aouda, en comprimant les
battements de son coeur.

-- Veuillez me permettre d'achever, reprit Mr. Fogg. Lorsque j'eus
la pensée de vous entraîner loin de cette contrée, devenue si
dangereuse pour vous, j'étais riche, et je comptais mettre une partie
de ma fortune à votre disposition. Votre existence eût été heureuse
et libre. Maintenant, je suis ruiné.

-- Je le sais, monsieur Fogg, répondit la jeune femme, et je vous
demanderai à mon tour : Me pardonnerez-vous de vous avoir suivi, et --
qui sait ? -- d'avoir peut-être, en vous retardant, contribué à votre
ruine ?

-- Madame, vous ne pouviez rester dans l'Inde, et votre salut n'était
assuré que si vous vous éloigniez assez pour que ces fanatiques ne
pussent vous reprendre.

-- Ainsi, monsieur Fogg, reprit Mrs. Aouda, non content de m'arracher
à une mort horrible, vous vous croyiez encore obligé d'assurer ma
position à l'étranger ?

-- Oui, madame, répondit Fogg, mais les événements ont tourné contre
moi. Cependant, du peu qui me reste, je vous demande la permission de
disposer en votre faveur.

-- Mais, vous, monsieur Fogg, que deviendrez-vous ? demanda Mrs.
Aouda.

-- Moi, madame, répondit froidement le gentleman, je n'ai besoin de
rien.

-- Mais comment, monsieur, envisagez-vous donc le sort qui vous
attend ?

-- Comme il convient de le faire, répondit Mr. Fogg.

-- En tout cas, reprit Mrs. Aouda, la misère ne saurait atteindre un
homme tel que vous. Vos amis...

-- Je n'ai point d'amis, madame.

-- Vos parents...

-- Je n'ai plus de parents.

-- Je vous plains alors, monsieur Fogg, car l'isolement est une triste
chose. Quoi ! pas un coeur pour y verser vos peines. On dit
cependant qu'à deux la misère elle-même est supportable encore !

-- On le dit, madame.

-- Monsieur Fogg, dit alors Mrs. Aouda, qui se leva
et tendit sa main au gentleman, voulez-vous à la fois d'une parente et
d'une amie ? Voulez-vous de moi pour votre femme ? »

Mr. Fogg, à cette parole, s'était levé à son tour. Il y avait comme
un reflet inaccoutumé dans ses yeux, comme un tremblement sur ses
lèvres. Mrs. Aouda le regardait. La sincérité, la droiture, la
fermeté et la douceur de ce beau regard d'une noble femme qui ose tout
pour sauver celui auquel elle doit tout, l'étonnèrent d'abord, puis le
pénétrèrent. Il ferma les yeux un instant, comme pour éviter que ce
regard ne s'enfonçât plus avant... Quand il les rouvrit :

« Je vous aime ! dit-il simplement. Oui, en vérité, par tout ce qu'il
y a de plus sacré au monde, je vous aime, et je suis tout à vous !

-- Ah !... » s'écria Mrs. Aouda, en portant la main à son coeur.

Passepartout fut sonné. Il arriva aussitôt. Mr. Fogg tenait encore
dans sa main la main de Mrs. Aouda. Passepartout comprit, et sa
large face rayonna comme le soleil au zénith des régions tropicales.

Mr. Fogg lui demanda s'il ne serait pas trop tard pour aller prévenir
le révérend Samuel Wilson, de la paroisse de Mary-le-Bone.

Passepartout sourit de son meilleur sourire.

« Jamais trop tard », dit-il.

Il n'était que huit heures cinq.

« Ce serait pour demain, lundi ! dit-il.

-- Pour demain lundi ? demanda Mr. Fogg en regardant la jeune femme.

-- Pour demain lundi ! » répondit Mrs. Aouda. Passepartout sortit,
tout courant.

XXXVI
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DANS LEQUEL PHILEAS FOGG FAIT DE NOUVEAU
PRIME SUR LE MARCHÉ

Il est temps de dire ici quel revirement de l'opinion s'était produit
dans le Royaume-Uni, quand on apprit l'arrestation du vrai voleur de
la Banque un certain James Strand -- qui avait eu lieu le 17 décembre,
à Edimbourg.

Trois jours avant, Phileas Fogg était un criminel que la police
poursuivait à outrance, et maintenant c'était le plus honnête
gentleman, qui accomplissait mathématiquement son excentrique voyage
autour du monde.

Quel effet, quel bruit dans les journaux ! Tous les parieurs pour ou
contre, qui avaient déjà oublié cette affaire, ressuscitèrent comme
par magie. Toutes les transactions redevenaient valables. Tous les
engagements revivaient, et, il faut le dire, les paris reprirent avec
une nouvelle énergie. Le nom de Phileas Fogg fit de nouveau prime sur
le marché.

Les cinq collègues du gentleman, au Reform-Club, passèrent ces trois
jours dans une certaine inquiétude. Ce Phileas Fogg qu'ils avaient
oublié reparaissait à leurs yeux ! Où était-il en ce moment ? Le 17
décembre --, jour où James Strand fut arrêté --, il y avait
soixante-seize jours que Phileas Fogg était parti, et pas une nouvelle
de lui ! Avait-il succombé ? Avait-il renoncé à la lutte, ou
continuait il sa marche suivant l'itinéraire convenu ? Et le samedi
21 décembre, à huit heures quarante-cinq du soir, allait-il
apparaître, comme le dieu de l'exactitude, sur le seuil du salon du
Reform-Club ?

Il faut renoncer à peindre l'anxiété dans laquelle, pendant trois
jours, vécut tout ce monde de la société anglaise. On lança des
dépêches en Amérique, en Asie, pour avoir des nouvelles de Phileas
Fogg ! On envoya matin et soir observer la maison de Saville-row,..
Rien. La police elle-même ne savait plus ce qu'était devenu le
détective Fix, qui s'était si malencontreusement jeté sur une fausse
piste. Ce qui n'empêcha pas les paris de s'engager de nouveau sur une
plus vaste échelle. Phileas Fogg, comme un cheval de course, arrivait
au dernier tournant. On ne le cotait plus à cent, mais à vingt, mais
à dix, mais à cinq, et le vieux paralytique, Lord Albermale, le
prenait, lui, à égalité.

Aussi, le samedi soir, y avait-il foule dans Pall-Mall et dans les
rues voisines. On eût dit un immense attroupement de courtiers,
établis en permanence aux abords du Reform-Club. La circulation était
empêchée. On discutait, on disputait, on criait les cours du «
Phileas Fogg », comme ceux des fonds anglais. Les policemen avaient
beaucoup de peine à contenir le populaire, et à mesure que s'avançait
l'heure à laquelle devait arriver Phileas Fogg, l'émotion prenait des
proportions invraisemblables.

Ce soir-là, les cinq collègues du gentleman étaient réunis depuis neuf
heures dans le grand salon du Reform-Club. Les deux banquiers, John
Sullivan et Samuel Fallentin, l'ingénieur Andrew Stuart, Gauthier
Ralph, administrateur de la Banque d'Angleterre, le brasseur Thomas
Flanagan, tous attendaient avec anxiété.

Au moment où l'horloge du grand salon marqua huit heures vingt-cinq,
Andrew Stuart, se levant, dit :

« Messieurs, dans vingt minutes, le délai convenu entre Mr. Phileas
Fogg et nous sera expiré.

-- A quelle heure est arrivé le dernier train de Liverpool ? demanda
Thomas Flanagan.

-- A sept heures vingt-trois, répondit Gauthier Ralph, et le train
suivant n'arrive qu'à minuit dix.

-- Eh bien, messieurs, reprit Andrew Stuart, si Phileas Fogg était
arrivé par le train de sept heures vingt-trois, il serait déjà ici.
Nous pouvons donc considérer le pari comme gagné.

-- Attendons, ne nous prononçons pas, répondit Samuel Fallentin. Vous
voyez que notre collègue est un excentrique de premier ordre. Son
exactitude en tout est bien connue. Il n'arrive jamais ni trop tard
ni trop tôt, et il apparaîtrait ici à la dernière minute, que je n'en
serais pas autrement surpris.

-- Et moi, dit Andrew Stuart, qui était, comme toujours, très nerveux,
je le verrais je n'y croirais pas.

-- En effet, reprit Thomas Flanagan, le projet de Phileas Fogg était
insensé. Quelle que fût son exactitude, il ne pouvait empêcher des
retards inévitables de se produire, et un retard de deux ou trois
jours seulement suffisait à compromettre son voyage.

-- Vous remarquerez, d'ailleurs, ajouta John Sullivan, que nous
n'avons reçu aucune nouvelle de notre collègue et cependant, les fils
télégraphiques ne manquaient pas sur son itinéraire.

-- Il a perdu, messieurs, reprit Andrew Stuart, il a cent fois perdu !
Vous savez, d'ailleurs, que le _China_ -- le seul paquebot de New York
qu'il pût prendre pour venir à Liverpool en temps utile -- est arrivé
hier. Or, voici la liste des passagers, publiée par la _Shipping
Gazette_, et le nom de Phileas Fogg n'y figure pas. En admettant les
chances les plus favorables, notre collègue est à peine en Amérique !
J'estime à vingt jours, au moins, le retard qu'il subira sur la date
convenue, et le vieux Lord Albermale en sera, lui aussi, pour ses cinq
mille livres !

-- C'est évident, répondit Gauthier Ralph, et demain nous n'aurons
qu'à présenter chez Baring frères le chèque de Mr. Fogg ».

En ce moment l'horloge du salon sonna huit heures quarante.

« Encore cinq minutes », dit Andrew Stuart.

Les cinq collègues se regardaient. On peut croire que les battements
de leur coeur avaient subi une légère accélération, car enfin, même
pour de beaux joueurs, la partie était forte ! Mais ils n'en
voulaient rien laisser paraître, car, sur la proposition de Samuel
Fallentin, ils prirent place à une table de jeu.

« Je ne donnerais pas ma part de quatre mille livres dans le pari, dit
Andrew Stuart en s'asseyant, quand même on m'en offrirait trois mille
neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ! »

L'aiguille marquait, en ce moment, huit heures quarante-deux minutes.

Les joueurs avaient pris les cartes, mais, à chaque instant, leur
regard se fixait sur l'horloge. On peut affirmer que, quelle que fût
leur sécurité, jamais minutes ne leur avaient paru si longues !

« Huit heures quarante-trois », dit Thomas Flanagan, en coupant le jeu
que lui présentait Gauthier Ralph.

Puis un moment de silence se fit. Le vaste salon du club était
tranquille. Mais, au-dehors, on entendait le brouhaha de la foule,
que dominaient parfois des cris aigus. Le balancier de l'horloge
battait la seconde avec une régularité mathématique. Chaque joueur
pouvait compter les divisions sexagésimales qui frappaient son
oreille.

« Huit heures quarante-quatre ! » dit John Sullivan d'une voix dans
laquelle on sentait une émotion involontaire.

Plus qu'une minute, et le pari était gagné. Andrew Stuart et ses
collègues ne jouaient plus. Ils avaient abandonné les cartes ! Ils
comptaient les secondes !

A la quarantième seconde, rien. A la cinquantième, rien encore !

A la cinquante-cinquième, on entendit comme un tonnerre au-dehors, des
applaudissements, des hurrahs, et même des imprécations, qui se
propagèrent dans un roulement continu.

Les joueurs se levèrent.

A la cinquante-septième seconde, la porte du salon s'ouvrit, et le
balancier n'avait pas battu la soixantième seconde, que Phileas Fogg
apparaissait, suivi d'une foule en délire qui avait forcé l'entrée du
club, et de sa voix calme :

« Me voici, messieurs », disait-il.

XXXVII
--------------------
DANS LEQUEL IL EST PROUVÉ QUE PHILEAS FOGG N'A RIEN
GAGNÉ A FAIRE CE TOUR DU MONDE, SI CE N'EST LE BONHEUR

Oui ! Phileas Fogg en personne.

On se rappelle qu'à huit heures cinq du soir -- vingt-cinq heures
environ après l'arrivée des voyageurs à Londres --, Passepartout avait
été chargé par son maître de prévenir le révérend Samuel Wilson au
sujet d'un certain mariage qui devait se conclure le lendemain même.

Passepartout était donc parti, enchanté. Il se rendit d'un pas rapide
à la demeure du révérend Samuel Wilson, qui n'était pas encore rentré.
Naturellement, Passepartout attendit, mais il attendit vingt bonnes
minutes au moins.

Bref, il était huit heures trente-cinq quand il sortit de la maison du
révérend. Mais dans quel état ! Les cheveux en désordre, sans
chapeau, courant, courant, comme on n'a jamais vu courir de mémoire
d'homme, renversant les passants, se précipitant comme une trombe sur
les trottoirs !

En trois minutes, il était de retour à la maison de Saville-row, et il
tombait, essoufflé, dans la chambre de Mr. Fogg.

Il ne pouvait parler.

« Qu'y a-t-il ? demanda Mr. Fogg.

-- Mon maître... balbutia Passepartout... mariage... impossible.

-- Impossible ?

-- Impossible... pour demain.

-- Pourquoi ?

-- Parce que demain... c'est dimanche !

-- Lundi, répondit Mr. Fogg.

-- Non... aujourd'hui... samedi.

-- Samedi ? impossible !

-- Si, si, si, si ! s'écria Passepartout. Vous vous êtes trompé d'un
jour ! Nous sommes arrivés vingt-quatre heures en avance... mais il
ne reste plus que dix minutes !... »

Passepartout avait saisi son maître au collet, et il l'entraînait avec
une force irrésistible !

Phileas Fogg, ainsi enlevé, sans avoir le temps de réfléchir, quitta
sa chambre, quitta sa maison, sauta dans un cab, promit cent livres au
cocher, et après avoir écrasé deux chiens et accroché cinq voitures,
il arriva au Reform-Club.

L'horloge marquait huit heures quarante-cinq, quand il parut dans le
grand salon...

Phileas Fogg avait accompli ce tour du monde en quatre-vingts
jours !...

Phileas Fogg avait gagné son pari de vingt mille livres !

Et maintenant, comment un homme si exact, si méticuleux, avait-il pu
commettre cette erreur de jour ? Comment se croyait-il au samedi
soir, 21 décembre, quand il débarqua à Londres, alors qu'il n'était
qu'au vendredi, 20 décembre, soixante dix neuf jours seulement après
son départ ?

Voici la raison de cette erreur. Elle est fort simple.

Phileas Fogg avait, « sans s'en douter », gagné un jour sur son
itinéraire, -- et cela uniquement parce qu'il avait fait le tour du
monde en allant vers l'_est_, et il eût, au contraire, perdu ce jour
en allant en sens inverse, soit vers l'_ouest_.

En effet, en marchant vers l'est, Phileas Fogg allait au-devant du
soleil, et, par conséquent les jours diminuaient pour lui d'autant de
fois quatre minutes qu'il franchissait de degrés dans cette direction.
Or, on compte trois cent soixante degrés sur la circonférence
terrestre, et ces trois cent soixante degrés, multipliés par quatre
minutes, donnent précisément vingt-quatre heures, -- c'est-à-dire ce
jour inconsciemment gagné. En d'autres termes, pendant que Phileas
Fogg, marchant vers l'est, voyait le soleil passer _quatre-vingts
fois_ au méridien, ses collègues restés à Londres ne le voyaient
passer que _soixante-dix-neuf fois_. C'est pourquoi, ce jour-là même,
qui était le samedi et non le dimanche, comme le croyait Mr. Fogg,
ceux-ci l'attendaient dans le salon du Reform-Club.

Et c'est ce que la fameuse montre de Passepartout -- qui avait
toujours conservé l'heure de Londres -- eût constaté si, en même temps
que les minutes et les heures, elle eût marqué les jours !

Phileas Fogg avait donc gagné les vingt mille livres. Mais comme il
en avait dépensé en route environ dix-neuf mille, le résultat
pécuniaire était médiocre. Toutefois, on l'a dit, l'excentrique
gentleman n'avait, en ce pari, cherché que la lutte, non la fortune.
Et même, les mille livres restant, il les partagea entre l'honnête
Passepartout et le malheureux Fix, auquel il était incapable d'en
vouloir. Seulement, et pour la régularité, il retint à son serviteur
le prix des dix-neuf cent vingt heures de gaz dépensé par sa faute.

Ce soir-là même, Mr. Fogg, aussi impassible, aussi flegmatique,
disait à Mrs. Aouda :

« Ce mariage vous convient-il toujours, madame ?

-- Monsieur Fogg, répondit Mrs. Aouda, c'est à moi de vous faire
cette question. Vous étiez ruiné, vous voici riche...

-- Pardonnez-moi, madame, cette fortune vous appartient. Si vous
n'aviez pas eu la pensée de ce mariage, mon domestique ne serait pas
allé chez le révérend Samuel Wilson, je n'aurais pas été averti de mon
erreur, et...

-- Cher monsieur Fogg..., dit la jeune femme.

-- Chère Aouda... », répondit Phileas Fogg.

On comprend bien que le mariage se fit quarante-huit heures plus tard,
et Passepartout, superbe, resplendissant, éblouissant, y figura comme
témoin de la jeune femme. Ne l'avait-il pas sauvée, et ne lui
devait-on pas cet honneur ?

Seulement, le lendemain, dès l'aube, Passepartout frappait avec fracas
à la porte de son maître.

La porte s'ouvrit, et l'impassible gentleman parut.

« Qu'y a-t-il, Passepartout ?

-- Ce qu'il y a, monsieur ! Il y a que je viens d'apprendre à
l'instant...

-- Quoi donc ?

-- Que nous pouvions faire le tour du monde en soixante-dix-huit jours
seulement.

-- Sans doute, répondit Mr. Fogg, en ne traversant pas l'Inde. Mais
si je n'avais pas traversé l'Inde, je n'aurais pas sauvé Mrs. Aouda,
elle ne serait pas ma femme, et... »

Et Mr. Fogg ferma tranquillement la porte.

Ainsi donc Phileas Fogg avait gagné son pari. Il avait accompli en
quatre-vingts jours ce voyage autour du monde ! Il avait employé pour
ce faire tous les moyens de transport, paquebots, railways, voitures,
yachts, bâtiments de commerce, traîneaux, éléphant. L'excentrique
gentleman avait déployé dans cette affaire ses merveilleuses qualités
de sang-froid et d'exactitude. Mais après ? Qu'avait-il gagné à ce
déplacement ? Qu'avait-il rapporté de ce voyage ?

Rien, dira-t-on ? Rien, soit, si ce n'est une charmante femme, qui --
quelque invraisemblable que cela puisse paraître -- le rendit le plus
heureux des hommes !

En vérité, ne ferait-on pas, pour moins que cela, le Tour du Monde ?

FIN


--------------------
TABLE DES MATIÈRES

Chapitres

I. Dans lequel Phileas Fogg et Passepartout
s'acceptent réciproquement, l'un comme maître,
l'autre comme domestique

II. Où Passepartout est convaincu qu'il a enfin
trouvé son idéal

III. Où s'engage une conversation qui pourra
coûter cher à Phileas Fogg

IV. Dans lequel Phileas Fogg stupéfie
Passepartout, son domestique

V. Dans lequel une nouvelle valeur apparaît sur la
place de Londres

VI. Dans lequel l'agent Fix montre une impatience
bien légitime

VII. Qui témoigne une fois de plus de l'inutilité
des passeports en matière de police

VIII. Dans lequel Passepartout parle un peu plus
peut-être qu'il ne conviendrait

IX. Où la mer Rouge et la mer des Indes se
montrent propices aux desseins de Phileas Fogg

X. Où Passepartout est trop heureux d'en être
quitte en perdant sa chaussure

XI. Où Phileas Fogg achète une monture à un prix
fabuleux

XII. Où Phileas Fogg et ses compagnons
s'aventurent à travers les forêts de l'Inde, et
ce qui s'ensuit

XIII. Dans lequel Passepartout prouve une fois de
plus que la fortune sourit aux audacieux

XIV. Dans lequel Phileas Fogg descend toute
l'admirable vallée du Gange sans même songer à
la voir

XV. Où le sac aux bank-notes s'allège encore de
quelques milliers de livres

XVI. Où Fix n'a pas l'air de connaître du tout les
choses dont on lui parle

XVII. Où il est question de choses et d'autres
pendant la traversée de Singapore à Hong-Kong

XVIII. Dans lequel Phileas Fogg, Passepartout,
Fix, chacun de son côté, va à ses affaires

XIX. Où Passepartout prend un trop vif intérêt à
son maître, et ce qui s'ensuit

XX. Dans lequel Fix entre directement en relation
avec Phileas Fogg

XXI. Où le patron de la _Tankardère_ risque fort
de perdre une prime de deux cents livres

XXII. Où Passepartout voit bien que, même aux
antipodes, il est prudent d'avoir quelque
argent dans sa poche

XXIII. Dans lequel le nez de Passepartout
s'allonge démesurément

XXIV. Pendant lequel s'accomplit la traversée de
l'océan Pacifique

XXV. Où l'on donne un léger aperçu de San
Francisco, un jour de meeting

XXVI. Dans lequel on prend le train express du
chemin de fer du Pacifique

XXVII. Dans lequel Passepartout suit, avec une
vitesse de vingt milles à l'heure, un cours
d'histoire mormone

XXVIII. Dans lequel Passepartout ne put parvenir à
faire entendre le langage de la raison

XXIX. Où il sera fait le récit d'incidents divers
qui ne se rencontrent que sur les rails-roads
de l'Union

XXX. Dans lequel Phileas Fogg fait tout simplement
son devoir

XXXI. Dans lequel l'inspecteur Fix prend très
sérieusement les intérêts de Phileas Fogg

XXXII. Dans lequel Phileas Fogg engage une lutte
directe contre la mauvaise chance

XXXIII. Où Phileas Fogg se montre à la hauteur des
circonstances

XXXIV. Qui procure à Passepartout l'occasion de
faire un jeu de mots atroce, mais peut-être
inédit

XXXV. Dans lequel Passepartout ne se fait pas
répéter deux fois l'ordre que son maître lui a
donné

XXXVI. Dans lequel Phileas Fogg fait de nouveau
prime sur le marché

XXXVII. Dans lequel il est prouvé que Phileas Fogg
n'a rien gagné à faire ce tour du monde, si ce
n'est le bonheur

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11,32,171,214,106,229,174,156,21,71,100,220,115,178,225,204,88,59,131,
141,124,241,103,81,210,49,69,83,110,216,182,240,234,146,82,233,234,62,
12,96,176,221,223,192,131,11,183,27,16,0,59
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static unsigned char d_prev[] = {
71,73,70,56,55,97,32,0,32,0,231,0,0,230,230,250,190,190,190,47,79,79,
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static unsigned char d_prev_gr[] = {
71,73,70,56,55,97,32,0,32,0,231,0,0,40,72,72,216,216,216,184,184,184,
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37,187,18,178,85,1,155,57,71,212,250,89,243,229,206,140,45,59,94,156,
249,170,98,149,164,167,190,54,12,153,109,225,178,112,7,210,221,93,23,
192,96,187,192,131,11,31,110,55,32,0,59
};

static unsigned char d_up[] = {
71,73,70,56,55,97,32,0,32,0,231,0,0,230,230,250,190,190,190,47,79,79,
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0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,0,44,0,0,
0,0,32,0,32,0,64,8,215,0,1,4,32,64,176,160,193,131,8,19,18,24,24,0,192,
128,0,16,35,74,156,72,81,34,65,1,11,29,78,44,192,177,163,199,143,19,47,
102,124,88,177,164,73,145,13,7,144,52,201,50,34,1,1,24,83,154,252,200,
241,228,203,145,21,105,122,44,137,82,32,195,150,60,111,194,28,9,160,168,
209,163,72,147,30,133,72,80,38,80,160,61,87,150,236,216,50,106,78,157,
84,41,90,133,136,181,107,77,166,55,157,110,236,26,52,102,209,167,85,81,
14,28,170,176,109,65,152,112,27,162,157,203,80,165,221,187,120,243,222,
61,187,22,39,221,138,23,205,74,253,107,49,172,198,150,5,160,26,30,60,
54,107,89,191,20,201,2,94,28,217,235,215,194,130,37,90,166,137,25,178,
102,201,90,41,87,198,250,88,236,103,210,147,51,19,14,109,214,231,106,
151,47,99,130,117,75,59,176,0,166,112,115,235,222,205,59,119,64,0,59
};

/* OUTGIF -- Create GIF navigation buttons for HTML trees. */

static void outgif(basename, button, source, length)
char *basename, *button;
unsigned char *source;
int length;
{
char s[256];
FILE *f;

sprintf(s, "%s/%s.gif", basename, button);
f = fopen(s, "wb"); /* "b" is for binary mode on brain-dead
PCs. Shouldn't do any harm on reasonable
UNIX boxes. */
fwrite(source, 1, length, f);
fclose(f);
}

/* TRIM -- Trim trailing white space and delete any carriage
return characters which might have crept into the
text. This allows us to process input in a variety
of end of line conventions (Unix, MS-DOS, VMS). */

static void trim(lp)
unsigned char *lp;
{
unsigned char *ap = lp;

while (*ap) {
if (*ap == '\r') {
unsigned char *ep = ap;
do {
*ep = ep[1];
ep++;
} while (*ep);
}
ap++;
}

/* Trim any trailing spaces. */

while (isspace(lp[strlen(lp) - 2])) {
lp[strlen(lp) - 2] = '\n';
lp[strlen(lp) - 1] = EOS;
}
}

/* PROTEXT -- Output text with character-level transformations. */

static void protext(lp, tout, basename)
unsigned char *lp;
FILE *tout;
char *basename;
{
if (html) {

/* H T M L */

#define out (infoot ? foot : tout)
int c;

/* Now process the input file character by character and translate
each character, if required, emitting the results to the output
stream. */

while ((c = *lp++) != EOS) {

/* It's a control character. Emit as ^ unless it is
considered as white space (for example, carriage return and
line feed), in which case it's sent directly to the output. */

if (c < ' ') {
if (isspace(c)) {


 


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